Femmes, noires et francophones, elles veulent conquérir la « tech »

De gauche à droite: Jessica Dikongué, Justine Gomis, Christine Dikongué et Corine Yao. Crédit image: Rudy Chabannes

TORONTO – Une trentaine de francophones ont participé à la deuxième édition de Move The Dial, un sommet mondial qui interconnecte les femmes actives et d’affaires impliquées dans l’univers des technologies. ONFR+ les a rencontrées. 

Entre conférences et réseautage, le sommet Move the Dial fait partie de ces rendez-vous torontois qui peuvent changer une trajectoire professionnelle, à condition d’avoir 450$ en poche – le prix du ticket d’entrée.

Pour court-circuiter les pièges de la discrimination à l’embauche et à la progression de carrière, une trentaine de femmes ont joué des coudes afin de rencontrer les dirigeants d’entreprises qui les inspirent. Avec une idée en tête : marcher sur leurs traces pour atteindre leurs objectifs dans un univers, les technologies, où la diversité fait encore bien souvent défaut.

Aujourd’hui, la tech recouvre de nombreux champs professionnels qui côtoient l’innovation : la recherche, l’industrie, la finance, la biologie, les communications…

Chistine Dikongué : « Saisir le bon wagon »

« Quand on est une femme, noire, et francophone, on se sent en minorité », constate Christine Dikongué, qui a obtenu la trentaine de sésames gratuits par le biais de l’Unité de lutte contre le racisme anti-noir de la Ville de Toronto et l’organisation Move the Dial. « Si on veut changer les choses, il faut être le changement. Quand on vient au Canada avec des rêves, ces conférences facilitent les contacts, ouvrent des portes et donnent confiance en soi. »

Et de poursuivre : « Je voulais montrer à ces femmes que c’est possible de réussir et qu’il faut réfléchir le plus tôt possible, pendant qu’on est à l’université, à comment on va naviguer dans l’espace professionnel, obtenir des postes clés. »

Christine Dikongué a facilité la venue d’une trentaine de participants. Crédit image : Rudy Chabannes

Arrivée à Toronto il y a une dizaine d’années, consultante dans une grande banque et directrice nationale au sein de la Chambre de commerce noire du Canada, Christine Dikongué connaît la réalité des immigrantes venues d’Afrique qui, souvent hautement diplômées et qualifiées, se voient proposer des postes dans les centres d’appel parce qu’elles sont bilingues.

« Quand on arrive ici, on ne réalise pas les opportunités qui sont à nos pieds », ajoute-t-elle. « On a un bagage culturel, des diplômes mais on n’ose pas prendre des risques. »

La cofondatrice de l’Union des francophones du Collège Glendon et ancienne présidente du Glendon African Network rappelle qu’aucune université du sud de l’Ontario ne dispense de cours de technologie en français.

« Les étudiants n’ont pas l’occasion de faire des collaborations entre filières, car tout le monde étudie soit l’art, soit l’économie, soit le business. Personne ne fait de la pure technologie. Ça crée un fossé. Si tu es francophone et que tu immigres à Toronto, si tu ne viens pas d’un cursus de science, tu vas rester en arrière et manquer le wagon, car le monde est en train de franchement partir dans les technologies. »

Corine Yao : « Choisir ses batailles »

Diplômée en économie au Collège Glendon, Corine Yao, 23 ans, travaille dans la finance, « un milieu dominé par les hommes caucasiens », a-t-elle pu se rendre compte. « On se retrouve dans des espaces où on a envie de donner son opinion, mais où on se sent intimidée », dit la jeune femme originaire de Côte d’Ivoire.

« Quand tu es la plus jeune et la seule personne noire dans une salle de réunion, tu as des difficultés à trouver ta voix. Ce que j’ai appris ici, au contact de gens qui ont vécu des situations identiques, c’est de choisir mes batailles, trouver un allié ou un mentor. C’est valable au travail comme dans la vie. »

Corine Yao travaille dans la finance en ligne. Crédit image : Rudy Chabannes

Corine Yao a apprécié rencontrer des professionnels de son domaine, autant de recruteurs potentiels à l’avenir. « J’ai demandé des conseils à des personnes qui ont réussi. Ça donne des pistes et de la motivation pour arriver au même stade. La communication passe mieux car il n’y a pas la pression d’un entretien d’embauche. C’est avant tout du réseau. »

Justine Gomis : « Gravir les échelons »

Un avis que partage Justine Gomis. Arrivée il y a trois ans à Toronto, cette spécialiste en marketing et communication est venue étoffer son carnet d’adresses afin d’amorcer un virage professionnel dans les médias et le divertissement.

« Pour gravir les échelons, il faut soit avoir des connexions dans tous les domaines. Ici, j’ai rencontré des gens qui me ressemblent à des niveaux élevés dans leur compagnie. C’est inspirant, surtout dans les métiers liés aux technologies », un secteur en déficit de diversité, selon elle.

« Les systèmes développés par des gens blancs sont souvent développées pour des gens blancs », relève Justine Gomis. « Beaucoup de scanners dans les aéroports, par exemple, ne marchent pas sur les personnes de couleur, car ils ont été conçus sans les tester sur des personnes noires. Ces passagers sont mis de côté et ont plus de chance d’être palpés que les autres. »

Justine Gomis, spécialiste en marketing et communication. Crédit image : Rudy Chabannes

« C’est pareil pour certains distributeurs de savon dont le mécanisme optique ne détecte pas la couleur de la peau. Si il y avait des gens de couleur dans ces entreprises, on n’en serait pas là. »

Justine Gomis a travaillé en France dans des société où elle était la seule femme issue de minorité visible. « La diversité? On la voyait dans les stagiaires ou les intérimaires. Je ne suis pas parvenue à décoller de la position de spécialiste. Quand on arrive au Canada, on nous offre des jobs dans les services à la clientèle alors qu’on a un niveau master. La différence, c’est qu’ici, le réseautage et le sponsoring sont plus développés qu’en France. »

Jessica Dikongué : « Un monde d’opportunités »

En quatrième année de biologie à l’Université de York, Jessica Dikongué, 21 ans, n’a pas encore une idée arrêtée de ce qu’elle fera une fois son diplôme en poche. Elle est venue découvrir les différentes possibilités qu’offrent les technologies et cerner dans quel domaine elle voudrait s’orienter, se spécialiser.

« Voir des créateurs et des directeurs d’entreprise avec une telle proximité, ça donne de la confiance, de l’inspiration et de la motivation », confie la jeune femme d’origine camerounaise, décrivant un « monde d’opportunités. »

« J’ai discuté avec des gens qui viennent du même milieu et du même domaine que moi. La biologie et les technologies sont très liées. En tant que femme et scientifique, je me rends compte ici que j’ai un rôle à jouer dans l’innovation de demain. »

Jessica Dikongué, étudiante en biologie à l’université de York. Crédit image : Rudy Chabannes