John Tory, héritier d’un modèle brisé de services en français?

John Tory réélu pour la troisième fois maire de Toronto. Archives ONFR+

[CHRONIQUE]

Alors que la plupart d’entre nous se préparaient à célébrer la nouvelle année, le maire de Toronto John Tory en a profité pour appuyer le principe d’une université francophone dans la métropole. Cette déclaration est certainement bienvenue pour les partisans d’un campus dans le centre-sud de la province. Toutefois, son administration envoie depuis son élection des signaux contradictoires en matière de francophonie.

MARC-ANDRÉ GAGNON
Chroniqueur invité
@marca_

Personne ne peut reprocher au premier magistrat, élu en octobre 2014, son manque de bonne volonté concernant les affaires franco-ontariennes. Son discours de victoire, dont une partie fut prononcée en français, a d’ailleurs ravivé chez certains, le temps d’un soir, l’espoir de voir la métropole devenir officiellement bilingue. En février 2015, Tory rétablit le comité consultatif sur les affaires francophones (Comité français) et appuie publiquement, en décembre de la même année, le projet de la Maison de la francophonie qui se veut un futur point de rencontre pour l’animation culturelle et la prestation de services en français. Toutefois, l’arrimage entre les intentions du maire et l’administration municipale ne se fait pas toujours.

Il a fallu près de neuf mois avant que le Comité français puisse reprendre formellement ses activités en novembre 2015. La ville a aussi fait la manchette au cours des derniers mois, car elle n’a pas respecté sa propre politique des services multilingues en rayant le français de l’horaire des collectes de déchets ou encore de certains formulaires. De plus, John Tory soutient jusqu’ici des projets francophones qui ne relèvent pas de sa juridiction. L’université et la Maison de la francophonie sont deux dossiers pilotés ou financés par la province.

Les priorités de la communauté francophones sont loin sur l’agenda du conseil municipal. Malgré sa croissance démographique (en raison notamment de l’immigration), son enracinement historique dans la Ville Reine (on souligne cette année le 125e anniversaire de fondation de l’école élémentaire Sacré-Cœur) et le dynamisme de son réseau communautaire (de nombreux organismes de langue française), le bilinguisme institutionnel n’est pas sur la table pour l’administration Tory. Le principal intéressé ne s’en cache pas. Le fait français est un « problème pratique ». Toujours selon Tory, il en coûterait trop cher à la Ville pour imposer le français dans la fonction publique municipale.

En réalité, le maire a hérité d’un modèle brisé en matière de services en français. La politique torontoise les concernant est partielle et complexe. Historiquement, Toronto a choisi de faire porter le fardeau du bilinguisme sur les épaules du milieu communautaire. C’est dans cette optique qu’elle met sur pied le Comité français en 1981. Ce dernier n’a jamais toutefois été qu’un organisme de consultation et les élus municipaux peuvent en disposer comme bon lui semble. On se souviendra d’ailleurs que l’administration Ford avait choisi de suspendre son mandat en 2012. Jugé alors « superflu » et doté d’un maigre budget de 15 000 $, le Comité avait fait les frais de la lutte au déficit municipal.

Il aura fallu une campagne intensive de l’ACFO-Toronto auprès du conseil municipal et la mise au rancart de Rob Ford en marge des scandales qui ont secoué l’hôtel de ville en 2013 pour que le Comité renaisse de ses cendres. Malgré ses limites institutionnelles apparentes, le Comité français de la ville de Toronto demeure l’instrument privilégié des Franco-Ontariens afin de faire les représentations nécessaires au sein de l’appareil municipal.

Le Comité opère dans les balises spécifiées par la politique de service multilingue adoptée en 2002. Rappelons toutefois que sans la vigilance du Comité français de l’époque, cette politique aurait très bien pu faire fi du français. C’est en effet sous les recommandations de ce Comité que des provisions spécifiques ont été entérinées pour la traduction de documents dans la langue de Molière lorsque d’autres langues que l’anglais sont utilisées. Toutefois, la ville peut, sous certaines réserves, omettre la version française. Cette politique « à la pièce » va bien au-delà des communications avec le grand public. Il existe du personnel francophone dans le corps de police et dans le réseau de bibliothèques, mais ces services ne sont pas toujours connus de la part des citoyens. Cette situation se répète dans d’autres domaines relevant de l’administration municipale dont le Bureau de la santé publique de Toronto.

Des solutions

Le Comité français ne peut porter seul le dossier des services en français. La ville doit y mettre du sien. John Tory s’est exprimé à plusieurs reprises sur l’importance des affaires francophones et croit que Toronto se doit de refléter la dualité linguistique présente au Canada. Pour ce faire, plusieurs avenues s’offrent à lui.

Une première étape serait de consacrer davantage de ressources au Comité français. Celui-ci se réunit jusqu’ici deux fois par année. C’est trop peu pour un organisme qui a le mandat de veiller au développement du fait français dans l’administration municipale. Une évaluation des différents services en français pourrait également donner l’heure juste sur les réussites et les limites de la politique actuelle. Un tel exercice pourrait se tenir conjointement avec les fonctionnaires municipaux et la communauté francophone. Ce seraient là les premières étapes afin que la ville se dote d’une véritable politique globale sur les services en français.

Une piste de solution pourrait également venir de Queen’s Park. Le maire Tory est certainement en bonne position pour demander des sommes dédiés aux services municipaux en français. Néanmoins, dans le contexte budgétaire que l’on connaît, la solution passe vraisemblablement par le conseil municipal.

Marc-André Gagnon est doctorant en histoire à l’Université de Guelph.

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