Explosion du nombre de membres des groupes Facebook avec la crise linguistique

Crédit image: Sébastien Pierroz

La crise linguistique ontarienne s’est transportée sur les médias sociaux. Recherches d’informations, partages d’articles, échanges sur la situation, les groupes de discussions franco-ontariens sur Facebook offrent une agora plus qu’intéressante pour les internautes. À tel point que leur nombre de membres a explosé depuis les annonces de Doug Ford, le 15 novembre.

SÉBASTIEN PIERROZ
spierroz@tfo.org | @sebpierroz

Carole Lafrenière-Noël n’en croit pas encore ses yeux. Le groupe Franco-Ontariens du Nord de l’Ontario, dont elle est l’administratrice, compte maintenant plus de 15 000 membres. Avant les compressions aux services en français, il n’en comptait pas tout à fait 4 000.

« Avant, c’était une heure et demi par jour de travail, maintenant c’est comme trois heures par jour », affirme cette retraitée. « Il faut juste m’assurer que les choses vont bien. Ces heures de travail vont de la lecture des autres médias pour alimenter la page du groupe, voir quelle est la nature des échanges entre les membres, voir si il y’a des annonces publicitaires qui se sont glissées ou bien encore, des gens qui veulent devenir membres. »

Annulation du projet de l’Université de l’Ontario français et fin de l’indépendance du commissaire aux services en français, la note était manifestement trop salée, estime l’administratrice. « C’est l’effet d’entraînement. Les gens étaient révoltés et voulaient se mobiliser. Avant, ils s’inscrivaient un a un, maintenant, ils invitent leurs amis. Les gens étaient passionnés, voulaient être au courant de ce qui se passait. »

L’adhésion à un groupe s’effectue le plus souvent en une seule manœuvre. En cliquant sur « rejoindre le groupe », les internautes peuvent librement commenter et poster à leur tour des publications.

Un groupe à plus de 27 000 membres

Même son de cloche pour Mathieu Fortin. Cet influenceur sur les médias sociaux, visage familier des francophones d’Ottawa, est maintenant l’administrateur du groupe de discussions franco-ontarien numéro 1 sur Facebook. Avec plus de 27 000 membres, contre moins de 4 000 avant la crise, Je suis Franco-Ontarien / Franco-Ontarienne devance désormais tous les autres.

« Avec la crise, le groupe a perdu sa nature franco-ontarienne. C’est devenu une place centrale où l’on veut avoir des nouvelles maintenant. On a des gens de partout en Ontario et dans les autres provinces, alors que les membres étaient à la base centrés à Ottawa. Nous avons ici une opportunité de promouvoir les articles culturels, pas seulement la crise. »

L’administrateur du groupe Je suis Franco-Ontarien / Franco-Ontarienne, Mathieu Fortin. Source : Facebook Mathieu Fortin

Des membres supplémentaires qui nécessitent là encore plus de tâches. « Il y a évidemment beaucoup plus d’action. Je n’ai plus le temps de regarder chacun des profils des gens qui veulent être membres, ce que je pouvais faire avant… J’en élimine quand même, je veux garder cela assez canadien. »

Si le groupe de Mme Lafernière-Noël et M. Fortin, ainsi que celui Fier d’être Franco-Ontarien / Fier d’être Franco-Ontarienne tiennent le haut du pavé, d’autres aussi existent, bien que plus « locaux ». C’est le cas de Franco-Ontariennes et Franco-Ontariens d’Orléans… avec un accent. Fondé au printemps dernier, le groupe a vu ses membres doubler pendant la crise linguistique.

Certes, ce n’est pas un chiffre multiplié par 4 ou 5 comme les deux autres groupes, mais les 672 adhérents (en date de lundi soir) satisfont son administrateur, Diego Elizondo. « Les gens sont peut-être plus portés à aller vers des groupes provinciaux, surtout en période de crise linguistique. »

Et de poursuivre : « Il y a beaucoup de commentaires, de réactions, mais il faut laisser libre cours à la liberté d’expression. »

Assurer le respect entre les membres

Cette explosion des membres pose bien sûr des défis pour les administrateurs. En premier lieu, d’assurer des échanges respectueux. Une chose pas toujours facile en pleines tensions linguistiques.

« Avant, les gens commentaient ici et là, maintenant il faut suivre de pas mal plus près », raconte Mme Lafrenière-Noël. « J’ai dû dire à certains moments de faire attention au langage. Il ne faut pas tomber dans les vulgarités. J’ai dû mettre les points sur les i. Initialement, je le faisais en privé, mais j’ai vu que j’étais toujours en train de courir avec l’un et l’autre. Au bout d’un moment, j’ai lancé un message clair au public. »

Avec des publications qui se multiplient, beaucoup sont automatiquement laissées en bas de page par l’algorithme de Facebook. Une situation parfois frustrante. « Des choses passent dans le beurre, avec l’algorithme », constate M. Fortin. « Beaucoup de gens m’écrivent pour me demander pourquoi j’ai supprimé leur publication, alors que je n’ai rien touché. »

Et maintenant? « Est-ce que le groupe va s’essouffler, c’est une question que je me pose beaucoup », admet M. Fortin. Son homologue de Franco-Ontariens du Nord de l’Ontario est persuadée que le groupe peut amener des actions citoyennes. « En lisant les commentaires, je peux voir qu’il y a toutes sortes d’idées qui sont en train de mijoter. Que le groupe contribue à ce que certains anglophones sachent dix petites phrases en français dans les commerces du Nord de l’Ontario pourrait être un début. »