« Frog Power » : 50 ans de fête et de fight à La Nuit sur l’étang

Nuit sur l'étang culture franco-ontarienne
Marcel Aymar et André Paiement, des étoiles montantes du Nouvel-Ontario, à la toute première Nuit sur l’étang en 1973. Source : Cédéric Michaud.

[CHRONIQUE]

Chaque samedi, ONFR+ propose une chronique sur l’actualité et la culture franco-ontarienne. Cette semaine, la blogueuse et activiste du Nord de l’Ontario, Isabelle Bougeault-Tassé.

SUDBURY – On était 1973 – époque du « Frog Power » au Pays du Gros Cinq Cenne. Ici, à Sudbury se dessinaient les reliefs du Nouvel-Ontario, une géographie imaginée, cette « terre de pierre, de forêts et de froid ». Un bout de pays reculé où la jeunesse franco-ontarienne réclamait sa voix. Libre. Et forte. 

« On est tanné d’être sous la domination de la majorité », se souvient le journaliste et rédacteur d’opinions Réjean Grenier. « On veut un autre type de bilinguisme. Un bilinguisme où nous sommes égaux ».

En 1973, les étudiants à l’échelle planétaire montent aux barricades, les poings levés, afin de manifester contre l’injustice où qu’elle soit – y compris à l’Université Laurentienne, au cœur du Nouvel-Ontario. 

En riposte à la marginalisation du fait français à l’université, des jeunes idéalistes – y compris le jeune Réjean Grenier, leader étudiant francophone, organisent le Congrès Franco-Parole qui, entre autres, propose de remettre le pouvoir décisionnel sur l’éducation universitaire en français aux Franco-Ontariens. 

« Il va y avoir beaucoup de « parlotte » et de bonnes idées », aurait dit Fernand Dorais, le charismatique jésuite, professeur et co-organisateur, « mais je ne vois pas de fun ». 

Autant fallait-il revendiquer, fallait-il aussi rêver. Il fallait des retrouvailles, un « feu de camp », un party. Il fallait une nuit dans la swompe

Une Nuit iconique

Avec Gaston Tremblay, jeune écrivain et rédacteur de l’illustre manifeste Molière Go Home, M. Grenier allait concevoir et organiser Une Nuit sur l’étang (qui deviendrait bientôt La Nuit sur l’étang), naissant sous les étoiles du 17 mars 1973 à l’Auditorium Fraser de l’Université Laurentienne. 

Et si « c’était douteux comme qualité », comme se le rappelait l’artiste éminent Robert Paquette, avec comme toile de fond le décor recyclé de l’emblématique pièce de théâtre Moé j’viens du Nord s’tie, « un tulle à demi transparent sur lequel flânaient des lueurs de rouge et de bleu », écrivait Tremblay, le rideau allait néanmoins se lever sur une Nuit iconique.

Une affiche de La Nuit sur l’étang, année indéterminée.

« Un roulement de timbales déchire le silence », écrivait l’étudiante de maîtrise Marie-Hélène Pichette en 2000 de cette première Nuit en 1973. « Le battement s’intensifie; le signal est donné. Les participants, jusqu’alors assis dans la salle, se lèvent et montent sur les planches. Au nom de tous les artistes du Nouvel-Ontario, ils s’emparent de leur scène : une Nuit sur l’étang est née ».

Il y aurait de la musique. De la chanson. De la poésie. Du théâtre. Et même du macramé. Un jeune CANO à la veille d’être superstars de la musique canadienne. André Paiement, une étoile filante qui ferait de notre lointain pays d’hiver une aurore boréale dans le firmament, allait chanter cette nuit-là. Tout comme sa sœur, Rachel Paiement, qui monterait sur les planches pour la toute première fois, sa voix évoquant une tempête de neige qui balaye le pin au cœur d’une nuit d’hiver. Marcel Aymar était là aussi, ses douces intonations acadiennes s’écrasant comme un océan sur la jeune foule. Et d’innombrables autres qui laisseraient leur trace sur le Nouvel-Ontario.

« La fête nous enfanta »

Fêtées jusqu’aux petites heures du matin à Sudbury, les subséquentes éditions de La Nuit deviendraient rite de passage pour des générations de la jeunesse nouvel-ontarienne. On émergeait aux lendemains ivres et imbus de party, plein de fête et de fight, prêts à bâtir le Nouvel-Ontario, à faire briller notre lumière sur le monde, « étourdis par la musique, la poésie, le vibe et la fraternité des francos rassemblés en grandes retrouvailles, émerveillés par le lever du soleil sur cette terre de roche, à l’aube d’un jour nouveau ».

« La fête nous enfanta », écrivait autrefois Dorais. « Le spectacle de nous voir et dire nous ressource, reconnaissance d’une fraternité blessée ». 

« Viens chanter l’histoire de ta vie. Viens partager ce que tu es aujourd’hui », a chanté Aymar dans Viens nous voir une décennie après cette première Nuit. Cette toune émergerait comme hymne d’ouverture de la soirée, un rite qui donne une voix à notre « fraternité blessée », chanson qui « raconte l’histoire des profondeurs de la solitude, mais aussi celle d’une communauté qui se rassemble en grandes retrouvailles ».

La joie et la résistance

Cette « folie collective d’un peuple en party », comme le disait l’artiste André Paiement, La Nuit nous a permis de se reconnaître et se dire par la poésie, le théâtre, la musique, la fête. Cette « veillée d’hiver chaude comme une nuit d’été » comme le chante Marcel Aymar, nous tirait de notre tanière de glace et d’invisibilité, nous offrant comme résistance une expression de joie collective.

Jeune de ses 50 ans, La Nuit reste cette fête où, pour emprunter au poète Robert Dickson, « nous têtus, souterrains et solidaires, lâchons nos cris rauques et rocheux, aux quatre vents de l’avenir possible ».

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position d’ONFR+ et du Groupe Média TFO.