Élections : Pourquoi les Ontariens s’abstiennent-ils tant de voter?

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Que le constat soit fait au niveau fédéral ou provincial, l’Ontario fait pâle figure s’agissant de la démocratie représentative qui passe à travers le processus électoral. Ainsi, la province compte parmi celles qui votent le moins au pays. Quelles en sont les causes? Cela dénoterait-il d’un désintérêt pour la chose politique, notamment chez la catégorie des jeunes où le phénomène est le plus visible? Éléments de réponse.  

C’est une question qui revient à l’ordre du jour à chaque scrutin : quel en sera le taux d’abstention ou de participation des électeurs, gage d’une démocratie saine et bien installée?

Lors des élections générales provinciales de 2018, ils étaient 56,67% des Ontariens admissibles à avoir répondu à l’appel des urnes, soit 10% de moins que les élections provinciales québécoises qui ont eu lieu la même année.

Sur le plan fédéral, les Ontariens pointaient à la 8e place au classement des provinces avec 75% de taux de participation au vote fédéral de l’année dernière, c’est-à-dire en dessous de la moyenne nationale. 

Mieux que cela, l’élève ne donnerait pas des signes de progression, bien au contraire! Selon plusieurs experts, il faudrait s’attendre à une abstention marquée aux élections du 2 juin prochain, notamment à cause d’un déficit en suspens avancé par les sondeurs tout au long de la campagne électorale.

Plus on est pauvre, moins on vote

« Que cela soit en Ontario où ailleurs, deux types de déterminants peuvent expliquer le taux de participation dans une élection qu’on peut résumer par : plus les gens ont un niveau d’études élevé et un revenu élevé plus ils sont susceptibles de voter. Autrement dit, plus on est pauvre, moins on a tendance à voter », explique Mathieu Turgeon, politologue à l’Université Western et spécialiste en psychologie politique.

Et d’ajouter. « Mais là aussi, quand la situation devient critique, cela peut avoir l’effet contraire et inciter les gens à aller voter pour un changement catégorique, mais ce n’est pas tout à fait le cas au Canada et en Ontario parce que le taux de chômage y est assez bas par exemple. »

Mathieu Turgeon, politologue à l’Université Western et spécialiste en psychologie politique. Gracieuseté

Les chiffres donnent raison au politologue. En effet, en affinant, il s’avère que la circonscription ontarienne qui a enregistré le plus bas taux de participation lors des élections de 2018 est celle de Windsor-Ouest (43,3%). Or il se trouve que le taux de chômage de la région de Windsor est bien plus élevé que celui de la majorité des grandes villes ontariennes. D’après les données de mars dernier rapportées par Statistique Canada, ce taux dans la région de Windsor était de 8,3% contre une moyenne provinciale de 5,3%.

Et, ce n’est pas le statisticien et doctorant à l’Université de Waterloo, Jacob Legault-Leclair qui dira le contraire :   

« Le statut socioéconomique d’un citoyen exerce effectivement une influence sur les chances que celui-ci a de voter. Être sans-emploi, avoir un faible revenu et avoir un faible niveau d’éducation sont des facteurs qui influencent négativement sur la participation aux élections. C’est le genre de dynamiques qu’on retrouve également au niveau fédéral et qui semblent aussi être présent au palier provincial », confirme-t-il.

À l’inverse, le statisticien pense que cette « règle du revenu » peut s’appliquer sur les circonscriptions qui ont affiché un taux de participation supérieur à la moyenne en 2018, car « Les plus fortunés ont davantage d’intérêts en jeu » qui les poussent à se rendre aux urnes.

Pour rappel, c’est la circonscription de Huron-Bruce qui peut se targuer du plus haut taux de participation de la province aux dernières élections avec 63,51%.

La base électorale jeune, pas si intéressante que cela pour les politiques

Ceci écrit, le thésard joint une autre variable à l’équation, celle de l’âge.

« C’est un facteur clé pour comprendre le vote dans ce genre de circonscription dont la population est plus âgée que la moyenne provinciale. Ces critères sembleraient alors être bénéfiques pour le taux de participation aux élections dans la circonscription d’Huron-Bruce, comparativement aux autres », complète-t-il.

Jacob Legault-Leclair, statisticien et doctorant à l’Université de Waterloo. Gracieuseté

Là encore, les données de Statistique Canada abondent dans le même sens dans la mesure où la moyenne d’âge d’Huron-Bruce est proche des 46 ans alors qu’elle n’est que de 41 ans pour l’ensemble de la province (recensement 2016).

Cela voudrait-il dire que les jeunes votent moins? Sans aucun doute pour Stéphanie Gaudet, professeure titulaire, sociologue et directrice du Centre interdisciplinaire de recherche sur la citoyenneté et les minorités de l’Université d’Ottawa.

« On sait que le taux de participation augmente tranquillement avec l’âge. On sait aussi que plus un jeune vote tôt dans sa vie, plus il est susceptible de voter toute sa vie, c’est vraiment un investissement social très important que les partis politiques devraient faire parce que c’est du domaine de leur responsabilité sociale », argumente-t-elle.

Or, de l’avis de la sociologue, il existe une forme de désintérêt des politiciens vis-à-vis des jeunes et vis-versa, un cercle vicieux, en somme.

« Les jeunes qui ne votent pas n’ont pas l’impression que les partis politiques prennent au sérieux leurs considérations. Il faut dire que les 18-24 ans ne représentent que 9% de la population canadienne, ce qui, mathématiquement, n’est pas très intéressant à courtiser pour les partis politiques. »

« Je pense que ces derniers n’investissent pas beaucoup et n’écoutent pas trop ce groupe de la population. C’est très dangereux sur le plan social, car plus les jeunes se sentent délaissés par les politiciens, et moins ils votent, et moins ils votent, moins les partis s’en occupent », résume-t-elle.

Stéphanie Gaudet, professeure titulaire, sociologue et directrice du Centre interdisciplinaire de recherche sur la citoyenneté et les minorités de l’Université d’Ottawa. Gracieuseté

Pour l’experte, cette analyse est valable pour tous les paliers décisionnels du pays, qu’ils soient fédéraux, provinciaux ou municipaux.

« D’ailleurs, selon les données, c’est aux municipaux que les jeunes votent le moins. C’est assez étrange, parce que c’est au niveau municipal que les politiques pourraient toucher davantage les jeunes, mais ils ne saisissent pas l’occasion », observe-t-elle.  

Les immigrants voteraient moins

L’autre variable explicative qui serait derrière l’abstention réside dans le degré d’ancienneté des votants en tant que citoyens.

« On observe aussi que les nouveaux Canadiens enregistrent un taux de participation moins élevé, ce qui se comprend parce que le système politique est nouveau pour eux et donc ils sont moins familiarisés avec les familles politiques et les candidats », souligne M Turgeon.

Les immigrants seraient donc mauvais élèves quant à l’engagement civique. Pas si simple, car « Il convient d’apporter une nuance », atténue M. Legault-Leclair.

« Il faut tenir compte du type d’immigrant qui se trouve au sein de cette population. Les immigrants en provenance d’Europe ou des États-Unis sont généralement plus susceptibles que les autres immigrants d’aller voter. C’est également le cas pour les immigrants arrivés il y a plusieurs années. Certaines circonscriptions comme Brampton West et Missisauga-Malton en sont des exemples. »

À noter que tous les experts rencontrés pour le besoin de ce papier accordent leurs violons pour dire, qu’en dépit de tous ces éléments d’explication, il est de caractère aventurier de vouloir prédire l’abstention des élections qui s’en viennent dans une poignée de jours. La personnalité propre des candidats et/ou un scandale qui surgit de nulle part par exemple pourraient renverser la vapeur, et cela est quasiment impossible à quantifier.