Immigration francophone : en attendant le forum…

La 11e Journée de réflexion sur l'immigration francophone se tenait à Moncton, le jeudi 30 mars. Crédit photo: Benjamin Vachet

MONCTON – À la veille de la première rencontre interministérielle sur le sujet, la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada tenait sa 11e Journée de réflexion sur l’immigration francophone, le jeudi 30 mars.

BENJAMIN VACHET
bvachet@tfo.org | @BVachet

En ligne de mire, la FCFA espère inspirer les ministres participants au premier Forum ministériel sur l’immigration francophone qui se tient jusqu’à vendredi, à Moncton.

« Nous avons de nombreux intervenants dans le secteur de l’immigration francophone ici pour déterminer comment faire de l’immigration francophone autrement », explique la vice-présidente de la FCFA, Audrey LaBrie. « Ça fait dix ans que le système ne fonctionne pas et qu’on ne parvient pas à atteindre les cibles. Il y a besoin d’une politique spécifique en immigration francophone au niveau fédéral qui pourra ensuite inspirer les provinces. La situation est alarmante! »

Les communautés francophones en milieu minoritaire comptent beaucoup sur les nouveaux arrivants pour maintenir leur poids démographique, alors que Statistique Canada projette qu’en 2036, les immigrants formeront une part plus importante que jamais de la population canadienne et que le poids des francophones pourrait quant à lui diminuer à l’extérieur du Québec.

Plusieurs provinces se sont fixé des cibles en immigration francophone. L’Ontario souhaite en attirer 5 % par année, le Manitoba 7 % et le Nouveau-Brunswick projette d’accueillir 33 % de nouveaux arrivants francophones d’ici 2020.

Le gouvernement fédéral souhaite quant à lui que l’immigration francophone hors Québec représente 4,4 % de l’immigration totale d’ici 2023. Mais en 2015, celle-ci ne représentait que 1,3 % de tous les nouveaux arrivants.

Destination Acadie

Des initiatives comme Destination Acadie pourraient inspirer la réflexion des gouvernements, notamment en Ontario où la communauté franco-ontarienne plaide pour la création d’un programme similaire.

Selon Justin Mury, consultant pour Destination Acadie, le succès est croissant. Le programme est passé de 800 inscriptions en 2012 à 1850 participants cette année, selon les chiffres qu’il a présentés.

« Avec les années, on a appris à mieux cibler les personnes clés. Par exemple, cette année, une de nos campagnes en ligne sur les médias sociaux ciblait directement des personnes en succession d’entreprises qui voulaient venir au Canada. L’idée est que les provinces qui participent trouvent les personnes idéales par rapport à leurs besoins. »

Destination Acadie vise également de nouveaux pays, alors qu’au départ le programme se concentrait sur l’Europe. M. Mury s’envolera d’ailleurs pour le Maroc dans les prochains jours pour une séance d’information qui affiche complet.

« L’an dernier, nous avons fait campagne pendant cinq semaines et n’avons pas fait salle comble là-bas. Cette année, avec une campagne ciblée de deux semaines sur les médias sociaux, nous avons dû ajouter des séances et des webdiffusions pour accommoder le plus de monde! »

Initialement prévu comme un projet pilote pour le Nouveau-Brunswick, Destination Acadie regroupe désormais la Nouvelle-Écosse et l’Ile du Prince-Édouard.

« Il y a des bienfaits à une relation interprovinciale. Cela a permis d’augmenter notre capacité à attirer plus de participants car nous avons plus de moyens. »

Les municipalités doivent également être intégrées dans la réflexion, soutient Frédérick Dion, de l’Association francophone des municipalités du Nouveau-Brunswick.

« Les municipalités ont un rôle central à jouer, de leadership, de sensibilisation de la population et d’accueil des nouveaux arrivants. Les élus sont conscients de l’importance de l’immigration pour l’avenir de leur communauté. Mais il y a des manquements. On a notamment besoin de ressources et de gens pour accompagner les employeurs, connaître leurs besoins et les aider à faire les démarches. »

Concurrence entre les provinces

Si l’approche interprovinciale est vantée par M. Mury, le risque existe également d’une concurrence entre les provinces. Le Québec, qui est la seule province à gérer elle-même son immigration, est particulièrement attirant pour les candidats à l’immigration.

« Il y a une concurrence peut-être, mais il y a aussi beaucoup d’espace et de marge de manœuvre pour atteindre les cibles. C’est sûr que le Québec est le foyer principal de la langue française en Amérique du nord, mais les immigrants commencent à se rendre compte qu’il y a d’autres destinations, et certains quittent d’ailleurs le Québec vers d’autres provinces selon les opportunités économiques », explique le professeur de l’École des affaires publiques et communautaires de l’Université Concordia, Chedly Belkhodja.

Pour le chercheur, la clé pour les provinces à l’extérieur du Québec est d’être visibles, présentes dans les différents salons d’immigration, mais aussi d’offrir des opportunités économiques.

« L’immigration devient de plus en plus une compétence partagée entre le fédéral et les provinces. Celles-ci doivent créer des opportunités d’emploi, mais il y a aussi d’autres facteurs, comme la qualité de vie et l’éducation qui peuvent attirer des immigrants. »

Le président de l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO), Carol Jolin, reconnaît que le risque mais qu’il n’est pas irrémédiable.

« Nous n’avons pas tous les mêmes besoins, notamment en matière d’employabilité. En Ontario, par exemple, nous avons une pénurie d’enseignants de langue française, alors que ce n’est pas le cas au Québec. »

Des attentes

Les yeux sont désormais rivés sur le premier Forum ministériel sur l’immigration francophone, qui réunira les ministres fédéraux, provinciaux et territoriaux responsables de la francophonie canadienne et de l’immigration.

La rencontre doit permettre « de faire le point sur les possibilités et les enjeux liés à l’immigration francophone, tout en favorisant des échanges soutenus entre les communautés, les chercheurs et les gouvernements », explique la ministre du Développement économique du Nouveau-Brunswick, Francine Landry, qui est également responsable de la Francophonie.

Il paraît toutefois difficile d’imaginer des résultats concrets, compte tenu du peu de temps consacré et de la complexité du dossier.

« On sait que ce n’est pas en un jour qu’on va réussir à changer le monde, mais ces deux journées font partie d’un processus qu’on entame et on espère une annonce prometteuse », dit la vice-présidente de l’organisme porte-parole des francophones à l’extérieur du Québec.

Dans une lettre d’opinion publiée aujourd’hui, l’AFO a voulu mettre un coup de pression sur les participants au forum, rappelant les recommandations contenues dans son Livre blanc sur l’immigration francophone en Ontario publié il y a une semaine.

« J’espère qu’on partira du forum avec un plan d’action concret et pas seulement en ayant entendu plein de bonnes idées sans que rien ne se passe ensuite. On voudrait quelques points sur lesquels travailler immédiatement, à courte échéance. Il y a un travail qui s’est fait en amont aux ministères, alors on espère une annonce », lance M. Jolin.