Immersion française : Ottawa menace de couper les vivres au Nouveau-Brunswick

La ministre des Langues officielles Ginette Petitpas Taylor.
Le projet de loi de la ministre des Langues officielles Ginette Petitpas Taylor a été adopté par le Sénat. Gracieuseté

OTTAWA – Le fédéral suit de près au Nouveau-Brunswick la gestion du dossier de l’immersion française que le premier ministre Blaine Higgs souhaiterait supprimer, selon un ancien député de son parti. Ottawa envoie plusieurs millions au gouvernement provincial chaque année pour assurer le programme d’enseignement du français dans le système anglophone et coupera les fonds si des changements majeurs surviennent.

Dominic Cardy qui était ministre de l’Éducation, jusqu’à il y a une dizaine de jours dans la province, a claqué la porte du cabinet Higgs en accusant ce dernier de vouloir mettre fin au programme d’immersion francophone en septembre 2023.

Le nouveau ministre de l’Éducation Bill Hogan a affirmé à divers médias de la province que des changements surviendront l’année prochaine et que différents programmes sont encore à l’étude, assurant toutefois que les élèves actuels pourraient terminer leur parcours scolaire.

Or, ces modifications inquiètent le milieu de l’éducation. « Les conséquences de cette décision ne peuvent que niveler vers le bas le bilinguisme dans la province », soutient l’Association canadienne des professionnels de l’immersion.

« Les résultats de cette année démontrent une autre année de succès, malgré les impacts de la COVID-19 dans les écoles », affirme Canadian Parents for French. L’organisme souligne que 93,2 % des 1391 élèves inscrits en immersion ont atteint un niveau intermédiaire ou supérieur sur leur niveau de français en 2021-2022.

Le premier ministre du Nouveau-Brunswick Blaine Higgs. Source : Twitter

Dans son discours du Trône, ce mardi, Fredericton avance « qu’il mettra tout en œuvre pour implanter des changements à l’échelle du système » et « où la dichotomie est éliminée et où les parents ont une idée claire des programmes qui existent ».

« Notre gouvernement tient à garantir l’existence d’un programme qui permettra à tous nos élèves d’apprendre le français pour qu’ils aient le niveau suffisant pour soutenir une conversation à la fin de leurs études », peut-on lire.

Dans un rapport, les commissaires Yvette Finn et John McLaughlin recommandent d’éliminer l’immersion française dans sa forme actuelle au Nouveau-Brunswick en créant un nouveau programme tout en demandant d’éviter de le faire de façon brusque.

Pas d’immersion, pas de fonds, dit Ottawa

Ces modifications génèrent des craintes au sein du gouvernement Trudeau. En entrevue avec ONFR+, la ministre des Langues officielles et députée dans la province, Ginette Petitpas Taylor, se dit « énormément inquiète » de la gestion du dossier par le gouvernement progressiste-conservateur.

« On est la seule province bilingue. On devrait montrer l’exemple et c’est tout le contraire qui se passe (…) On doit surveiller attentivement, car j’ai peur de voir ce qui pourrait arriver », croit la représentante de Moncton-Riverview-Dieppe.

Ottawa envoie chaque année 5 millions de dollars au gouvernement Higgs dans le cadre de son entente dans l’enseignement de langue seconde signé en 2019 et qui prend fin en 2023. Il envoie aussi près de 17 millions dans le cadre de l’enseignement du français pour un total de 21,7 millions.

Des discussions ont présentement lieu avec les provinces et territoires pour négocier la prochaine entente (2024 à 2028) et la ministre assure que le maintien du programme est une condition sine qua non à l’envoi de fonds fédéraux.

« Lors de négociations, si on met de l’argent sur la table, c’est pour être certain qu’il va y avoir des programmes d’immersion au Nouveau-Brunswick (…). Il n’y a eu aucun changement à ce jour, mais ça va être à déterminer ce qu’ils vont faire, mais nous sommes en train de les surveiller de près pour voir exactement ce qui va se passer », affirme-t-elle.

Cet investissement sortait du Plan d’action sur les langues officielles de 2018, dont le contenu était fortement centré autour de l’augmentation du taux de bilinguisme au pays, via les programmes d’enseignement en français et en immersion. Ottawa souhaite atteindre un taux de bilinguisme hors Québec pour les anglophones de 9 % en 2036 alors qu’il est autour de 6 % selon les données de 2016.

« Je suis inquiet de la façon dont se déroule la discussion concernant le programme d’immersion française offert aux élèves anglophones du Nouveau-Brunswick », a réagi de son côté le commissaire aux langues officielles Raymond Théberge dans une déclaration.

« On sait que l’accès à des programmes performants d’enseignement de la langue seconde, notamment l’immersion, est l’un des facteurs fondamentaux qui permettent de vivre le bilinguisme au quotidien. »

Le commissaire aux langues officielles Raymond Théberge s’inquiète lui aussi de l’avenir du programme de l’immersion français dans la province. Capture d’écran ONFR+

Loi sur les langues officielles et Kris Austin

La non-réponse du gouvernement Higgs depuis près d’un an dans le dossier de la révision de la Loi sur les langues officielles et la nomination de Kris Austin comme ministre, opposant au bilinguisme officiel lorsqu’il était chef de la People’s Alliance of New Brunswick fait aussi tourner les têtes.

« M. Higgs revient au naturel. Chassez le naturel, il revient au galop », image le député libéral de Madawaska-Restigouche depuis 2015 René Arseneault, qui dénonces que les « vieilles batailles du vieux temps refont surface ».

« Nommer un ministre qui s’est battu toute sa carrière politique contre le bilinguisme et le fait français dans la seule province bilingue du Canada m’inquiète beaucoup », ajoute l’élu acadien.

Dans son discours du Trône, le gouvernement a affirmé ce mardi qu’il « offrira une réponse durant la session » à la révision de la Loi sur les langues officielles. Le dossier traîne depuis le dépôt du rapport révisant la Loi par les commissaires Yvette Finn et John McLaughlin en décembre 2021. Le premier ministre Higgs, chargé du dossier des langues officielles, avait promis d’y répondre en juin 2022 avant de repousser le tout à l’automne.