François Boileau, à cœur ouvert dans la tempête

Le commssaire aux services en français, François Boileau. Archives #ONfr

[LA RENCONTRE D’ONFR]

TORONTO – Depuis plusieurs jours, François Boileau est sous toutes les lumières médiatiques. Mais ce n’est pas vraiment la visibilité que le commissaire aux services en français recherchait. Après la suppression de son poste par Doug Ford la semaine dernière, « le chien de garde » vit des jours compliqués. Au moment de notre entrevue avec lui, on ne savait alors rien de la proposition qui sera faite par le premier ministre de l’Ontario, vendredi en fin d’après-midi. À savoir la création d’un poste de commissaire aux services en français qui dépendrait du bureau de l’ombudsman. Notre Rencontre ONFR, publiée ce samedi, ne perd malgré tout aucunement en pertinence. 

« Notre première question est un peu simple, mais comment va le moral?

Le moral est meilleur. Je perds un emploi, mais il y a littéralement pire dans la vie. C’est une première pour moi, mais je suis content de savoir que mes employés sont sauvés. Tous les commentaires des gens qui me disent « Au revoir » ou « Merci » bon… c’est gentil, mais je ne suis pas parti encore, je suis encore vivant! (Rires)

Et comment va votre équipe?

Paul Dubé, l’actuel ombudsman de l’Ontario, est venu les rencontrer, mercredi. Ces 13 personnes se retrouvent avec un paquet de questions. Est-ce que le niveau de poste va être respecté par l’autre convention collective de l’ombudsman, quelles sont les conditions de travail, où est-ce que l’on va travailler… Paul Dubé leur a promis de répondre présent pour une transition harmonieuse. Avis aux intéressés, on reçoit beaucoup moins de plaintes depuis une semaine, mais on est encore ouvert.

Dans quel contexte avez-vous appris votre mise à pied?

On l’a appris une demi-heure à l’avance par quelqu’un du bureau de la ministre qui nous a fait part du couperet qui allait tomber. Je ne sais pas si c’était un coup de téléphone ou un texte, mais ça a été envoyé à mon directeur général qui m’en a informé… donc voilà!

Est-ce que c’est quelque chose à laquelle vous vous attendiez?

Pas du tout! On a eu des coups de téléphone de journalistes au cours de la fin de semaine  précédente nous disant qu’il y avait des rumeurs de coupures. Moi, j’étais prêt pour une coupe de 4 % comme ça avait été mentionné dans la campagne électorale. J’étais prêt pour cela, on avait même un budget alternatif au cas où… Quand j’entendais des coupures, je n’entendais pas élimination.

Et cette vague de soutien que l’on voit depuis une semaine, vous y attendiez-vous?

Non, certainement pas! On reste des bureaucrates (Rires). Il est clair que le fait que c’est lié aussi avec l’abolition du projet d’Université de l’Ontario français, ça, ça fait très mal, ça frappe l’imaginaire. On est lié à ce mouvement-là très très fort. Ce soutien envoie le message que nous avons été présents dans les communautés et visibles partout en province.

En début de semaine, la ministre déléguée aux Affaires francophones, Caroline Mulroney, a fait une proposition que vous deveniez ombudsman adjoint, pourquoi avoir refusé?

Je n’y ai pas pensé une seule seconde. D’une part, je ne pense pas que ce soit approprié pour un ministre d’avoir des suggestions de ressources humaines pour un autre officier indépendant, dans ce cas-ci Paul Dubé. D’autre part, c’est comme si je cautionnais une coupure que j’estime non nécessaire, quand le gouvernement se targue que c’est pour des raisons budgétaires.

Votre budget était justement d’environ 900 000 $ lors de l’indépendance effective de votre bureau le 1er janvier 2014. Il est aujourd’hui de près de 2,9 millions de dollars. Si vos 13 employés sont transférés et que l’on vous offre un poste ailleurs, où fait-on en réalité des économies?

Si moi, on me propose un poste ailleurs, on n’en fait plus! Mais si on enlève mon salaire, et si on coupe ici et là… on peut trouver 350 000 $ au total. Il ne faut pas oublier que les employés doivent avoir des bénéfices sociaux, un bureau, des ordinateurs, des téléphones. J’essaye de trouver où sont les économies, les efficiences, mais c’est au gouvernement de faire cette démonstration.

Pouvez-vous nous expliquer la différence entre un commissaire et un ombudsman?

Le commissaire est un ombudsman, mais on fait plus. Je veux que ce soit clair, Paul Dubé est un excellent ombudsman, ça n’a rien avoir avec lui. Paul Dubé, dans sa loi sur l’ombudsman, est un organisme de dernier recours. C’est déjà arrivé que des gens pas contents du Commissariat aux services en français portent plainte au bureau de l’ombudsman. Nous, le Commissariat, ne sommes pas un organisme de dernier recours.

On dit notamment que vos rapports ont contribué à la création de l’Université de l’Ontario français, est-ce vrai?

L’Université de l’Ontario français, on n’en parlait pas en 2012. J’ai alors fait un rapport sur l’état de l’éducation postsecondaire en français dans le Centre-Sud-Ouest, et à la suite de ce rapport, ça a donné lieu à des discussions entre la communauté et le gouvernement. Deux autres comités d’étude ont alors dit la même chose que j’ai écrite, et donc après ça, le gouvernement a injecté 16,5 millions de dollars dans de nouveaux programmes postsecondaires. Après, la communauté a fait ses États généraux sur l’éducation postsecondaire en Ontario français, un momentum s’est dessiné, et on a créé l’Université de l’Ontario français. Ça ne serait pas arrivé si je n’avais pas déposé un rapport proactif.

Avez-vous d’autres exemples?

Oui. On a fait ça en santé. La création des six entités de planification de santé en français en 2010, ce n’était pas sous le radar du gouvernement. J’ai déposé un rapport spécial au Parlement. Peut-être que vous l’ignorez, un petit scoop pour vous, mais j’étais tellement peu connu que la ministre déléguée aux Affaires francophones de l’époque, Madeleine Meilleur, avait mandaté comme consultant l’ancien ministre Charles Beer, pour finalement refaire mon travail et vérifier si Boileau avait raison. Charles Beer avait réémis un rapport au gouvernement pour dire que Boileau a raison. Après cela, on a commencé à me prendre un peu plus au sérieux.

Autant d’exemples pour dire qu’on ne fait pas que recevoir des plaintes. C’est une vision extrêmement réductrice du rôle d’un ombudsman linguistique. Paul Dubé est un excellent ombudsman, mais il n’aura jamais le temps et ne pourra pas faire des enquêtes comme on a fait plusieurs fois par année sur des sujets spécifiques. Il ne pourra pas se rendre dans toutes les communautés où je me rendais. Je me suis rendu cinq fois à Thunder Bay en onze ans! Combien de gens de Queen’s Park descendent à Thunder Bay pour leur parler d’enjeux de la francophonie? Ça n’arrive pas à chaque semaine!

Qui est au final responsable de votre mise à pied? Doug Ford? Les conseillers de Doug Ford? Caroline Mulroney?

Je ne répondrai pas à cette question-là… C’est du domaine du politique, et ce n’est pas à moi d’aller à de telles spéculations.

Dans sa chronique dans le Toronto Sun, l’ancien ombudsman, André Marin, dit que vous aviez beaucoup de conflits d’intérêts avec les libéraux. Il fait référence à une photo où l’on vous voit tout sourire aux côtés de l’ancien procureur général, Yasir Naqvi, et de la ministre aux Affaires francophones Marie-France Lalonde. Comment prenez-vous cette critique?

(Soupir) Avez-vous une heure? C’est incroyable! Juste pour cette histoire-là, Yassir Naqvi venait tout juste de dire oui à quatre de mes recommandations. Un gouvernement, peu importe la couleur, qui dit oui à mes recommandations et qui les met en place, je vais être content. Mon travail n’est pas simplement de taper comme M. Marin le faisait, mais aussi de savoir reconnaître les bons coups. Dans mes rapports, je reconnais les bons coups.

Le commissaire aux services en français de l’Ontario, François Boileau, présente l’un de ses rapports. Archives, #ONfr

Les critiques d’un type qui a jeté énormément de discrédit, devenant politique sitôt qu’il a terminé son mandat [André Marin a été candidat progressiste-conservateur lors de l’élection partielle dans Ottawa-Vanier en 2016] alors que quelques mois auparavant, il plaidait pour sauver son emploi en lettres capitales sur Twitter, et qui se faisait payer un appartement à Toronto, des voyages à chaque semaine, une télévision écran géant, et se faisait rembourser sa trousse de toilettes, pâte à dents, déodorant…

De toute façon, André Marin et moi, on ne s’entendait pas quand on était ensemble officiers du Parlement, on n’avait pas la même vision. Je préférais parler contenu, lui préférait avoir des photos de lui dans son rapport annuel. Contrairement à lui, je n’ai jamais été partisan politique et eu une carte de membre.

Vous avez beaucoup utilisé l’humour durant ces 11 années à la tête du Commissariat. Pourquoi?

Oui, constamment. Car les gens me voient arriver comme un ogre potentiel qui va leur taper dessus. Et à la fin de ma conférence, les gens sont contents, satisfaits et voient que j’ai beaucoup d’empathie sur leur manque de ressources.

Votre poste disparaîtra officiellement le 1er mai 2019. Avez-vous eu le temps de penser à la suite?

Non, je n’ai pas eu le temps de penser à ça! J’ai une fille qui est âgée de huit ans, et j’ai une hypothèque, donc je vais avoir besoin de travailler encore longtemps (Rires). »


LES DATES-CLÉS DE FRANÇOIS BOILEAU :

1966 : Naissance à Montréal

1994 : Nommé directeur général du Programme de contestation judiciaire

2003 : Commence à travailler comme avocat pour le Commissariat aux langues officielles

2007 : Nommé commissaire aux services en français de l’Ontario

2014 : Son bureau devient officiellement indépendant de l’Assemblée législative 

2018 : Disparition de son poste après le premier énoncé économique de Doug Ford

Chaque fin de semaine, #ONfr rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.