Gouvernement Trudeau : une perte d’influence pour les Acadiens?

Le député acadien de Beauséjour, Dominic LeBlanc (à gauche) avec le premier ministre Justin Trudeau lors de l'assermentation du 20 novembre. Crédit image: Stéphane Bédard

OTTAWA – L’absence de ministère pour l’Acadienne Ginette Petitpas Taylor a été vécue comme une mauvaise surprise par plusieurs Acadiens du Nouveau-Brunswick. Faut-il y voir une perte d’influence au sein du gouvernement de Justin Trudeau? Les avis sont partagés.

En entrevue avec ONFR+ à l’issue de l’assermentation du nouveau cabinet Trudeau mercredi, le politologue à l’Université d’Ottawa, Martin Normand, n’hésitait pas à dire que l’Acadie venait de subir « un nouveau camouflet » après la nomination d’une lieutenante-gouverneure unilingue à Fredericton.

Le Nouveau-Brunswick ne compte désormais qu’un représentant au sein du cabinet, en la personne de Dominic LeBlanc, nommé président du Conseil privé de la Reine pour le Canada. Ministre de la Santé au déclenchement des élections, Ginette Petitpas Taylor occupera le rôle de whip adjointe.

« C’est difficile à expliquer, car elle n’a fait aucun faux pas à ma connaissance », estime le politologue de l’Université de Moncton, Roger Ouellette. « C’est d’autant plus surprenant que le cabinet compte plus de ministres. On aurait donc pu penser que le Nouveau-Brunswick aurait pu avoir deux personnes autour de la table. »

Le nouveau gouvernement libéral de Justin Trudeau. Crédit image : Stéphane Bédard

D’un point de vue plus global, les provinces de l’Atlantique essuient également une perte d’influence, passant de cinq à quatre ministres.

« Cela prouve que le pouvoir est concentré au centre du pays. L’Ontario compte 17 ministres, le Québec en a huit… Comme on le dit souvent : l’Ontario est la province qui forme le gouvernement et le Québec, celle qui lui donne ou non la majorité. À côté, le Nouveau-Brunswick est une toute petite province qui ne pèse pas lourd en terme démographique… »

La SANB satisfaite malgré tout

La Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick (SANB) fait une tout autre analyse de la situation.

« De gens ont vu la nomination de Mme Petitpas Taylor à titre de whip adjointe comme une rétrogradation, mais je ne vois pas ça du tout du même œil. Je pense au contraire qu’elle aura plus d’influence à ce poste dans un contexte de gouvernement minoritaire. C’était sans doute la personne la mieux placée pour occuper cette fonction. Tout le monde aime Ginette Petitpas Taylor, c’est une personne avec un très bon sens de l’écoute, rassembleuse, appréciée même de ses opposants. »

Ginette Petitpas Taylor (au centre). Archives ONFR+

La proximité entre Dominic LeBlanc et Justin Trudeau aidera également l’Acadie à faire entendre sa voix, estime-t-il. Mais, rappelle M. Ouellette, son influence, tout comme la présence de Mme Petitpas Taylor, n’avait pas empêché la nomination de Brenda McMurphy, unilingue anglophone, comme lieutenante-gouverneure par le gouvernement Trudeau avant les élections.

« On se demande si M. Trudeau a pris conseil auprès de ses ministres Acadiens, auprès du sénateur Cormier ou encore, auprès des députés néo-brunswickois qui, il faut le rappeler, étaient tous libéraux avant le 21 octobre. »

Les Acadiens, un acquis libéral?

Et c’est peut-être ce qui pénalise les Acadiens aujourd’hui, poursuit le politologue.

« Pendant la campagne, Justin Trudeau n’est jamais venu dans le nord francophone de la province. Il s’est concentré sur Fredericton où le poste du député sortant, Matt DeCourcey était menacé [M. DeCourcey a finalement perdu son poste au profit de la candidate verte, Jenica Atwin]. Idem pour le chef conservateur Andrew Scheer et la chef du Parti vert, Elizabeth May. Seul Jagmeet Singh est venu une fois pour présenter le candidat néo-démocrate dans Acadie-Bathurst. C’est comme s’ils considéraient que les circonscriptions francophones du Nouveau-Brunswick étaient acquises aux libéraux. »

Pourtant, ajoute-t-il, les Acadiens n’ont pas toujours voté pour le Parti libéral.

« Après la réforme de l’assurance-chômage par Jean Chrétien, on a vu le Nouveau Parti démocratique remporter un château fort libéral dans Acadie-Bathurst et le conserver jusqu’en 2015 avec Yvon Godin. Dominic LeBlanc avait également été battu dans Beauséjour-Petitcodiac [face à Angela Vautour, du NPD]. »

M. Melanson se dit conscient du risque qui pèse sur les Acadiens.

« Il faut faire attention de ne pas donner l’illusion que les Acadiens sont un acquis pour le Parti libéral, car actuellement, toutes les circonscriptions acadiennes du Nouveau-Brunswick sont libérales. »

Le fédéral à l’aide des Acadiens

À l’image de la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada, le président de la SANB se montre satisfait du maintien de Mélanie Joly comme ministre des langues officielles.

« Ce n’est pas une néophyte. Elle a fait beaucoup d’effort dans le dossier », dit-il, espérant qu’une modernisation de la Loi sur les langues officielles aura un impact positif sur les Acadiens, en évitant notamment une autre nomination unilingue au poste de lieutenant-gouverneur.

« On l’a vu récemment dans le discours du trône de Mme Murphy à Fredericton : malgré ses efforts pour parler en français, son discours ne représentait pas la réalité linguistique d’une province bilingue avec peut-être seulement 10 % de français. C’est là qu’on mesure l’impact des décisions du fédéral sur notre politique provinciale. »

Le président de la SANB, Robert Melanson. Crédit image : Facebook SANB

La SANB étudie encore ses options quant à un éventuel recours, mais M. Melanson pense surtout à l’avenir.

« On veut que dans une Loi sur les langues officielles modernisée, certains postes soient désignés obligatoirement bilingues, afin que ce genre de choses n’arrivent plus. »

Le président de l’organisme espère également que le regroupement du portefeuille des Langues officielles avec celui du Développement économique aidera les Acadiens à s’opposer au discours de l’Alliance des gens du Nouveau-Brunswick (AGNB).

« On doit commencer à parler d’économie avec les langues officielles. Quand Kris Austin [chef de l’AGNB] dit que le bilinguisme coûte cher, personne ne le contredit alors qu’une étude du Conference board du Canada a prouvé le contraire. Mêler langues officielles et développement économique pourrait notamment être un grand avantage pour s’ouvrir au marché africain qui représente l’avenir. »