Entente Canada/Netflix : le double discours de la ministre Joly

La ministre du Patrimoine canadien, Mélanie Joly. Crédit image:

TORONTO – Quelle sera la place pour les producteurs francophones de l’extérieur du Québec dans l’entente conclue entre le Canada et Netflix? Les récentes déclarations de la ministre du Patrimoine canadien, Mélanie Joly, et du géant américain sèment le doute, mais l’industrie culturelle francophone minoritaire se tient prête.

ÉTIENNE FORTIN-GAUTHIER
efgauthier@tfo.org | @etiennefg

BENJAMIN VACHET
bvachet@tfo.org | @BVachet

Lors de la présentation de la politique culturelle du gouvernement et de l’entente de 500 millions $ sur 5 ans conclue avec Netflix, le jeudi 28 septembre, la ministre du Patrimoine canadien assurait à #ONfr que les producteurs francophones de l’extérieur du Québec ne seraient pas oubliés.

La ministre appuyait ses propos en citant l’enveloppe additionnelle de 25 millions $ pour une « stratégie de développement du marché pour le contenu et la production francophones, y compris dans les communautés francophones minoritaires », selon les mots de Mme Joly.

Seul problème, sur plusieurs tribunes médiatiques au Québec, la ministre a ensuite assuré que ces 25 millions seraient consacrés au développement du contenu francophone « seulement québécois », comme elle l’a affirmé à l’animateur de radio, Paul Arcand, sur le 98,5 FM. Une révélation que confirmait Netflix, dans un communiqué paru le 10 octobre et dans lequel la francophonie de l’extérieur du Québec était complètement oubliée.

« Nous avons encore du travail à faire lorsqu’il s’agit de trouver de bonnes histoires du Québec racontées en français. C’est pourquoi en plus du demi-milliard de dollars canadiens investi, nous nous sommes engagés à investir 25 millions de dollars canadiens dans des activités de développement de marché sur une période de cinq ans », indiquait le géant américain.

La ministre se veut rassurante

De quoi se questionner sur la place qu’occuperont réellement les créateurs francophones de l’extérieur du Québec, aussi bien au sein de l’entente avec Netflix que dans la politique culturelle canadienne.

De passage à Toronto le jeudi 12 octobre, la ministre a tenté de se faire rassurante, assurant que l’enveloppe de 25 millions serait bel et bien destinée à toute la francophonie canadienne.

« L’important, c’est de soutenir notre francophonie partout à travers le Canada. Il y a 25 millions dans l’entente pour le Québec et la francophonie canadienne. Et dans toute notre politique, nous avons développé une approche claire à notre soutien aux langues officielles, à tous les niveaux, dans toutes les agences. Que ça soit Téléfilm Canada, l’ONF ou Radio-Canada », a-t-elle déclaré.

La FCCF en mode solution

Prudente au moment du dévoilement de la politique culturelle du gouvernement, la Fédération culturelle canadienne-française (FCCF) se dit prête à faire confiance à la ministre Joly.

« Nous étions inquiets au début, mais Patrimoine canadien nous a confirmé que ce serait bien pour toute la francophonie canadienne. Cela dit, il va y avoir un travail de sensibilisation à faire auprès de Netflix. On ne sait pas encore comment vont être utilisés ces 25 millions et si c’est pour des activités de réseautage et des rencontres avec les créateurs de contenu, alors on veut s’assurer que ça ne se passe pas seulement au Québec afin de permettre à nos producteurs de tirer leur épingle du jeu », explique le président de l’organisme, Martin Théberge.

La FCCF aurait aimé que des quotas de contenus francophones soient également prévus dans l’investissement de 500 millions $ annoncé sur 5 ans par le géant américain.


« Ça nous déçoit énormément qu’il n’y ait aucune mesure pour les francophones, mais la ministre nous assure que c’est une entente intérimaire. Aujourd’hui, nous sommes en mode solution et collaboratif. On veut travailler avec le bureau de la ministre et lui fournir rapidement nos suggestions. » – Martin Théberge, FCCF


Balestra réaliste

Président et producteur de la compagnie de production franco-ontarienne Balestra, Mark Chatel, se montre réaliste.

« Netflix va surtout investir dans du contenu anglophone. Sur cinq productions par année, il y en aura peut-être une en français et il y a de grandes chances que celle-ci vienne du Québec. Je pense que le gouvernement aurait dû exiger que Netflix investisse dans le Fonds des médias du Canada. Ça aurait garanti une meilleure diversité et répartition des investissements. »

Le président et producteur de la compagnie de production franco-ontarienne Balestra, Mark Chatel. Crédit image : Twitter

Le président de Balestra ne baisse toutefois pas les bras.

« Ça va être difficile de se tailler une place, mais j’ai plusieurs idées qui pourraient les intéresser. On va frapper à leur porte. C’est quand même une bonne chose de voir un investissement de 500 millions $ sur 5 ans dans de la production originale canadienne. »

De manière plus générale, M. Chatel se dit interloqué par la vision culturelle du gouvernement.

« Le gouvernement parle beaucoup des succès du Canada au niveau international, avec Denis Villeneuve, Xavier Dolan, etc… mais ce ne sont pas tous les producteurs qui visent un rayonnement international. Quand on raconte des histoires de chez nous, ça n’a pas forcément de portée internationale, notamment quand on parle de nos communautés francophones de l’extérieur du Québec. »