Garderies : des lieux surprotégés mais pas invincibles

Les jouets laissés aux enfants sont lavables et des marquages au sol délimitent les aires de jeu. Gracieuseté La Boîte à soleil

Autorisées à reprendre leur activité à plein régime partout dans la province, les garderies mettent à l’épreuve, grandeur nature, leurs dispositifs de santé et de sécurité à l’occasion des premiers jours d’école. Malgré les centaines de millions de dollars investis par le gouvernement, elles continuent d’opérer à perte avec une idée fixe : éviter coûte que coûte l’éclosion de COVID-19. Cinq d’entre elles sont ou ont déjà été confrontées à des cas actifs.

Dans ces lieux interdits d’accès aux parents pour des raisons de sécurité, difficile d’imaginer à quoi ressemble l’environnement de son enfant et à quel point il a changé.

Les tapis et jouets non lavables ont été retirés. Panneaux et rubans adhésifs ont fleuri çà et là pour délimiter les allées et les aires de jeux. Meubles, tables et chaises ont été en grande partie supprimés, pour faire plus de place.

Dans un contexte où les cohortes scolaires ne correspondent pas forcément à celles des services de garde, favoriser l’éloignement physique est devenu la priorité numéro un des équipes éducatives. D’autant que la règle du port du masque est la même que dans les écoles : le masque non médical est obligatoire à partir de la 4e année. Tous les enfants d’âge scolaire sont encouragés à le porter, sans y être obligés.

Les garderies privilégient les activités extérieures pour favoriser la distanciation. Gracieuseté : la Boîte à soleil

« On est chanceux, car on n’a pas de grosses écoles », explique Véronique Emery, la directrice générale de la Boîte à soleil qui gère sept garderies dans la région du Niagara. « On n’a pas plus de 13 enfants par groupe. Ce n’est même pas la taille d’une salle de classe. »

Comme la majorité des garderies francophones, ses centres sont jumelés aux écoles. « Ils ont toute la cours. On n’a pas de problème d’espace. On fait la majorité de nos programmes à l’extérieur, tant que la météo le permet. »

Formé à repérer les symptômes de la COVID-19, le personnel est tenu, partout en province, de porter un masque médical et une protection oculaire. Les superviseurs doivent limiter au plus strict nécessaire leurs déplacements entre les salles, s’entourer d’éducateurs qui travaillent exclusivement pour la garderie et les affecter à une seule et même cohorte.

Moins d’enfants de retour

En coulisse, obliger le personnel à ne travailler que pour sa garderie a provoqué bien des difficultés, puisqu’il a fallu se priver d’une précieuse ressource humaine. Les éducatrices PAJE (Programme de la maternelle et du jardin d’enfants) et les aides-enseignantes qui travaillent au sein des écoles ne peuvent en effet plus faire d’heures complémentaires en garderie.

Si cette directive sécuritaire a le mérite d’atténuer le risque de contamination, elle a en revanche tarie une réserve de recrues qualifiées déjà très limitée.

Des effectifs, globalement moins nombreux qu’avant la pandémie, ont toutefois permis de niveler les besoins en personnel. Les garderies contactées par ONFR+ ont en effet signalé un nombre d’enfants bien inférieur à ce qu’il était avant la pandémie. Mais il a tout de même fallu consacrer du personnel à des postes nouveaux, comme le filtrage des entrées et la désinfection.

À Ottawa, le centre éducatif La Clémentine a vu fondre ses effectifs parascolaires de 200 enfants à une quarantaine.

« Beaucoup de familles ont choisi d’attendre avant de revenir, car elles ont des craintes », rapporte la directrice générale, Bridget Sabourin. « Certaines ont décidé de garder leur place et de continuer à payer les frais, d’autres ont pris le risque de ne pas le faire, espérant revenir en janvier. »

Cette baisse des effectifs signifie un manque à gagner financier, mais offre en contrepartie une plus grande souplesse dans l’utilisation des locaux et une meilleure garantie du respect de la distanciation.

Plusieurs intervenants du milieu pensent que la fréquentation va grimper dans les prochains jours, notamment dans les services avant et après l’école. D’abord parce que la rentrée progressive dans les écoles va toucher à sa fin, amenant plus d’enfants. Ensuite, parce que beaucoup de parents ont attendu la dernière minute pour inscrire leurs enfants en garderie, entraînant un décalage dans leur rentrée effective pour des raisons administratives et de sécurité.

Autoévaluation et désinfection

L’autoévaluation – sous forme de questionnaire électronique ou de prise de température à l’entrée – est devenue une routine préventive essentielle depuis la réouverture partielle, en juillet. Les parents sont interrogés sur l’éventuelle présence de symptômes ou de sortie du territoire. Non autorisés à pénétrer au sein des locaux, ils confient leurs enfants en des points de filtrage clairement définis.

La désinfection des espaces et des jouets est également un incontournable. « Elle se fait en tout temps », affirme Sylvia Bernard, directrice générale de la Clé d’la Baie qui gère cinq garderies et six services avant et après l’école dans le comté de Simcoe.

Les thermomètres ont des ailes de papillon dans les centres de la Boîte à soleil. Gracieuseté

« Après chaque période de jeu et dès qu’un jouet est porté à la bouche, le matériel est ramassé et désinfecté. Les surfaces fréquemment touchées sont aussi nettoyées continuellement. On avait déjà des normes assez exigeantes. On le fait de façon plus intense et vigilante. »

Un registre de présence est maintenu à jour quotidiennement pour faciliter les besoins en traçage du bureau de santé publique régional en cas d’éclosion. Dans un tel cas, l’enfant est isolé jusqu’à ce qu’il soit récupéré par ses parents. La santé publique prend le relais de la garderie pour conseiller les parents en termes de test et d’isolement.

Éclosion : le risque zéro n’existe pas

Malgré tous les protocoles en place, le risque zéro n’existe pas. Des cas actifs dans quatre garderies francophones d’Ottawa, Kanata et Brantford ont été signalés aujourd’hui par la Santé publique de l’Ontario.

Le centre éducatif La Clémentine avait connu une mésaventure similaire en juillet dernier, dans l’un de ses cinq centres : Michel-Dupuis.

« Tout ce qu’on avait mis en place était correct », affirme au micro d’ONFR+ sa directrice générale qui a reçu une inspection de la santé publique. « On avait pris les mêmes mesures dans tous nos centres. On ne sait pas comment, ni par où, c’est rentré. »

Depuis cet épisode, la direction a imposé le port du masque à tous ses employés, avant que la province ne l’impose à l’ensemble des garderies.

« On ne peut pas faire plus que ce qu’on fait déjà. Tous nos centres sont sécuritaires, mais personne n’est à l’abri », en déduit Mme Sabourin.

Le centre d’Ottawa a aussi amélioré sa communication avec les parents.

« On essaye de les rassurer, mais c’est difficile. Notre but est de créer des liens avec les familles, mais avec toutes les restrictions qu’on a, on ne peut pas le faire. Mais il faut comprendre les normes de santé publique : moins il y a de personnes dans le centre moins il y a de personnes exposées, si jamais il y a des cas. »

Pertes financières

Pour assurer les dépenses des garderies liées à la COVID-19, l’Ontario a ajouté 147 millions de dollars à son investissement initial de 243 millions.

Sylvia Bernard, la directrice de la Clé d’la baie, croit que la province devra aller au-delà, d’autant qu’il faudra composer avec la fin – en décembre – de la Subvention salariale d’urgence du Canada.

« Nous sommes en perte financière au niveau de nos services éducatifs », constate-t-elle. « Notre difficulté actuellement, c’est qu’il faut déjà engager des fonds sans avoir de garantie. Si vous me dites, est-ce que vous allez acheter ça pour la protection des gens, je vais dire oui. Si vous me demandez, est-ce que vous avez l’argent pour le faire, je vais dire pas nécessairement, mais on va le trouver, car la sécurité est la priorité. »