Du financement fédéral pour des causes anti-francophones?

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OTTAWA – Plusieurs intervenants s’inquiètent de l’élargissement du mandat du Programme de contestation judiciaire (PCJ) qui pourrait, selon eux, permettre notamment de financer les causes de groupes opposés aux droits linguistiques des francophones.

Dans deux lettres adressées à la ministre du Patrimoine canadien, Mélanie Joly, au printemps dernier, et dont #ONfr a obtenu copie, l’Association nationale Femmes et Droit (ANFD) faisait part de son inquiétude face à l’élargissement du mandat du PCJ à plusieurs articles de la Charte canadienne des droits et libertés.

« Votre gouvernement semble avoir abandonné l’engagement crucial à protéger et à promouvoir l’égalité réelle et l’accès à la justice pour les groupes défavorisés et les communautés minoritaires de langue officielle », pouvait-on lire dans le document signé par plus de 70 signataires, dont la Ligue des droits et libertés, Amnistie internationale, l’Action ontarienne contre la violence faite aux femmes ou encore, la Fédération des femmes musulmanes.

Sous couvert d’anonymat, un intervenant précise : « Le mandat historique du programme était d’appuyer les groupes historiquement désavantagés, comme les Premières nations, les communautés de langue officielle en situation minoritaire ou les femmes, par exemple. L’élargissement du mandat, notamment à l’Article 2 [sur les libertés fondamentales] de la Charte, peut être vu comme un avancement positif, mais cela pourrait aussi rendre éligibles les causes de personnes ou d’organismes qui souhaitent miner les droits de ces groupes historiquement désavantagés, comme ceux des francophones en situation minoritaire. »

Et de citer la cause d’Howard Galganov contre l’affichage commercial bilingue obligatoire dans la municipalité de Russell ou des groupes comme Canadians for Language Fairness, engagé contre le bilinguisme officiel, qui pourraient ainsi recevoir de l’argent fédéral pour appuyer leurs éventuels recours devant les tribunaux.

Une rencontre aurait eu lieu avec la ministre Joly, en janvier 2018, pour évoquer ces craintes, selon les informations rapportées à #ONfr. Mais celle-ci n’a entraîné aucun changement au mandat du PCJ, rapporte-t-on.

Financer l’incitation à la haine

Outre les causes linguistiques, le PCJ pourrait également être amené à financer des démarches judiciaires de groupes racistes qui pourraient invoquer le droit à la liberté d’expression, poursuit notre intervenant.

« On pourrait aussi imaginer que les groupes anti-avortement qui ont récemment été exclus du programme Expérience emplois d’été Canada par le gouvernement puissent recevoir du financement s’ils veulent contester cette décision devant les tribunaux. »


« Le gouvernement n’a aucune obligation de financer des causes qui visent à miner les droits de certaines communautés. Il pourrait conserver l’objectif initial du programme qui était de financer des causes qui font avancer de manière positive les droits des groupes historiquement désavantagés » – Anonyme


Par courrier, la ministre Joly a assuré à l’ANFD que l’élargissement du mandat permettra de « mieux refléter l’évolution de la jurisprudence, la démographie changeante et les changements au sein de la société. »

Le Programme de contestation judiciaire

Le PCJ fournit une aide financière aux personnes ou aux groupes qui considèrent que leurs droits constitutionnels ont été bafoués par le gouvernement fédéral, les provinces ou les institutions fédérales et qui souhaitent intervenir devant les tribunaux.

Créé en 1978, il a permis à plusieurs communautés francophones en milieu minoritaire de recevoir une aide pour financer leurs causes linguistiques devant les tribunaux, notamment pour l’obtention d’écoles de langue française.

Aboli par les conservateurs en 2006, son retour avait été promis par les libéraux durant la campagne et annoncé, début 2017, avec une enveloppe annuelle de 5 millions de dollars et un mandat élargi au-delà des recommandations du Comité permanent de la justice et des droits de la personne.

Pas un problème, selon Housefather

Le président de ce comité, Anthony Housefather, défend la position du gouvernement.

« Ce programme est fait pour que tous les citoyens canadiens puissent contester les décisions du gouvernement quand ils ne sont pas d’accord avec lui. Ce serait problématique pour le gouvernement de décider qu’il ne s’applique que pour des causes avec lesquelles il est d’accord ou qui sont populaires. Si nous avions l’argent nécessaire, je serais favorable à ce que le Programme de contestation judiciaire couvre tous les articles de la Charte. On pourra toujours étudier, après un temps, s’il convient de changer les critères, mais je ne suis pas inquiet. »

Le député libéral, Anthony Housefather. Crédit image : Gracieuseté

Le député libéral rappelle également que deux comités d’experts – un sur les droits de la personne et un sur les droits linguistiques – seront là pour sélectionner les causes éligibles.

Un argument qui ne convainc pas l’ANFD qui regrette que « la composition et l’expertise des comités ne reflètent ni ne représentent la diversité et l’expérience des communautés défavorisées et minoritaires de langue officielle et que les experts nommés ne seront pas imputables vis-à-vis des communautés concernées ».

Retour en retard

Reste qu’au-delà de ces inquiétudes, la remise sur pied du PCJ tarde toujours, alors qu’il était espéré pour l’automne dernier et que le Programme d’appui aux droits linguistiques (PADL) a achevé son mandat il y a près d’un an.

Le comité de sélection, nommé en septembre dernier, n’a toujours pas annoncé la composition des deux comités d’experts.

Contactés par #ONfr, la ministre du Patrimoine canadien, en charge du dossier n’a pas répondu à nos demandes d’entrevue.


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