Gisèle Quenneville, un pan de l’histoire des médias franco-ontariens

L'animatrice Gisèle Quenneville. Archives Groupe Média TFO

[ANALYSE]

TORONTO – Dans l’univers concurrentiel et en perpétuelles mutations des médias, peu de journalistes font aujourd’hui des carrières dédiées au même sujet. Et dans ce faible échantillon, très peu peuvent se targuer d’avoir marqué leur époque. L’inépuisable présence sur le terrain de Gisèle Quenneville pour les Franco-Ontariens est donc une exception.

Ce jeudi, l’animatrice et journaliste a officiellement raccroché son micro après une carrière d’abord à Radio-Canada puis pendant 24 ans dans les bureaux de Groupe Média TFO. Une pause prévient-elle toutefois, pas une retraite.

Beaucoup de Franco-Ontariens connaissent Gisèle Quenneville surtout pour son rôle d’animatrice à Panorama notamment aux côtés de Pierre Granger. Dans un secteur professionnel alors très masculinisé, elle s’impose comme l’une des premières femmes leaders dans l’information.

En 2010, à la fin de cette émission phare d’affaires publiques, elle poursuit l’aventure avec Relief, puis 360 et enfin Carte de visite.

Depuis juin 2018, Gisèle Quenneville se trouvait à la barre de ONFR+ à titre de productrice. Une franchise dédiée aux Franco-Ontariens pour laquelle elle laisse un héritage précieux : la fusion réussie des équipes de #ONfr et de la production « magazine » 24.7 en 2019, ainsi que de nombreuses nominations et prix de reconnaissance pour son équipe.

Quelques constats

Si son empreinte laissée dans les médias franco-ontarien sera indélébile de longues années, dans l’immédiat, son départ laisse un vide et alimente déjà quelques constats.

Le premier : l’Ontario français possède dorénavant peu de journalistes témoins de plus de trois décennies de combats politiques. Gisèle Quenneville était l’une des rares membres de la tribune de presse à Queen’s Park ayant connu les trois partis au pouvoir, mais aussi les crises franco-ontariennes comme celles de l’Hôpital Montfort et des manifestations de l’automne 2018 contre Doug Ford.

Avec le départ de Mme Quenneville, les médias perdent une mémoire orale et institutionnelle des années 90. Les décès récents de quelques grandes plumes à l’instar des journalistes Michel Gratton et Adrien Cantin, le départ de l’éditorialiste du Droit Pierre Jury l’an dernier, affectent notre capacité à maintenir un lien mémoriel avec le fait français en Ontario.

En second lieu, la carrière de la journaliste franco-ontarienne nous force à réfléchir sur la relève. L’intégralité du parcours de Gisèle Quenneville s’est effectué en Ontario. Originaire de St-Joachim, près de Windsor, la future journaliste a connu les défis d’une jeunesse francophone en Ontario : l’insécurité linguistique, les choix limités pour étudier en français, les activités culturelles réduites dans sa langue maternelle.

Si on ne peut que se réjouir de voir les médias franco-ontariens sans cesse revigorés par l’apport de brillants journalistes venus du Québec et de la francophonie internationale, la faible représentation de ceux possédant une expérience scolaire en contexte minoritaire suscite une réflexion. Manque d’intérêt pour la profession? Conséquence de l’insécurité linguistique? Assimilation?

La crise des médias en général

Confrontés à une précarité économique accélérée par la crise de la COVID-19, les médias en général ne se portent pas bien. Leur santé est pourtant déterminante pour relayer les voix des plus d’un million de francophones vivant en milieu minoritaire.

Il est impératif pour les lecteurs, annonceurs, mais aussi les gouvernements d’aider les médias, afin d’obtenir une information de qualité.

La nécessité de raconter, mais aussi d’expliquer avec cette crise sanitaire hors-norme, de décortiquer par exemple les manques aux services en français, passe par ces ressources allouées aux médias. Gisèle Quenneville a brillamment ouvert la voie. D’autres doivent avoir la capacité de suivre son exemple.

Cette analyse est aussi publiée dans le quotidien Le Droit du 30 janvier.