Ford et les francophones, entre méfiance et attente

Doug Ford, chef du Parti progressiste-conservateur (Parti PC) lors du dévoilement du budget 2018 à Toronto. Crédit image: Maxime Delaquis

[ANALYSE]

TORONTO – Depuis plusieurs semaines, il est celui dont les moindres prises de parole et déplacements sont épiés. Direct et sans fard, Doug Ford attire, autant qu’il repousse. Derrière les portes-closes, beaucoup de francophones s’inquiètent.

SÉBASTIEN PIERROZ
spierroz@tfo.org | @sebpierroz

Car s’il reste le grand favori des élections du 7 juin, le chef du Parti progressiste-conservateur n’est pas très branché francophonie. Il ne parle pas français et a contribué au retour d’un site web de son parti dans sa version unilingue.

Pour ne rien arranger, il n’a pas délivré ses communications dans les deux langues officielles lors de son lancement de campagne, comme il s’y était engagé. Autant de faits éloquents.

Les autres arguments sont plus de l’ordre de l’interprétation. Doug Ford serait un nouveau Mike Harris, capable, par des coupes budgétaires inconsidérées, de mettre en péril la francophonie, quitte à déclencher une crise digne de celle de Montfort. Doug Ford, enfin, ne pourrait pas différencier les Franco-Ontariens des Québécois, ne saurait même pas que le français reste, en 2018, la deuxième langue de la province.

Où est la vérité? M. Ford n’est pas en réalité le premier politicien à communiquer uniquement en anglais. Les communications de la très grande majorité des candidats de la région du Centre-Sud-Ouest sont unilingues. Le candidat d’Etobicoke se situe même dans la longue tradition des chefs unilingues du Parti PC, dont Patrick Brown, a fait exception.

 

Ni francophile, ni anti-francophone

L’aîné de la « Ford Nation » n’est pas plus francophile qu’il n’est anti-francophone. Il considère simplement le français ni plus ni moins qu’une langue parmi d’autres. L’embauche dans son équipe de la francophone Cozette Giannini, à titre de directrice… des relations communautaires et des relations avec les parties prenantes, en est l’exemple. Il s’agit d’une petite subtilité avec le poste de conseiller aux Affaires francophones qu’avait créé M. Brown.

Derrière les craintes et l’exaspération qu’il suscite chez bon nombre de francophones, Doug Ford possède tout de même des partisans. Qu’on se le dise, une bonne partie des 622 000 Franco-Ontariens ne sont pas des défenseurs de leur langue. Pour eux, les différentes factures passent bien avant l’Université de l’Ontario français ou la revitalisation de la Loi 8.

 

Un « fond bleu » chez les Franco-Ontariens

Chez quelques-uns plus engagés, l’idée vaut qu’il faille avant tout laisser sa chance au coureur. La remarque n’est pas innocente. Il existe bel et bien un « fond bleu » chez les francophones, bien que freiné par la crise de Montfort. Peu se souviennent qu’une certaine Gisèle Lalonde a été candidate pour ce même parti dans Ottawa-Vanier en 1977.

Si l’on observe de plus près la liste des candidats, ils sont même plusieurs francophones ou parfaitement bilingues à concourir pour le parti : Amanda Simard (Glengarry-Prescott-Russell), Cameron Montgomery (Orléans), André Robichaud (Mushkegowuk-Baie James), Jo-Ann Cardinal (Nickel-Belt) et Caroline Mulroney (York-Simcoe).

Difficile de dire si un Parti PC dirigé par Doug Ford sera digne de confiance pour faire rayonner le drapeau et vert blanc. D’une manière générale, les progressistes-conservateurs restent des trois principales formations politiques celle qui a montré le moins de sensibilité aux francophones, une fois au pouvoir.

La tendance peut être différente ailleurs. Au Manitoba, c’est même le Parti PC, contre toute-attente, qui a adopté la Loi sur les services en français, il y a deux ans. Avec l’imprévisible Doug Ford, personne n’est à l’abri de surprises. Des bonnes comme des mauvaises.

 

Cette analyse est aussi publiée dans le quotidien Le Droit du 14 mai.