Fonds Greenberg : « C’est un coup dur pour la production francophone »

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OTTAWA – La fin du financement de Bell Média au programme français du Fonds Harold Greenberg, annoncée le 25 août, est dénoncée par le milieu de la production francophone en contexte minoritaire qui craint son impact sur un écosystème très fragile.

Tracy Legault est en plein tournage à Sudbury. Dans le Nord de la province, la productrice exécutive de Carte Blanche Films Inc. produit son premier long métrage, La Switch, réalisé par Michel Kandinsky et mettant en vedette François Arnaud, Roch Castonguay, Lothaire Bluteau et Sophie Desmarais.

« J’espère pouvoir le présenter à l’automne 2021 si tout se passe bien », explique la productrice franco-ontarienne qui travaillait plutôt, jusqu’ici, pour la télévision et notamment des productions jeunesse. « Mais j’aimais vraiment le sujet de La Switch. On a travaillé pendant cinq ans pour l’écrire et boucler le financement. »

Son film, qui s’intéresse à la guerre et son impact sur les soldats, bénéficie d’un budget de 1,4 million de dollars. Pour boucler son montage financier, Mme Legault a obtenu une aide du Fonds Harold Greenberg.

« Avec la pandémie de COVID-19, on ne savait vraiment pas si on pourrait tourner. Finalement, c’est le cas, mais ça prend des mesures supplémentaires qui ont un coût et que l’aide du Fonds Harold Greenberg va nous permettre de financer. »

La somme obtenue, 50 000 $, peut paraître bien mince dans le budget total du film, mais elle demeure essentielle pour respecter ses obligations financières, dit-elle.

50 millions en 25 ans

Alors qu’elle a obtenu cette aide pour la première fois malgré d’autres demandes, c’est avec regret que Mme Legault a appris la décision de Bell Média de mettre fin à ses contributions au programme français du Fonds Harold Greenberg. Des contributions qui lui avaient été imposées jusqu’au 31 août 2020 par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) au titre des avantages tangibles découlant de la transaction BCE/Astral.

« Le financement en matière de production de long métrage francophone est très limité. Comme producteurs francophones en milieu minoritaire, nous sommes déjà marginalisés. Là, ça va être encore plus difficile de pouvoir tourner et ça fragilise la création. J’aurais pu produire La Switch sans ces fonds, mais je sais que plusieurs de mes collègues font de plus grosses demandes et que la disparition de cette aide peut vouloir dire la fin de certains projets. »

En 25 ans, le Fonds Harold Greenberg a versé plus de 50 millions de dollars pour soutenir quelque 1 500 projets, principalement des longs métrages de fiction, mais aussi des documentaires, des émissions pour enfants, des événements spéciaux, des émissions musicales et des vidéoclips.

« Ce fonds permettait de développer des scénarios et de monter une structure financière pour la production de long métrage. Sa disparition est une perte significative pour le développement de talents. C’est un coup dur pour la production francophone », réagit la directrice générale de l’Alliance des producteurs francophones du Canada (APFC), Carol Ann Pilon, en entrevue avec ONFR+.

« De nombreuses voix et autant d’univers culturels risquent désormais d’être réduits au silence » – Carol Ann Pilon, APFC

Même son de cloche du côté du Front des réalisateurs indépendants du Canada (FRIC) « très alarmé » par la décision de Bell Média.

« Plusieurs réalisateurs des communautés de langue officielle en situation minoritaire ont eu la chance de bénéficier du Fonds Harold Greenberg. Cette décision aura un impact très négatif sur ces créateurs qui sont constamment en situation précaire », écrit l’organisme dans un communiqué de presse.

Le FRIC demande à Bell Média de reconsidérer sa décision.

« Sans cet appui, toute l’industrie cinématographique franco-canadienne sera fragilisée voire même en péril. »

Bell Média justifie sa décision

Joint par ONFR+, Bell Média renvoie vers le communiqué de presse émis le 31 août. L’entreprise explique sa décision par les circonstances liées à la COVID-19 et le besoin d’investir dans la relance de Noovo [anciennement V].

« Nous sommes fiers de l’investissement effectué dans le Fonds Harold Greenberg et de l’héritage qu’il laissera à l’industrie cinématographique québécoise », y déclare la présidente de Bell Média Québec, Karine Moses.

Une rhétorique qui ne convainc pas Mme Pilon qui souhaiterait voir Bell Média poursuivre son implication au-delà de la date imposée par le CRTC, alors que le programme de langue anglaise du Fonds Harold Greenberg a été maintenu pour les 12 prochains mois avec le soutien de Crave.

« L’acquisition récente de V lui confère une part plus importante du marché et ce succès devrait l’inciter à maintenir son soutien au Fonds Harold Greenberg afin de conserver son influence positive sur la culture francophone à l’échelle canadienne », estime l’APFC. 

Bonifier et revoir le financement de Téléfilm Canada

Même si le financement offert ne suffisait pas toujours à garantir la réalisation d’un long métrage, il assurait un gage de sérieux propre à rassurer d’autres bailleurs de fonds, explique Mme Pilon.

« Et puis, ce fonds avait une composante spécifique francophone que n’ont pas d’autres programmes. En Ontario, par exemple, nous avons Ontario créatif, mais nous sommes en concurrence avec les producteurs anglophones », ajoute-t-elle.

L’APFC souhaiterait d’ailleurs que Téléfilm Canada s’inspire de l’exemple du Fonds Harold Greenberg et du Fonds des médias du Canada.

« On voudrait qu’une partie de son enveloppe francophone soit consacrée à la production francophone en milieu minoritaire. Cela contribuerait à structurer et professionnaliser le milieu. »

Et au-delà de cette réorganisation, c’est même une bonification financière qu’espère l’APFC.

« Le financement de Téléfilm Canada est le même depuis de nombreuses années. Dans leur plateforme, les libéraux avaient promis une augmentation de près de 50 % par an, alors on va surveiller le discours du Trône le 23 septembre. On espère un engagement. »