Ford et la crise linguistique : « Le vote francophone lui est perdu »

Le premier ministre, Doug Ford, et ses électeurs, durant la campagne. :Source: Twitter Doug Ford

Trois semaines après son déclenchement, la crise linguistique connaît un retentissement toujours national. De là à pénaliser Doug Ford dans les urnes lors des prochaines élections? Les trois politologues interrogés par #ONfr jugent l’option peu probable. En revanche, l’équation serait très différente dans les circonscriptions marquées par le fait francophone.

SÉBASTIEN PIERROZ
spierroz@tfo.org | @sebpierroz

« On peut penser qu’il y a des francophones qui ont été heurtés par Doug Ford et qui risquent évidemment de délaisser le Parti progressiste-conservateur », estime le politologue de l’Université d’Ottawa, François Charbonneau. « Les gens vont avoir la mémoire longue. »

Depuis les dernières élections en juin, la province possède 124 circonscriptions, dont deux où les francophones sont majoritaires : Glengarry-Prescott-Russell dans l’Est ontarien où Amanda Simard siège dorénavant comme indépendante, et Mushkegowuk—Baie James détenue par le néo-démocrate Guy Bourgouin.

Une dizaine d’autres circonscriptions voient le nombre de Franco-Ontariens tendre vers les 20 % ou y demeurer même supérieur. C’est le cas, par exemple, d’Ottawa-Orléans (plus de 33 %, selon le recensement de Statistique Canada en 2016), où les libéraux et les conservateurs sont toujours au coude-à-coude tant au palier provincial que fédéral.

Les décisions du gouvernement annoncées le 15 novembre, à savoir l’annulation de projet de l’Université de l’Ontario français et la suppression du poste de commissaire aux services en français de François Boileau, ont provoqué la crise linguistique la plus forte depuis SOS Montfort en 1997.

« La communauté francophone n’est pas prête à l’oublier », renchérit Stéphanie Chouinard, politologue au Collège militaire royal du Canada. « Ce sera surtout le cas dans les circonscriptions où la masse démographique est importante comme Ottawa-Orléans ou Glengarry-Prescott-Russell. Les électeurs en règle générale ne votent pas pour un enjeu précis, mais là, on a touché une corde sensible pour ce qui est de l’électorat francophone. Tant et aussi longtemps que Doug Ford sera là, le vote francophone lui est perdu. »

Un argument qui pourrait s’étendre aussi à la circonscription d’Ottawa-Sud, remportée sur le fil par le libéral John Fraser, lors des dernières élections. Un cas de figure similaire pour Ottawa-Ouest-Nepean, bien que passée sous le giron progressiste-conservateur avec Jeremy Roberts, après 15 années d’hégémonie libérale.

Le Nord devrait être épargné

Pour le Nord, l’équation devrait tout de même être différente, pour Mme Chouinard qui ne voit pas de pertes possibles pour le parti au pouvoir. « Dans le Nord, il n’y pas de beaucoup de circonscriptions qui votent progressiste-conservateur. Lors de la dernière campagne électorale, Doug Ford avait tenté d’y aller, mais ça n’a pas été payant le jour du vote. »

Pour Peter Graefe de l’Université McMaster de Hamilton, la pente sera difficile à remonter pour Doug Ford là où les francophones sont présents. « La mobilisation des Franco-Ontariens pose une première opposition au gouvernement Ford, une opposition imprévue. »

Et de poursuivre : « Ça va être oublié dans le quotidien de la politique ontarienne, mais il y aura quand même toute une marche à gravir afin que Doug Ford trouve des appuis dans l’électorat francophone. Il faudra éviter que les francophones se tournent en masse vers les néo-démocrates et les libéraux. »

Impact très limité à Toronto

Toujours est-il que pour les trois politologues, l’impact des compressions de Doug Ford sera beaucoup plus mince, là où les francophones sont peu présents. Comprendre dans la grande région de Toronto, la base électorale justement de la Ford Nation. « Ça plaît à une partie de l’électorat de Doug Ford cette ligne dure. Les francophones restent un sujet très loin », laisse entendre M. Charbonneau.

« Et puis, la crise linguistique a commencé il y a à peine un mois. Le gouvernement de Doug Ford ne sera pas jugé sur cela avant les prochaines élections, c’est-à-dire dans trois ans et demi. D’autres thèmes peuvent entre-temps s’imposer. »

L’argument de l’oubli est aussi partagé par Mme Chouinard. « Les compressions francophones ont un impact à Toronto, car elles font partie d’une série d’autres coupures, comme le commissaire à l’environnement et l’intervenant provincial en faveur des enfants et des jeunes. Mais les électeurs ont la mémoire courte. Dans la deuxième partie de son mandat, Doug Ford pourrait décider, comme l’ancien premier ministre du Québec, Philippe Couillard, de faire des réinvestissements. C’est une stratégie que l’on voit régulièrement, mais qui n’a pas marché pour Philippe Couillard. »

Les décisions de Doug Ford pourraient-elles trouver écho auprès d’électeurs francophobes? « Il y a quand même certains membres de l’électorat de Doug Ford qui pourraient se poser la question, mais je ne pense pas que ce soit sur le radar de ces gens-là », analyse Peter Graefe.

Pour le politologue de l’Université McMaster, le premier ministre pourrait être même tenté de mettre de l’eau dans son vin au cours des prochains mois. « Le taux d’approbation de sa politique n’est pas très haut. La lune de miel avec les électeurs a été de très courte durée. »