Élections municipales : le spectre de l’abstention refait surface

Les élections municipales ontariennes sont connues pour enregistrer les plus bas taux de participation. Archives ONFR+

Dans la chose participative, c’est à chaque élection suffit sa peine! En effet, réputées d’êtres les moins attirantes pour les électeurs, surtout chez les plus jeunes d’entre eux, gages d’avenir, les élections municipales aux portes de la province ne semblent pas faire exception aux yeux des spécialistes. Un paradoxe politique aberrant au vu de l’importante de leurs enjeux qui affectent inexorablement le quotidien de tout citoyen. Analyse.

Il est vrai que le phénomène d’abstention touche tous les paliers décisionnels du pays s’agissant des élections, toutefois, il est significativement plus marqué lors des municipales.

À titre comparatif, le taux de participation moyen était d’à peine 38% en 2018 (soit le plus bas depuis 1982), contre plus de 56% pour les provinciales la même année et 67% aux fédérales un an plus tard.

Taux de participation aux élections municipales de l’Ontario depuis 1982. Source : Association des municipalités de l’Ontario

« On remarque une tendance à la baisse en matière de participation politique au niveau municipal durant les dernières décennies. On peut donc s’attendre à voir cette diminution se poursuivre pour les élections qui s’en viennent », prédit Luc Turgeon, professeur agrégé d’études politiques à la faculté des Sciences sociales de l’Université d’Ottawa.

Même constat pour la professeure titulaire au sein de l’École d’études politiques à l’Université d’Ottawa, Geneviève Tellier qui déplore le fait que « les taux de participations sont souvent très faibles sur la scène municipale, ce qui est tout de même très étonnant parce que, s’il y a des décisions qui nous affectent au quotidien, c’est bien celles des villes comparées aux provinciales ou aux fédérales. Une grève par exemple des éboueurs est plus grave pour nous que celle des contrôleurs aériens ».

Un paradoxe aberrant

En effet, concrètement, il n’y a rien de plus direct pour le citoyen que les affaires municipales, et ce dans le sens où les décisions prises au niveau local impactent directement sa vie de tous les jours, telles que celles ayant trait à la planification urbaine ou à sa réglementation pour ne citer que celle-là.

« Au cours des dernières élections, qu’elles soient provinciales ou fédérales, on a beaucoup parlé de changements climatiques par exemple, alors que les villes représentent sans doute le niveau gouvernemental qui peut avoir le plus d’impact à ce sujet, entre autres par l’entremise des transports en commun. Malheureusement, la politique municipale n’a pas l’air, passez-moi le terme, très sexy, mais en réalité elle a une énorme influence sur nos vies », regrette M. Turgeon.

Luc Turgeon, professeur agrégé d’études politiques à la faculté des Sciences sociales de l’Université d’Ottawa. Gracieuseté

Selon ce dernier, l’une des explications à ce détachement politique qui va à l’encontre du bon sens réside dans le fait que les électeurs potentiels prennent pour choses acquises tous les services déjà existants proposés à l’échelle locale, ce qui aurait tendance à développer un sentiment d’indifférence envers les élections qui s’y affèrent.

Méconnaissance du public et déficit médiatique

L’autre raison évoquée par les experts pour expliquer ce désintérêt consiste en un manque d’informations, lequel est dû à une médiatisation faible lorsqu’il s’agit de campagnes électorales municipales.

« Ce qui explique également ce déclin c’est la couverture des médias qui peuvent mousser les enjeux locaux. Malheureusement, il y a une crise des médias locaux, non seulement en Ontario, mais aussi au Canada. La politique municipale n’est pas très médiatisée d’une façon générale. Beaucoup de Canadiens savent plus sur la politique américaine que sur celle de leur ville », fait remarquer Luc Turgeon.  

Et d’ajouter : « L’absence des partis politiques municipaux qui peuvent parfois aider les électeurs à se faire une idée sur les candidats et les enjeux de ces élections est un autre facteur. D’ailleurs, c’est ce qui explique en général le fait que beaucoup de conseillers municipaux sont réélus. Les gens qui connaissent déjà un nom sont tentés de revoter pour cette personne-là. »

Les chiffres abondent dans le sens de l’analyste. En effet, à en croire l’Association des municipalités de l’Ontario, lors des dernières élections municipales ontariennes, les municipalités ont enregistré un taux de roulement assez bas, les nouveaux candidats n’ayant remporté que 41,3 % des sièges disponibles.

La jeunesse ne se sent pas concernée

Par ailleurs, la tranche de la population qui brille le plus par son abstention se trouve chez les jeunes. Bien que les études dans ce domaine fassent défaut en Ontario, les politologues sont unanimes, les jeunes votent beaucoup moins aux municipales parce qu’ils ne se sentent pas concernés.    

Dans les faits, les observateurs constatent une singularité systématique propre aux élections municipales. Ce sont ceux qui paient des impôts locaux qui votent le plus. Et pour cause, les enjeux touchent à leur porte-monnaie.  

Les propriétaires de biens immobiliers et fonciers illustrent très bien ce constat comme l’explique M. Turgeon : « L’un des sujets qui mobilise les gens à aller voter aux municipales c’est la taxation foncière et son niveau qui sont au cœur des débats politiques dans plusieurs municipalités. »

Or, il se trouve, pour des raisons évidentes, que les propriétaires sont rarement des personnes jeunes.  

Geneviève Tellier, professeure titulaire au sein de l’École d’études politiques à l’Université d’Ottawa. Gracieuseté

Le phénomène est d’autant plus préoccupant que, selon la professeure Tellier, « il n’y a pas beaucoup d’études sur le vote des jeunes en général et encore moins en contexte municipal. Mais quelques données suggèrent que si on vote une première fois, on risque de le faire pour le restant de notre vie ».  

Autrement dit, les jeunes qui ne votent pas maintenant ont de fortes chances de ne pas le faire à l’avenir, ce qui ne ferait qu’empirer le phénomène dans une sorte de cercle vicieux.

Quant à savoir si, durant la campagne en cours, on va remédier un tant soit peu à ce problème, la politologue se montre pour le moins sceptique : « Je ne suis pas convaincue que les élections actuelles mobilisent les jeunes parce qu’on n’utilise pas nécessairement les façons nouvelles pour aller les chercher. On dirait que ce sont-là les vieilles bonnes techniques qu’on applique dans une bonne vieille campagne municipale. »