Journée internationale de la francophonie : la créolophonie vouée à s’affirmer

Une francophonie en déclin dans la Caraïbe. Source: Canva

Il existe près de 127 langues créoles dans le monde. Des langues aux bases linguistiques très différentes, comme l’anglais, le tamoul, le portugais ou encore le néerlandais. Le créole français, lui, compterait une quinzaine de déclinaisons. Aux Antilles ou dans le Pacifique, c’est la langue maternelle de près de 12 millions de locuteurs. Le français et le créole sont souvent opposés. Pourtant, le déclin du français se veut aussi dans les anciennes colonies, là où l’« ennemi » commun n’est autre que l’anglais.

Née en Martinique, Alix Augustine-Wright est docteur en santé publique et épidémiologiste à Ottawa. D’aussi loin qu’elle s’en souvienne, le créole et le français ont toujours fait partie de son quotidien.

« J’ai grandi entourée du créole, dans ma famille et mon environnement. On ne se rend pas compte qu’on parle deux langues jusqu’au moment où on est confronté à l’extérieur. »

Cette réalité d’un bilinguisme natif semble prendre de plus en plus de place dans les départements et territoires d’outre-mer français. On trouve des créoles à base française dans les départements de la Martinique, de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Réunion et en Haïti.

Il y a aussi le tayo, créole à base française, parlé dans les environs de Nouméa en Nouvelle-Calédonie par environ 2 000 locuteurs, selon un recensement du ministère français de la Culture. D’ailleurs, en Nouvelle-Calédonie, on compte 28 langues kanak (non-créoles). Un des artistes émergents du pays, sous le nom de Simane, a expliqué à ONFR+ que le français est la langue qui permet à tout le monde de communiquer ensemble. Il y aurait donc une véritable scène pour l’usage du français.

Alix Augustine-Wright est née en Martinique, depuis toujours, elle parle créole et français. Crédit image : Micky Media Productions

Les langues créoles furent souvent opposées au français par un rapport de domination, le français s’imposant comme la langue administrative.

Les langues créoles, vieilles de seulement trois siècles, sont en perpétuelle évolution.

Christian Girault, directeur émérite au Centre national de recherche scientifique (CNRS) à Paris, atteste que « le créole n’ayant que trois siècles doit évoluer pour exister. Quelquefois limitée et dominée, cette langue a toujours eu à s’affirmer, même si le français reste une langue dominante dans sa capacité administrative ».

 « Le créole est la langue familière, intime et proche, mais dans les affaires, le politique et la justice, on utilisera le français. »

En Martinique par exemple, l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) révèle que 71 % des Martiniquais parlent créole dans leur vie quotidienne, que ce soit chez eux, au travail ou entre amis.

De plus, 90 % de la population déclare maîtriser le créole martiniquais, c’est-à-dire être capable de s’exprimer.

Le créole garde-fou de la langue française  

Alors que le français perd de sa superbe à l’échelle mondiale, le créole, qui souvent était relayé au second plan, tend à s’affirmer dans les arts, la musique et la sphère publique. « Les artistes émergents s’amusent plus avec le créole, mais on l’entend aussi plus souvent chez les politiciens, notamment chez les indépendantistes », relate Alix Augustine-Wright.

« Les jeunes aussi vont plus sortir un français bien manucuré. Au contraire, ils sont fiers d’utiliser le créole. Je crois qu’il y a une transformation et une montée de conscience. »

Une enquête de l’INSEE en 2019, rapporte que « 81 % des Réunionnais de 15 ans ou plus déclarent maîtriser la langue créole et, lorsqu’ils écoutent de la musique, 82 % écoutent notamment des musiques de La Réunion ».

Ralph Ludwig est le premier docteur honoris causa de l’Université des Antilles. Crédit image : Gallimard

Ralph Ludwig, professeur à l’Université de Halle-Wittenberg, en Allemagne, linguiste et expert en langues créoles, voit « un processus double » dans ces langues.

D’abord, quand il a commencé à travailler en Guadeloupe, il se rappelle « qu’il y avait encore des personnes monolingues créoles ». Aujourd’hui, en Martinique et en Guadeloupe, plus ou moins tout le monde est bilingue », constate-t-il.  

Ensuite, « il y a un renouveau des compteurs créoles. Il y a un effort et une envie de ce maintien. D’ailleurs, en Guadeloupe, on exige des connaissances créoles dans certains domaines comme dans les banques ».

Cette démocratisation du créole est notable également dans le Pacifique et dans l’Océan Indien, à La Réunion.

Francky Lauret, poète et tout premier agrégé de créole en France, raconte au micro d’ONFR+ que sur les 24 communes de la Réunion, déjà 12 communes affichent une politique bilingue dans l’affichage municipal. « C’est en train de prendre de la place, au début, il y en avait trois et plus de communes devraient suivre le pas. »

Pour cet expert, nous avons longtemps opposé nos deux langues, mais on remarque aujourd’hui, qu’un véritable « marcher ensemble », s’opère. « Il ne s’agit pas d’abandonner une langue, ou d’en mettre une en avant. »

« Jusqu’a peu, il y avait un déséquilibre », admet-il, « mais notre intérêt est d’avoir un bilinguisme harmonieux ».

Francky Lauret est le premier linguiste agrégé de langue créole. Crédit image : Emmanuelle Grondin

M. Lauret explique qu’à la Réunion et très probablement du côté des Antilles, « il y a un rapport avec le créole qui est de l’ordre du marronnage ». « Il existe une volonté de faire naître une politique linguistique qui prend en compte les deux langues. »

Bien qu’on observe un déclin du français, y compris dans les Antilles et le Pacifique, la protection du créole, c’est aussi la protection du bilinguisme et par extension du français.

Le cas d’Haïti et ses dix millions de créolophones

D’après Ralph Ludwig, « au moins 80 % des Haïtiens sont unilingues créoles ». « L’intercompréhension entre le français et un véritable créolophone unilingue est nulle », explique-t-il.  

« Les Haïtiens n’ont d’ailleurs pas uniquement le français devant les yeux, mais l’espagnol et l’anglais américain, des langues très présentes en Haïti. »

Dans un rapport du ministère français de la Culture, un des auteurs explique qu’« Haïti a hérité d’une situation sociolinguistique bien particulière, voire paradoxale : il est le seul État francophone et le plus vaste espace créolophone d’une région principalement anglophone et hispanophone ».

C’est en 1918 que l’officialisation juridique du français en Haïti est actée. Pourtant, les bilingues franco-créolophones représentent seulement 5 % à 10 % de la population, l’autre majorité sont des unilingues créolophones.

Christian Girault directeur de recherche au CNRS à Paris. Crédit image : KTO média/ Capture d’écran

Le chercheur au CNRS, M. Girault en déduit donc qu’« À Haïti, le créole n’est pas du tout en déclin, c’est même plutôt le français ».

« L’école y est défectueuse », indique-t-il. « Il y a peu d’écoles et un taux d’analphabétisme très élevé. Les jeunes apprennent très mal le français et le français y est très abîmé. »

« Pourtant », reprend-il, « les intellectuels et auteurs sont remarquables. Ils parlent un français extraordinaire. De la même façon que dans la capitale, Port-au-Prince, on y parle français ».

Le créole n’est absolument pas en danger en Haïti. Frenand Léger, professeur à l’Université de Carleton, travaille sur les questions de langue, d’identité et d’oralité créole dans les récits de fiction dans l’aire de la Caraïbe francophone. Très actif dans le domaine de la recherche linguistique sur le créole d’Haïti, il explique que c’est le français qui se perd.

Frenand Léger est professeur de langue, de didactique et de littérature françaises à l’Université Carleton à Ottawa. Gracieuseté

Selon lui, pour que ce déclin cesse et pour que le français soit réellement utile, « il faudra bientôt que la francophonie, l’Organisation internationale de la Francophonie et peut-être même la France, s’intéressent à ce déclin et investissent en Haïti ».

« Pour l’expert, les Haïtiens sont de fiers francophones, mais il est vrai que le créole haïtien prend plus de place dans la sphère formelle. »

D’après les recherches de M. Léger sur le statut d’Haïti dans la francophonie, plusieurs linguistes étrangers, dont d’Ans, Valdman, Prudent et Lucrèce, considèrent qu’il y aurait 10 % de francophones en Haïti. Ce chiffre ne fait pas l’unanimité. « Certains linguistes réputés proposent des estimations plus basses. Pradel Pompilus estime entre 3 et 7 % la proportion d’Haïtiens capables de communiquer en français. »

M. Girault, du CNRS souligne également l’intérêt grandissant de la population pour l’anglais. « Les gens sont attirés par l’anglais et donc le français est concurrencé dans la Caraïbe. »

« Deux pays utilisaient le créole français : La Dominique et Sainte-Lucie. Aujourd’hui, les gens y parlent anglais. »