Fayza Abdallaoui ou le combat des femmes immigrantes francophones

Fayza Abdallaoui, présidente du MOFIF. Crédit image :

[LA RENCONTRE D’ONFR]

TORONTO – Fayza Abadalloui est présidente bénévole du Mouvement pour les femmes immigrantes francophones en Ontario (MOFIF) mais également entrepreneuse et consultante à la cellule Oasis centre des femmes. Née en Suisse, élevée en Algérie, ayant fait ses études en France et maintenant torontoise depuis dix ans, elle a eu recours au soutien communautaire pour s’intégrer, avant d’aider à son tour les nouvelles arrivantes francophones à Toronto. Elle revient avec nous sur son parcours, commun à celui de tant d’autres femmes, et sur les enjeux qui touchent cette partie de la population immigrante souvent plus vulnérable à bien des égards.

ROZENN NICOLLE
rnicolle@tfo.org | @Rozenn_TFO

Vous aidez des femmes immigrantes, vous en êtes une vous-même. Est-ce que vous avez connu les défis des femmes que vous aidez aujourd’hui?

Oui, tout à fait. Je pense que l’engagement que j’ai pris auprès du MOFIF est lié directement à mon expérience. Je suis arrivée enceinte, donc j’ai pris quelques mois pour m’occuper de mon enfant et puis à mon retour sur le marché du travail, j’ai pris une claque. Je ne m’attendais pas à ce que mon expérience précédente ne soit pas prise en compte et puis j’ai entendu ce fameux « overqualified » que je ne comprenais vraiment pas, ça a été très difficile à accepter. Ça allait vraiment à l’encontre de l’image que j’avais du pays.

Et puis la deuxième étape, totalement par hasard, ça a été de découvrir aussi le soutien des associations communautaires qu’on peut avoir ici et que je ne connaissais pas. J’étais passée par l’aventure parisienne où les immigrants n’ont pas ce type de soutien. Et de là, j’ai décidé de lancer mon entreprise, et j’ai été une des premières clientes d’Oasis centre des femmes pour leur programme pilote de soutien au lancement d’entreprise par des femmes entrepreneurs.

Parlez-nous un peu d’Oasis centre des femmes. Comment vous a-t-il aidé?

Dans le cadre de leur travail pour la sécurité des femmes, ils développaient toute une partie économique parce qu’une femme qui est intégrée économiquement est plus en sécurité face à différentes menaces, à la violence sous toutes ses formes, la violence économique en étant une. J’ai découvert l’entreprenariat et puis j’ai découvert le communautaire, j’ai découvert la question de la violence faite aux femmes. J’ai été très étonnée de retrouver cette situation dans un pays comme le Canada. Les garderies par exemple…

Que ce soit encore une problématique pour les Canadiennes et les Canadiens d’avoir accès à une garderie à un prix acceptable, c’est quelque chose auquel je ne m’attendais pas du tout. Et c’est un frein énorme à la participation des femmes sur le marché du travail. Et ça a été un frein pour moi aussi. Donc j’ai découvert tout ça, et j’ai redécouvert ce que c’était que le féminisme aujourd’hui. Et enfin j’ai découvert cette communauté francophone, pleine de potentiel, pleine d’histoire, de succès, de difficultés aussi.

Par Oasis, vous avez découvert le MOFIF dont vous êtes aujourd’hui présidente. Que fait cet organisme?

C’est un organisme qui va fêter ses 15 ans cette année et qui a pour objectif de soutenir les femmes immigrantes francophones dans leur épanouissement, qu’il soit social, économique, personnel, culturel et civique également. On travaille autour de trois piliers : d’abord la recherche, puis la formation et enfin la revendication, donc aller chercher des évolutions sur des lois, sur des pratiques, sur des projets, soutenir des organismes, etc.

Quand on est une femme immigrante francophone en Ontario, quels sont les enjeux majeurs que l’on rencontre?

Combien de temps on a? (rires). Il y en a beaucoup. On s’est beaucoup orientés depuis deux ans sur le développement économique et sur l’autonomisation. On a établi les barrières au développement économique des femmes immigrantes et en a ressorti huit éléments dont la langue, dont la question de la garderie, l’équivalence des diplômes, l’expérience canadienne.

On nous dit par exemple qu’il faut passer par du bénévolat, mais ce bénévolat doit être stratégique, il faut qu’on arrive à être accompagné pour y développer des compétences transférables, et puis effectivement travailler aussi avec des organismes anglophones pour offrir des opportunités de pratiquer la langue. On parle de 80 % d’emplois en anglais dans la province donc c’est une réalité économique auquel il faut préparer les femmes. On veut également développer la littératie financière.

Pourquoi c’est important la littératie financière pour une femme immigrante?

La littératie financière c’est développer les connaissances, les compétences et les aptitudes de gérer sa vie au mieux et le budget pour une femme immigrante va être complètement différent. On arrive, on reconstruit sa vie, donc on n’a pas forcément les mêmes biens, le même patrimoine, on n’a pas le soutien du réseau, il faut qu’on reconstruise son système donc repartir avec des salaires plus bas. En plus, quand on est femme racialisée, ce qui est le cas de la majorité de la communauté immigrante francophone aujourd’hui, et bien statistiquement on va être encore moins payé qu’une femme caucasienne.

Il y a des écarts de salaire qui sont très importants. En plus, les femmes travaillent majoritairement dans des secteurs sous-payés (travail social, éducation, etc.). On va aussi vivre potentiellement plus, donc il faudrait qu’on cotise plus pour la retraite. On va s’arrêter potentiellement pour les enfants ou pour s’occuper d’une personne âgée. Dans certaines communautés, on va aussi soutenir la famille qui est restée au pays. Donc les budgets ne sont pas les mêmes et c’est important d’éduquer.

On a assisté à une libération de la parole des femmes dernièrement, avec, entre autres, le mouvement « Me Too ». Qu’est-ce que ça vous inspire?

Il faut en parler. Il va falloir que ça s’arrête avec une génération. Est-ce que c’est celle qui vient? J’espère. Ce mouvement « Me Too », et puis d’autres, j’espère seulement que ce n’est pas un mouvement de plus parce que si y’a un organisme comme Oasis qui existe depuis 25 ans, c’est que la problématique n’est pas nouvelle, c’est juste qu’on pensait que ça ne touchait qu’un certain type de femme.

Il y a trois choses qui sont importantes aujourd’hui : que la parole se libère puis qu’elle soit respectée et écoutée, qu’on se tourne vers les experts parce qu’il y a des centres de femmes et des personnes qui sont engagées dans ce combat là depuis des années, et la troisième c’est que la justice se mette au diapason et aille plus vite pour adapter ses procédures, que le processus de justice s’humanise.

Est-ce que les femmes immigrantes francophones sont encore plus touchées par ces problèmes, selon vous?

Il y a une vulnérabilité plus grande. Au niveau financier, au niveau culturel également : qu’est-ce qui est considéré comme du harcèlement sexuel en milieu de travail au Canada? Ça va être différent de la définition qu’on a en France ou en Afrique. Un superviseur qui sait que la personne vient d’une autre culture peut se dire qu’elle ne connait pas les limites. Il y a aussi la question de l’expérience professionnelle, c’est tellement difficile et tellement important de réussir sa première expérience professionnelle qu’on peut être aussi victime de chantage.

Le gouvernement ontarien a déposé cette semaine un projet de loi pour l’autonomisation économique des femmes. Qu’est-ce que vous en pensez?

C’est un premier pas. La question de l’égalité de salaire, c’est un élément parmi d’autres. Là on parle spécifiquement d’entreprises qui ont plus de 250 employés, ça veut dire que ça ne touche pas forcément tout le monde car plus de 95 % des entreprises en Ontario sont des petites et moyennes entreprises. Je comprends que d’un point de vue économique, si les femmes se rendent compte qu’elles sont moins bien payées, il va y avoir de la revendication et quand on est une grande entreprise c’est peut-être plus facile d’absorber cette augmentation de salaire que pour une petite entreprise où ça peut les mettre en difficulté. Mais aux entreprises aussi de prendre leurs responsabilités, car il y a des conséquences dramatiques à ces différences de salaires.

Sans oublier que quand on est immigrante, qu’on ne parle pas anglais et qu’on est racialisée, on est aussi payé moins. Donc même si je comprends économiquement, en rationalisant, que ce ne soit pas allé plus loin, je trouve que ce n’est pas suffisant. Il y a un moment où les entreprises doivent être tenues plus responsables de leur impact social.


LES DATES-CLÉS DE FAYZA ABDALLAOUI :

1977 : Naissance à Genève (Suisse)

1982 à 1994 : Enfance en Algérie

1994 : Déménagement à Paris pour suivre des études en philosophie et en communication

2008 : Arrivée au Canada

2012 : Première mission à Oasis centre des femmes

2014 : Élue présidente du Mouvement pour les femmes immigrantes francophones en Ontario (MOFIF) puis réélue en 2017

2016 : Création de l’agence Next Level – Impact consulting

Chaque fin de semaine, #ONfr rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.