Encore trop de publicités gouvernementales seulement en anglais

Le commissaire aux services en français de l'Ontario, François Boileau.

TORONTO – De nombreuses initiatives et campagnes de sensibilisation du gouvernement ontarien ne sont pas publicisées en français, dénonce le commissaire aux services en français, François Boileau. En plus de contrevenir aux règles en place, cette situation contribue à mettre en péril des médias francophones, déplore-t-il dans un nouveau rapport intitulé Une directive sans direction, paru le mercredi 11 avril.

ÉTIENNE FORTIN-GAUTHIER
efgauthier@tfo.org | @etiennefg

Le commissaire aux services en français dénonce le manque de sérieux de plusieurs ministères et organismes gouvernementaux quand vient le temps de communiquer leurs initiatives aux Franco-Ontariens.

Une absence de « placements publicitaires équivalents » en français et en anglais est constatée. Le commissaire Boileau parle d’un « non-respect systémique de la Loi sur les services en français, de la Directive sur les communications en français et des lignes directrices qui en découlent ».

Le commissaire croyait que le gouvernement avait appris de son erreur de 2010 où il avait envoyé à large échelle un document sur la grippe H1N1 uniquement en anglais. Une directive avait alors rendu obligatoire des lignes directrices de communication en français.

Mais depuis, il a reçu de nombreuses plaintes de citoyens concernant des manquements répétés de plusieurs organisations.

Quatre des organismes ciblés par les plaintes

  • Metrolinx : l’organisation qui gère le transport dans le grand Toronto a effectué plusieurs campagnes publicitaires en anglais seulement, malgré les interventions du Commissariat.
  • La Régie des alcools de l’Ontario (LCBO) : une campagne dans le métro et les journaux torontois n’était qu’en anglais, en 2014. Un renvoi vers un site web bilingue est insuffisant, il faut une « disponibilité simultanée », selon le Commissariat.
  • Le Centre des sciences : le musée s’est annoncé seulement en anglais dans des grands quotidiens. L’agence de planification publicitaire à son service affirmant même que des organismes gouvernementaux comme le Centre des sciences n’ont pas à se conformer aux directives, ce qui est faux.
  • La Société des loteries de l’Ontario (OLG) : la Société a été l’objet d’une plainte en 2013 et devait revoir ses pratiques. D’autres plaintes ont été envoyées en 2016 la ciblant. Le Commissariat semble douter du réel désir de l’organisme de se conformer à la Loi sur les services en français.

Le gouvernement tourne le dos aux médias francophones

Dans son rapport, le « chien de garde » des services en français se porte à la défense d’un autre « chien de garde » des citoyens, les médias.

François Boileau explique que les failles dans l’achat publicitaire en français du gouvernement ont une conséquence majeure sur les médias communautaires.

« La situation précaire des médias francophones repose certainement sur plusieurs facteurs, mais l’un d’eux est sans doute le non-respect de la Loi sur les services en français et la Directive lors de placements publicitaires. Ce débat sociétal est un sujet de l’heure au pays », dit-il.

François Boileau rapporte en plus que certains médias communautaires ne sont plus considérés pour la diffusion de publicités gouvernementales, car ils ne peuvent fournir leurs données d’écoute ou leur lectorat (nombre d’auditeurs ou de lecteurs). Ces médias répliquent qu’ils n’ont tout simplement pas les moyens de souscrire aux services qui calculent l’audience.


« Véritables reflets des valeurs sociétales d’une communauté linguistique, les médias permettent non seulement la diffusion des valeurs inhérentes d’appartenance à une communauté, ils en font aussi la promotion. Dans un contexte minoritaire, leur présence est encore plus importante en raison de leur rôle dans la préservation de l’identité linguistique et culturelle » – François Boileau


Le commissaire aux services en français insiste sur le caractère essentiel des journaux locaux et radios communautaires pour les Franco-Ontariens. Ils ont été fragilisés au cours des dernières années et le gouvernement est l’un des responsables, selon François Boileau.

Selon le rapport du Me Boileau, près de 40 % du placement publicitaire en français de la province se ferait directement en ligne en contournant les médias traditionnels.

Face à la crise actuelle des médias francophones et à la responsabilité du gouvernement, le commissaire aux services en français recommande à la ministre des Affaires francophones de se doter d’un comité consultatif sur la question. Il propose que la pérennité des médias soit la priorité du comité et qu’un fonds de soutien et de transition au numérique soit mis en place.

Les recommandations

Le commissaire aux services en français croyait que la Directive obligatoire sur les communications en français serait suffisante, mais il en vient à la conclusion qu’il faut en plus un mécanisme pour s’assurer du respect de celle-ci. « L’absence de mécanisme de reddition de comptes permet la multiplication des violations », note le commissaire, qui recommande que la ministre des Affaires francophones propose la naissance d’un nouveau règlement sur les communications en français. Le conseil des ministres et le conseil exécutif devraient aussi rendre public un rapport annuel sur le taux de conformité au règlement.

Les documents envoyés aux agences publicitaires pour le développement d’une campagne devraient aussi énoncer clairement les exigences pour se conformer à la Loi sur les services en français. Ces agences, ainsi que les employés des départements de communications des ministères, devraient aussi être sensibilisées aux réalités des Franco-Ontariens pour comprendre mieux ce public.

Les changements proposés sont « des conditions sine qua non du respect des engagements législatifs de l’État ontarien pour favoriser l’épanouissement de la communauté francophone ».

Peu de temps avant l’élection

Marie-France Lalonde, ministre des Affaires francophones, assure qu’une directive de communication existe au sein des ministères. Toutefois, elle ajoute que les agences gouvernementales sont indépendantes.

« Le rapport nous donne des pistes pour mieux diriger les agences, mais elles sont indépendantes du gouvernement », a-t-elle insisté.

Bien qu’elle souhaite avoir une « discussion » avec les agences gouvernementales citées dans le rapport Boileau, elle constate du même souffle qu’il reste très peu de temps avant l’élection.

« Il me reste quelques semaines pour travailler sur les dossiers et j’ai l’intention de gouverner au niveau de la francophonie jusqu’à la fin, mais il y a quand même une réalité qu’il reste trois semaines en chambre pour le gouvernement », explique-t-elle.

Mme Lalonde note par ailleurs que le Programme d’appui à la francophonie de l’Ontario (PAFO) peut être une piste de solution pour aider les médias communautaires, sans être la seule option à privilégier.

France Gélinas, critique du Nouveau Parti démocratique (NPD) de l’Ontario en matière de Francophonie et députée de Nickel Belt, déplore que le gouvernement ne passe pas à l’action pour demander des comptes auprès des agences gouvernementales.

« On sait tous qu’ils ne respectent pas la loi », se désole-t-elle..

Selon Mme Gélinas, le gouvernement n’a fait que le minimum depuis 2009 afin de corriger le tir en matière de communication et elle espère que ce rapport ne tombera pas aux oubliettes.