Entente Netflix : le commissaire aux langues officielles blanchit le gouvernement

L'ancienne ministre du Patrimoine canadien, Mélanie Joly. lors du dévoilement de l'entente Netflix, en septembre 2017. Crédit photo: Benjamin Vachet

OTTAWA – Selon le commissaire aux langues officielles (CLO) du Canada, le gouvernement fédéral a respecté ses obligations linguistiques en concluant son entente avec le géant américain de la diffusion de contenu télévisuel en continu, Netflix.

BENJAMIN VACHET
bvachet@tfo.org | @BVachet

Dans un rapport préliminaire d’enquête dont #ONfr a obtenu copie, le commissaire Raymond Théberge estime que le ministère du Patrimoine canadien a pris les mesures positives adéquates « afin de favoriser le développement et l’épanouissement des Communautés de langue officielle en situation minoritaire (CLOSM) et de promouvoir le statut du français et de l’anglais dans la société canadienne ».

« L’enquête n’a pas permis de prouver que l’accord d’investissement conclu avec Netflix avait porté atteinte aux CLOSM ou au statut des deux langues officielles », explique le commissariat, jugeant les plaintes déposées « non fondées ».

Les plaignants reprochaient au gouvernement de ne pas avoir adopté de mesures positives pour promouvoir la production francophone hors Québec dans son accord ni adopté de mesures positives pour promouvoir la pleine reconnaissance et l’usage du français et de l’anglais dans la société canadienne.

Quatre plaintes

Le commissariat aux langues officielles avait reçu quatre plaintes sur cette entente annoncée en septembre 2017, au moment du dévoilement de la politique culturelle du gouvernement libéral, intitulée « Pour un Canada créatif ».

En parallèle de ce dévoilement, la ministre du Patrimoine canadien de l’époque, Mélanie Joly, avait annoncé avec satisfaction avoir obtenu un investissement de 500 millions de dollars sur cinq ans au Canada de la part de Netflix dans la production de contenus originaux, en français et en anglais.

Mais la décision du gouvernement de ne pas taxer les services de l’entreprise américaine avait valu à la ministre et à son gouvernement une pluie de critiques.

Dans le milieu culturel francophone, notamment au Québec, mais aussi dans les communautés francophones en contexte minoritaire, plusieurs s’inquiétaient également de l’absence de garanties d’un investissement minimal dans le contenu francophone.

Seule une enveloppe de 25 millions de dollars était assurée pour appuyer une stratégie de développement du marché pour le contenu et la production francophones, « y compris dans les communautés francophones minoritaires », avait précisé la ministre Joly. Mais dans ses propos ensuite, elle avait plusieurs fois inquiété le milieu des productions francophones hors Québec en ne parlant de cette enveloppe que pour soutenir la création québécoise.

Conclusion nuancée

Tout en disculpant le gouvernement, le commissaire reconnaît toutefois que des « incidences négatives ou indésirables » pourraient se manifester plus tard avec cette entente.

M. Théberge encourage donc le gouvernement à prendre des mesures pour répondre aux besoins et difficultés auxquelles les communautés francophones en contexte minoritaire font face en ce qui concerne les services de diffusion continue en ligne.

« La popularité grandissante de ces services pourrait avoir des incidences négatives sur les communautés francophones hors Québec, lesquelles doivent maintenant affronter la concurrence mondiale dans un marché où la langue par défaut est l’anglais la plupart du temps », écrit M. Théberge dans son rapport.

L’impact de la Colombie-Britannique

S’il a rappelé vouloir limiter ses commentaires « puisque l’enquête en question n’est pas encore terminée » et qu’il ne s’agit que d’un rapport préliminaire, le commissaire Théberge a tenu à apporter quelques précisions à #ONfr, rappelant la décision de la Cour fédérale de mai dernier, en Colombie-Britannique, que le CLO a portée en appel le 21 juin.

« Il est important de comprendre que la décision récente de la Cour fédérale dans le recours de la FFCB (Fédération des francophones de la Colombie‑Britannique c Canada (Emploi et Développement social Canada)) a une incidence considérable sur l’interprétation de la partie VII de la Loi sur les langues officielles. Cela se reflète dans le cadre de mes activités, par exemple sur l’enquête visant Patrimoine canadien et l’entente d’investissement avec Netflix. (…) Pendant que l’appel est en cours, notre interprétation des obligations de la partie VII de la Loi s’aligne avec la décision de la Cour fédérale dans le recours de la FFBC. (…) Étant donnée l’interprétation de la partie VII de la Loi par la Cour fédérale, je ne peux pas conclure sur les possibles répercussions négatives sans preuve concrète. »

Choquette dénonce un manque de collaboration

Un des plaignants, le député et porte-parole aux langues officielles pour le Nouveau Parti démocratique (NPD) François Choquette, dénonce le manque de collaboration du gouvernement dans cette enquête.

« Il nous a fallu 232 jours ouvrables pour avoir ce rapport [la norme de service habituelle étant de 175 jours ouvrables] et on n’y apprend rien de nouveau! Les enquêteurs ont bien fait leur travail, mais ils ont sans doute espéré jusqu’au bout plus de collaboration de Patrimoine canadien pour recevoir toutes les informations nécessaires. On ne sait toujours pas s’il y a une clause sur les communautés de langue officielle en situation minoritaire dans cette entente qui reste complètement secrète. Ça n’aurait pourtant pas nui à sa confidentialité! »


« Le commissaire aurait dû se choquer et dire qu’il n’avait pas assez d’information pour enquêter » – François Choquette, député NPD


Alors qu’il a près d’un mois pour faire ses commentaires au CLO, le député de Drummond annonce ses intentions à #ONfr.

« Je vais demander au commissariat de revoir ses conclusions. Il aurait dû dénoncer clairement le manque de collaboration de Patrimoine canadien. Il devrait aussi mentionner l’importance de revoir la Loi sur les langues officielles pour répondre au jugement en Colombie-Britannique et qu’on précise enfin ce que sont des « mesures positives ». Enfin, il devrait exiger d’avoir plus de pouvoirs pour réclamer l’accès à des documents quand ils sont nécessaires pour son travail. »