Immigration francophone : tout dépendra de la volonté politique

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TORONTO – La décision du nouveau gouvernement de Doug Ford de supprimer le ministère des Affaires civiques et de l’Immigration inquiète quant à l’atteinte de la cible de 5 % d’immigration francophone annuelle. Pourtant, ce n’est pas la seule province à procéder ainsi et l’avancée du dossier dépendra surtout de la volonté du gouvernement et du travail de sensibilisation de la communauté franco-ontarienne, estiment des experts.

BENJAMIN VACHET
bvachet@tfo.org | @BVachet

Expliquant vouloir réduire la taille de son cabinet, le gouvernement progressiste-conservateur de Doug Ford a décidé de supprimer plusieurs ministères et d’en répartir les portefeuilles.

C’est notamment le cas du ministère des Affaires civiques et de l’Immigration dont les dossiers seront désormais partagés entre le ministère des Services à l’enfance et des Services sociaux et communautaires de Lisa MacLeod et le ministère du Développement économique, de la Création d’emplois et du Commerce de Jim Wilson.

« Dans un premier temps, j’avoue avoir été très surprise par cette décision. Mais à y regarder de plus près, ce n’est pas insensé. D’autres provinces procèdent ainsi. Regrouper l’immigration avec l’emploi a du sens, puisque c’est la préoccupation principale des nouveaux arrivants. Ça permettra peut-être de ne pas fonctionner en silo », juge la professeure de géographie à l’Université d’Ottawa, spécialiste de l’immigration, Luisa Veronis.

Cette pratique n’est pas sans rappeler celle du Nouveau-Brunswick. Malgré une cible de 33 % d’ici 2020, c’est le ministère de l’Éducation postsecondaire, Formation et Travail, division de la Croissance Démographique Unité des affaires francophones qui gère le dossier au sein du gouvernement libéral de Brian Gallant.

« Ce n’est pas ça qui nous empêche d’atteindre les cibles. Le problème, c’est le manque de volonté politique. Nous avons des solutions. On voudrait, par exemple, que soit mise en place la dualité en immigration, sur le même modèle que pour la santé ou l’éducation avec deux régies distinctes pour les francophones et les anglophones. Il faudrait aussi travailler à reconnaître les compétences professionnelles, à favoriser la transition des étudiants internationaux vers l’emploi, à mettre les municipalités à profit …  La population acadienne et francophone ne cesse de diminuer, nous sommes actuellement 32 % et faisons face à un exode important. Il doit y avoir une leadership politique », explique le président de la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick (SANB), Robert Melanson.

Travail de sensibilisation

En 2012, l’Ontario s’est donné une cible de 5 % d’immigration francophone par année. Actuellement, celle-ci n’est que de 2,36 %. La disparition d’un ministère à part entière pourrait-elle nuire à l’atteinte de cet objectif que les Franco-Ontariens jugent essentiel pour maintenir leur poids démographique? Le président de l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO), Carol Jolin, attend de voir.

« Pour nous, l’objectif de 5 % reste central. Pendant la campagne, le Parti progressiste-conservateur, dans notre questionnaire aux principaux partis, s’est engagé à l’atteindre. On va voir comment il compte s’y prendre. Nous avons bien des questions et allons vouloir rencontrer rapidement les deux ministres responsables. »

Pour Mme Veronis, il serait logique que le dossier de l’immigration francophone échoue entre les mains de la nouvelle ministre déléguée aux Affaires francophones, Caroline Mulroney. Un avis que partage la politologue de l’Université d’Ottawa, Linda Cardinal.

« Sous l’ancien gouvernement, le dossier de l’immigration francophone a toujours donné l’impression d’être piloté par Marie-France Lalonde [ancienne ministre des Affaires francophones]. Les organismes de la francophonie ontarienne vont devoir redoubler d’efforts auprès de Mme Mulroney et de son adjointe parlementaire, Amanda Simard, pour bien faire comprendre l’importance de ce dossier, d’autant que le fédéral semble vouloir donner plus de place aux provinces en matière d’immigration. »

Maintenir les relations avec Ottawa

Preuve en est, le dévoilement, en avril dernier, d’une l’annexe francophone jointe à l’Accord Canada-Ontario sur l’immigration (ACOI) dont les objectifs sont d’accroître le nombre d’immigrants francophones en Ontario, pour atteindre les cibles fixées, mais aussi d’inclure les nouveaux arrivants à la communauté franco-ontarienne et de leur faire connaître les possibilités de vivre en français dans la province.

« On veut que la province continue de travailler conjointement avec le gouvernement fédéral. On a vu une légère amélioration dans les chiffres ces dernières années, il faut continuer dans cette voie », estime M. Jolin.

Le président de l’AFO se montre d’autant plus rassuré que même si le gouvernement provincial a changé, les fonctionnaires qui ont travaillé sur ce dossier sont toujours en poste. Mme Cardinal partage cet optimisme prudent.

« Même si le gouvernement souhaite défaire certaines décisions prises par l’ancien gouvernement, je ne m’attends pas à une rupture importante par rapport aux Franco-Ontariens, notamment sur le dossier de l’immigration francophone. Peut-être simplement que les progressistes-conservateurs vont moins se focaliser sur la cible que sur les services offerts, en ayant une approche plus pragmatique. »


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