Ottawa tarde à envoyer l’argent promis aux établissements postsecondaires

La ministre des Langues officielles Ginette Petitpas Taylor.
La ministre des Langues officielles Ginette Petitpas Taylor. Crédit image: Stéphane Bédard.

OTTAWA – Lors du budget de 2021, le gouvernement Trudeau annonçait une nouveauté, 121 millions de dollars destinés aux institutions postsecondaires en milieu minoritaire. Voilà que près d’un an plus tard, ces établissements n’ont toujours pas vu la couleur de cet argent, mais la ministre des Langues officielles assure que cela arrivera sous peu.

Cet investissement qui représente 40 millions de dollars par année pendant trois ans avait été annoncé aux universités et collèges francophones dans la foulée des événements à l’Université Laurentienne.

L’Association des collèges et universités de la francophonie canadienne (ACUFC), qui représente 22 institutions à travers le pays, confirme qu’aucun de ses membres n’a reçu quoi que ce soit pour le moment. La ministre des Langues officielles Ginette Petitpas Taylor se défend, assurant que de « bonnes nouvelles » sont à venir prochainement.

« Il y a des universités qui ont reçu la nouvelle qu’elles vont recevoir l’argent. Les demandes ont été faites et évaluées, mais l’annonce officielle n’a pas encore été faite (…). Juste la semaine dernière, j’ai fait un sign off (approuver) sur plusieurs demandes. » 

Les établissements signalent qu’en raison du fait que l’année fiscale se termine à la fin du mois, l’argent doit arriver et être dépensé d’ici le 31 mars pour pouvoir rentrer dans le budget de la présente année. En comité parlementaire mercredi, Ginette Petitpas Taylor a refusé de confirmer si les fonds seraient remis d’ici la fin du mois. La présidente de ACUFC, Lynn Brouillette avance que les établissements ont été « flexibles » dans leur budget avec les montants promis par Ottawa.

« S’ils avaient eu la volonté, ils auraient trouvé des solutions » – Joël Godin, porte-parole conservateur aux Langues officielles

Il existe toutefois un flou, à savoir si ces 40 millions de dollars promis cette année seront reportés à l’année prochaine ou si le montant en 2022-2023 sera doublé pour compenser l’absence de financement cette année. En entrevue avec ONFR+, la ministre refuse de préciser quel montant sera remis aux institutions l’an prochain, mais répète « qu’il y a des universités qui savent exactement combien elles vont recevoir ».

Sur le retard, elle note que travailler avec de différentes instances provinciales complique les choses.

« Parfois, ce n’est pas toujours le fédéral, on doit travailler en étroite collaboration avec eux et on doit attendre qu’une demande de la province vienne chez nous, car on ne peut pas empiéter sur nos champs de compétence. »

Mais l’opposition officielle n’achète pas cette excuse, déplorant le retard, affirmant qu’Ottawa a « laissé miroiter » les administrateurs des établissements du pays.

« S’ils avaient eu la volonté, ils auraient trouvé des solutions », déplore le critique conservateur en Langues officielles Joël Godin.

« C’est manquer de respect envers les individus et institutions qui s’arrachent le cœur pour offrir l’instruction dans les milieux minoritaires », poursuit-il. « Même si Ottawa verse ce montant d’argent là, c’est irrespectueux envers les organisations. Il a déjà été annoncé ce 40 millions-là, c’est ça le problème, c’est aberrant, mais c’est la méthode libérale. »

Au Nouveau-Brunswick, l’Université de Moncton confirme à ONFR+ avoir fait une demande au fédéral et être toujours en attente d’une réponse. L’Université a dû faire de nombreuses coupures dans les dernières années, à la hauteur de plus de 25 millions de dollars.

« Ce modèle n’est pas viable à long terme et ne permet pas à l’Université de Moncton de jouer pleinement son rôle en Acadie et au sein de la francophonie canadienne et internationale, et ce, tout en préservant l’accessibilité des étudiantes et étudiants aux études postsecondaires avec des frais de scolarités abordables », a dit Denis Prud’homme, recteur et vice-chancelier de l’Université de Moncton dans une déclaration écrite.

L'Université Laurentienne. Crédit image: Pascal Vachon
L’Université Laurentienne a connu plusieurs difficultés financières dans les derniers mois. Crédit image : Pascal Vachon

Idem pour l’Université Laurentienne qui atteste avoir déposé une demande auprès de Patrimoine canadien.

« Le financement mis à disposition par le gouvernement fédéral est important pour l’Université Laurentienne. La prestation de nos programmes académiques complets est au cœur de nos préoccupations et sera prioritaire dans tous les scénarios », a indiqué l’Université Laurentienne dans une déclaration.

De l’argent qui fait une différence

Pour les petits collèges et universités francophones à l’extérieur du Québec, l’argent distribué par les gouvernements est essentiel pour le bon fonctionnement de leurs activités.

 « Ce sont des montants importants. L’enjeu là-dedans est que la compétition est forte avec les institutions anglophones, on doit se démarquer. On a déjà une belle programmation de qualité, mais il y a aussi le reste avec la vie étudiante qui est importante. Les étudiants veulent une vie étudiante intéressante et pour ça il faut des ressources qui sont modernes avec la technologie nécessaire », explique Lyne Brouillette.

Cette semaine, Ottawa a annoncé fournir 3,8 millions de dollars à l’Université Saint-Paul pour la construction d’un pavillon avec de l’argent qui faisait toutefois partie d’une autre enveloppe de 80 millions de dollars pour les infrastructures éducatives. La province fournit aussi le même montant pour un total de 6,8 millions de dollars.

« Six millions de dollars sur un budget opérationnel de 25 millions, c’est énorme. C’est le 1⁄5 de nos opérations. Tandis que pour les grosses universités, c’est de l’argent qui va se perdre dans les milliards de dollars en budget », estime la rectrice Chantal Beauvais.

La rectrice de l'Université Saint-Paul Chantal Beauvais
La rectrice de l’Université Saint-Paul Chantal Beauvais. Crédit image : Pascal Vachon.

Il y a quelques mois, Mme Beauvais affirmait à ONFR+ que sans changement et nouvel afflux d’argent, Saint-Paul serait dans le risque de fermer les portes d’ici 10 à 15 ans. Mais si des annonces comme celle-ci se multiplient, le vent pourrait vite tourner de bord, manifeste-t-elle.

« C’est ça qui est intéressant avec le fédéral, ils savent que leurs institutions sont fragiles et les annonces sont arrivées à un moment où ils en avaient vraiment besoin. »

En campagne électorale, les libéraux avaient promis de doubler ce montant à 80 millions de dollars. L’année de son entrée en fonction est encore inconnue, mais le tout devrait être connu une fois que le budget sera sorti. La ministre des Finances n’a pas encore annoncé de date, mais le dernier budget avait été déposé en avril dernier.