Drapeau franco-ontarien à la mairie : « symbole puissant » ou « ironie »?

Le drapeau franco-ontarien devant l'hôtel de ville de Toronto.

TORONTO – Le drapeau franco-ontarien flottera pour la première fois devant les mairies de plusieurs municipalités de la province, ce lundi 25 septembre. Si la nouvelle est célébrée par plusieurs membres de la communauté, des citoyens estiment qu’il est ironique d’hisser le drapeau blanc et vert dans des municipalités qui n’offrent aucun service en français.

ÉTIENNE FORTIN-GAUTHIER
efgauthier@tfo.org | @etiennefg

« La Ville de Mississauga a toujours refusé de hisser le drapeau franco-ontarien. Cette année, on a réussi à les convaincre! C’est un symbole puissant. Les élèves pourront enfin aller célébrer dans leur ville, plutôt que de prendre l’autobus pour aller dans une autre cérémonie du drapeau », se réjouit Claire Francoeur, porte-parole du conseil scolaire Viamonde, qui organise plusieurs des cérémonies du 25 septembre, Jour des Franco-Ontariens, de pair avec le conseil scolaire catholique Mon Avenir.

« Pour la première fois, nous allons aussi hisser le drapeau devant la mairie de Kitchener et c’est sans compter l’illumination des lettres de Toronto en blanc et vert. C’est aussi une première! », lance-t-elle. « Avant, on hissait notre drapeau entre francophones. Là, nous nous affichons au cœur des villes, à la mairie, et c’est aussi ça, défendre nos droits. Nous montrons aux jeunes qu’on peut être francophone partout et le crier haut et fort. Et petit à petit, ça permet d’ouvrir d’autres discussions avec ces villes », affirme Mme Francoeur.

Ces nouveautés s’ajoutent aux dizaines de levées de drapeau franco-ontarien qui se dérouleront aux quatre coins de la province, bien souvent devant des hôtels de ville.

Des citoyens se questionnent

Des citoyens qui tentent d’obtenir des services en français de la part de leur municipalité depuis plusieurs mois se questionnent cependant sur la pertinence des cérémonies du drapeau franco-ontarien devant les mairies.

« Je me bats depuis plusieurs mois pour me faire expliquer des documents de la Ville de Brampton dans ma langue officielle, sans succès. Et là, je vois qu’on va aller hisser le drapeau franco-ontarien devant la mairie? Ce n’est pas sérieux », confie un citoyen francophone qui habite à Brampton. Il préfère conserver l’anonymat pour ne pas se mettre à dos les organisateurs francophones de certains de ces rassemblements.

Il a tenté de faire une plainte à ce sujet au Commissariat aux services en français, mais s’est fait répondre que les villes ne sont pas assujetties à la Loi sur les services en français. « Je paye mes taxes. Je suis un contribuable francophone. Je comprends un peu l’anglais, mais quand on parle de documents municipaux et de vocabulaire plus spécifique, j’ai besoin du français. Ne sommes-nous pas au Canada? », lance-t-il.

L’hôtel de Ville de Brampton. Crédit photo : Gracieuseté

Un autre citoyen a également partagé des préoccupations similaires. « Dans plusieurs des villes où on effectue ces cérémonies, la sensibilité au fait français est minimale, sinon inexistante. Je trouve ça malheureux et ironique qu’on aille célébrer devant ces mairies », a-t-il indiqué à #ONfr.

Comme Viamonde, le conseil scolaire Mon Avenir explique la pertinence des cérémonies du drapeau, notamment à Brampton. « Nous voyons cette occasion de tisser des liens avec l’ensemble de la communauté et de leur montrer la vitalité de notre communauté francophone. L’hôtel de ville est habituellement le lieu désigné pour tenir ce type d’événement comme il s’agit d’un lieu central pour l’ensemble de la communauté », dit Eve-Amélie Towner-Sarault, responsable des communications.

Invitée à répondre à ces critiques, la Ville de Brampton dit offrir des services dans plusieurs langues grâce à des interprètes. Selon les besoins, des documents sont aussi traduits, dit sa porte-parole Natalie Stogdill, qui affirme que le français pourrait être du lot. Quant au site web de la ville, elle indique que les pages peuvent être traduites grâce à l’outil de traduction de Google.

L’AFO exige un plus grand effort

Brampton est une ville qui se trouve dans l’une des 26 régions désignées de la province, où l’on peut obtenir des services en français. Mais en vertu de la Loi sur les services en français, adoptée en 1986, seulement les services de la province ont l’obligation d’être offerts dans les deux langues officielles. Les villes n’ont aucune obligation.

Le président de l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO), Carol Jolin, souhaite que les villes se responsabilisent. « C’est le gros bon sens : si la région est désignée, c’est qu’il y a beaucoup de francophones et que leur ville devrait aussi leur offrir des services dans leur langue », lance-t-il.

Le président de l'AFO, Carol Jolin
Le président de l’AFO, Carol Jolin. Crédit photo : Archives #ONfr

Les municipalités devraient-elles avoir des obligations en vertu de la Loi sur les services en français? « Notre priorité est que toute la province devienne une grande région désignée. Je crois que ça enverrait un message fort aux municipalités, également », répond-il, prudent. « Mais pour augmenter les services en français dans certaines villes, il faut qu’il y ait une augmentation de l’aide financière de la province », insiste M. Jolin.

Concernant le cas spécifique de Brampton, il croit que la ville démontre néanmoins une certaine ouverture en permettant qu’une cérémonie du drapeau se déroule sur ses terrains. « Peut-être peut-on se servir de cette ouverture pour essayer d’augmenter les services en français? », dit-il.

Il invite les francophones qui vivent des situations similaires à se faire entendre. « Ils ont un pouvoir politique. Les élections municipales s’en viennent, ce sera l’occasion de se positionner. »

Un « débat politique », dit M. Boileau

Le commissaire aux services en français, François Boileau, affirme que « dans le contexte de 1986, les villes ont été exclues de la Loi sur les services en français dans la définition d’organismes gouvernementaux pour des motifs politiques qu’il n’appartient pas au commissariat de développer. Il faudrait demander aux acteurs politiques comme Bernard Grandmaître », souligne Me Boileau.

Le commissaire ne demande pas de changements concernant le statut des municipalités face à la loi, jugeant la situation actuelle « satisfaisante ». Selon lui, il s’agit « davantage d’un débat qui relève de l’arène politique et, par conséquent, le commissaire ne souhaite pas émettre davantage de commentaires ».

Il rappelle néanmoins que si une ville offre un service au nom du gouvernement, alors là, la Loi sur les services en français peut s’appliquer et doit être respectée.