Enfants en détresse : une expertise francophone a disparu le 1er mai

Gracieuseté

TORONTO – La seule intervenante francophone au bureau de l’intervenant provincial en faveur des enfants n’a pas été transférée chez l’ombudsman de l’Ontario. L’élimination de son poste, dans la foulée des transformations imposées par Doug Ford, et le mandat restreint de l’ombudsman pourraient avoir un impact important sur des jeunes francophones en situation précaire.

Au cours des dernières années, des enfants handicapés francophones, sans défense, ont été victimes de mauvais traitements, bien que le système devait prendre soin d’eux. Chacun de ces dossiers a atterri sur le bureau d’une intervenante francophone indépendante chargée de prendre leur défense et de forcer le système de protection de la jeunesse à faire mieux.

L’élimination par Doug Ford du bureau de l’Intervenant en faveur des enfants a eu une conséquence imprévue. L’expertise francophone du bureau est disparue du jour au lendemain, à la suite du renvoi de sa seule intervenante francophone. Ces changements risquent finalement d’avoir un impact disproportionné sur les Franco-Ontariens, constatent maintenant avec stupeur plusieurs observateurs privilégiés.

Depuis plus d’une décennie, ce rôle d’intervenante francophone était assumé par Brigitte Barikage. Son poste éliminé, elle est sans emploi depuis le 1er mai. Si elle a refusé toutes les demandes d’entrevue d’ONFR+, de nombreux acteurs de la communauté franco-ontarienne vantent son travail et son dévouement pour les enfants francophones les plus fragiles de la société.

C’est le cas de son patron, Irwin Elman, l’ancien Intervenant en faveur des enfants de l’Ontario. « Un jeune francophone de 16 ans qui veut dénoncer son refuge où il se fait maltraiter ou un jeune en situation d’immigration difficile arrivant d’un pays francophone qui n’a personne à qui demander de l’aide… Je ne sais pas qui va s’occuper de lui maintenant », lance M. Elman. Son bureau comptant une cinquantaine d’employés a été éliminé par le gouvernement Ford, dans la foulée des coupes ayant mené à l’élimination du Commissariat aux services en français.

L’ombudsman a récupéré certains employés et le mandat d’enquête sur les plaintes de l’Intervenant en faveur des enfants. Mais tout ce qui concerne le travail de plaidoyer a disparu. C’est exactement ce que faisait l’intervenante francophone de son bureau, qui identifiait les problèmes de manière proactive sans devoir dépendre d’une plainte. Elle accompagnait le jeune face au système, qui peut être très intimidant, raconte M. Elman.

Irwin Elman, l’ancien intervenant à la jeunesse de l’Ontario. Gracieuseté.

Et il n’est pas le seul à craindre les conséquences de cette décision sur les Franco-Ontariens. « Je suis stupéfaite que son poste soit éliminé et non transféré à l’ombudsman : elle était presque la seule qui s’occupait des jeunes francophones, du dossier controversé du Centre Jules-Léger et des jeunes francophones judiciarisés, surtout dans le Nord », affirme une intervenante du milieu francophone.

En une décennie, l’intervenante francophone a croisé le chemin de centaines d’enfants. Elle les a accompagnés face au système ou les a informés de leurs recours lors de dizaines d’ateliers.

« Les enfants qui n’ont pas accès à des services en français, ils sont doublement perdants. C’est une minorité dans une minorité. Ils sont dans des milieux complexes, qu’ils ne comprennent pas. On parle de réfugiés, d’immigrants, de jeunes prisonniers, d’enfants sourds… le plaidoyer, c’est un concept où l’intervenante prenait réellement la défense de l’enfance », indique une autre source.

L’ombudsman n’a pas le même mandat

L’ancien Intervenant en faveur des enfants, Irwin Elman, tient absolument à rappeler la différence entre son mandat et celui de l’ombudsman. « Le mandat de l’ombudsman ne couvrira pas l’ensemble des jeunes. L’ombudsman travaille avec le système. Il ne va pas aider un jeune à faire une plainte à un organisme, car ça donnera l’impression qu’il prend parti pris », dit-il.

« L’ombudsman vérifie si le système fonctionne de la manière dont le système a été pensé. Nous, on pensait à ce que le jeune avait besoin. L’ombudsman a un rôle important à jouer, mais ce n’est pas le même rôle », affirme M. Elman.

Son bureau était en train de mettre sur pied un partenariat avec le Commissariat aux services en français et François Boileau, son commissaire. L’objectif était d’augmenter l’offre en français au sein du bureau de l’Intervenant en faveur des enfants. Des efforts qui tombent à l’eau à cause de Doug Ford, déplore M. Elman.

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« Dorénavant, on va inviter un jeune à se plaindre aux dirigeants de l’organisme où il séjourne. Mais un enfant qui a subi un mauvais traitement ne peut pas aller se plaindre à son bourreau. Ne peut pas lui demander de l’aide à remplir un formulaire de plainte. Il y a un conflit d’intérêt. L’intervenante est en dehors du système et n’a pas ces conflits d’intérêts. Puis, contrairement à l’ombudsman, elle jouait un rôle proactif », ajoute une source.

À l’intérieur de son mandat, l’ombudsman aide en français

Si l’expertise francophone a été perdue pendant toute cette transformation, le bureau de l’ombudsman dit vouloir satisfaire aux attentes de son nouveau mandat.

« Le gouvernement a annoncé en novembre 2018 que seulement sa fonction d’enquête serait transférée à l’ombudsman, pas sa fonction de plaidoyer. La loi a seulement transféré la fonction d’enquête. Par conséquent, l’ombudsman a été obligé d’éliminer des postes axés sur la fonction de plaidoyer au sein du bureau de l’Intervenant », explique sa porte-parole, Linda Williamson.

Elle affirme que les services en français sont déjà bel et bien offerts. « Notre nouvelle Unité des enfants et des jeunes, qui se compose des enquêteurs/enquêteuses expérimentés du bureau de l’Intervenant, entre autres, a la capacité de traiter les cas en français, comme le reste de notre bureau. »

Encore récemment, le gouvernement a indiqué que la fonction de plaidoyer de l’ancien Intervenant serait coordonnée au sein du ministère des Services à l’enfance et des Services sociaux et communautaires.

Interrogé à ce sujet par ONFR+, le ministère est cependant resté vague sur la question. « Notre but est que chaque enfant ait l’aide dont il a besoin pour réussir », dit-il, affirmant avoir étendu le mandat d’enquête de l’ombudsman.

« Le ministère travaille aussi à trouver de nouveaux moyens pour influencer les programmes et services grâce aux expériences et au vécu des enfants et des jeunes », indique-t-on, dans une déclaration. Des tables rondes doivent aussi être mises en place pour entendre les propositions des jeunes, incluant les francophones, indique le ministère.