Andrée-Anne Martel : l’authentique progrès en matière de justice

Andrée-Anne Martel à l'ouverture du centre d'information juridique à Ottawa en janvier 2015. Crédit image: ONFR+

[LA RENCONTRE D’ONFR+]

VANIER  – Andrée-Anne Martel a été la directrice générale de l’Association des juristes d’expression française de l’Ontario (AJEFO) pendant dix ans. Cette Franco-Ontarienne admise au Barreau de l’Ontario en 2012 a développé de nombreux outils destinés à la communauté francophone et aux professionnels du monde juridique. Elle a contribué notamment à fournir des ressources en matière de justice et a travaillé avec le gouvernement provincial et fédéral pour obtenir ces ressources. C’est comme directrice générale du Centre des services communautaires de Vanier que Maître Martel œuvre toujours pour plus de progrès et d’équité.

« Comment êtes-vous tombée dans le monde judiciaire ?

J’ai toujours eu une personnalité forte et du caractère. J’ai toujours aimé donner mon opinion, trouver la source du pourquoi, démontrer et j’adore parler (rire). Je pense que c’était peut-être évident, comme j’aime être devant les foules et être entouré de personnes. J’ai une tante avocate qui avait un centre juridique à Cornwall aussi donc j’ai eu la chance de travailler pour elle pendant mes études, j’ai fait des études de Common law en français à l’Université d’Ottawa. Tout ça a confirmé que c’était ce que je voulais faire, je savais que je voulais être avocate. Depuis que je suis jeune en fait, je pense avoir appris très tôt ce que je voulais faire. Je suis très chanceuse d’avoir pu choisir ce parcours et d’avoir eu le soutien de ma famille.

Comment a démarré votre carrière dans le droit et dans le domaine juridique en français?

J’ai d’abord travaillé pour l’association de la Police provinciale de l’Ontario, c’était sur les allégations d’agressions de l’Église catholique. J’ai fait de la recherche juridique pour eux et assisté aux audiences de l’enquête, ça m’a ouverte aux différents types de droits et comment il se pratique. C’était en 2008 dans le cadre de l’enquête publique sur Cornwall, c’était un véritable privilège.

Ça a duré deux ou trois ans, c’était juste avant que j’entre en Droit. Puis, j’ai travaillé avec des avocats chevronnés avec qui je collabore maintenant. C’est vraiment un petit monde, le monde juridique francophone et je me sens hyper chanceuse d’en faire partie. Puis, il y a eu beaucoup de gens inspirants dans le droit linguistique, ça a été super enrichissant. Avant le Barreau, j’ai fait un stage à la Cour fédérale comme auxiliaire juridique auprès du juge Michel Beaudry, c’était quelque chose ça aussi.

Comment êtes-vous devenue directrice générale de l’AJEFO?

J’ai fait le Barreau et je ne savais pas trop quoi faire de ma vie d’avocate et là je suis tombée sur un poste de chargé de projet à l’AJEFO. J’avais déjà fait des stages là-bas et je connaissais bien la directrice, donc je me suis dit que c’était parfait pour moi. J’ai travaillé sur des idées super intéressantes, comme de la formation ou des projets pour les aînés. J’ai touché à plein de différents projets, ce qui a été très formateur.

Membre du Barreau de l’Ontario depuis 2012, Andrée-Anne Martel deviendra la directrice générale de l’AJEFO deux ans plus tard. Gracieuseté

À quoi ressemble vos huit années comme directrice générale de l’AJEFO ?

C’est avec les gens qu’on avance et c’est en collaboration que les projets avancent. Sans les partenaires et mon équipe de l’AJEFO, je ne serais pas où je suis maintenant.

Quand j’ai commencé, nous étions seulement cinq. Plus tard, on a débloqué un financement pluriannuel du gouvernement fédéral donc du ministère de la Justice qui nous a permis d’accroître l’équipe. Quand j’ai quitté l’AJEFO, nous étions une équipe de 22 à 25 employés. J’ai eu la chance de structurer cet organisme qui reflète professionnalisme et crédibilité. Cette institution est là pour rester, elle est importante et aujourd’hui, elle a de l’influence non seulement en Ontario, mais partout au Canada. J’ai travaillé avec des gens inspirants avec un véritable esprit d’équipe. Je ne peux pas expliquer à quel point je suis reconnaissante.

Vous dîtes que vous ne seriez pas là où vous êtes aujourd’hui sans l’AJEFO. Pourquoi cela?

J’ai commencé à bâtir mon réseau grâce à l’AJEFO et beaucoup de gens m’ont aidé. J’ai été très bien encadrée. Aujourd’hui, mes connaissances et ma capacité de gestion, tout cela s’est construit grâce à ces rencontres et ces mentors. J’ai acquis tant de compétences et j’ai adoré les partenaires.

Quels sont les projets auxquels vous avez participé qui vous ont marqué à l’AJEFO ?

Il y a eu plusieurs travaux, mais disons que trois gros projets auxquels j’ai participé sont très significatifs.

D’abord, il y a le centre d’information juridique de l’AJEFO, qui offre de l’information en français.Le 15 janvier 2015, je me souviendrais toujours de cette date. On venait de déménager nos bureaux plus proche du palais de justice et nous avions eu un lancement exceptionnel. Il ne faut pas oublier aussi que c’est le premier centre d’information à l’extérieur du Québec. C’est un centre pour les gens qui arrivent et ne savent pas où aller, car ils ont besoin d’un conseil juridique. Le centre est l’avant dernier arrêt pour les personnes qui ont un problème.

Ensuite, il y a eu la plateforme Jurisource.ca. Cela a débuté avant moi et quand je suis arrivée, j’étais une des premières chargées de projet là-dessus. Cette plateforme est devenue pancanadienne, alors qu’avant elle touchait seulement l’Ontario. En gros, c’est une bibliothèque virtuelle pour les avocats, juges, professeurs de droit et étudiants, 100 % en français. C’est une ressource que les avocats peuvent utiliser en français, mais ça aide aussi les professionnels à travailler dans la langue et c’est gratuit. On parle souvent du manque de ressources en français et avec ça, j’ai le sentiment qu’on aide dans ce sens. 

Le troisième projet a commencé en 2012, moi je suis arrivée en 2014. J’ai poursuivi ce projet qui est : cliquezjustice.ca. C’est un site d’information juridique en français pour monsieur et madame tout le monde. Ça a commencé en Ontario et maintenant là aussi c’est pancanadien. Ce site simplifie bien le jargon, il se veut clair pour que tout le monde comprenne ses droits.

En quoi l’accès à la justice en français est-il important, selon vous?

Ça me tient à cœur, que tu sois anglophone ou francophone tu devrais avoir accès à la justice en même temps et pour le même prix. La justice c’est comprendre tes droits dans la langue de ton choix, de façon claire pour être capable de faire des choix et des décisions éclairés. Tu devrais pouvoir gérer ta situation en français, comprendre et régler quoi que ce soit en français.

On le répète assez souvent, mais quand tu vas chez le médecin, tu dois avoir droit à des services en français, quand tu signes ton contrat de travail, tu as le droit de l’avoir en français . Cela devrait être pareil si tu as un problème juridique. Si je dois témoigner, je veux pouvoir le faire en français. En linguistique, une nuance peut différer entre l’anglais et le français, alors c’est extrêmement important, surtout quand il s’agit d’être jugé coupable ou innocent. Ça me tient vraiment à cœur en tant que Franco-Ontarienne, mais aussi comme avocate. Le droit à la justice en français, ça m’a aussi poussé à être, aujourd’hui, directrice du Centre des services communautaires de Vanier.

Andrée-Anne Martel est directrice générale du Centre des services communautaires Vanier depuis 2022. Gracieuseté

Où en est l’état de la justice en français aujourd’hui?

Il y a eu beaucoup de progrès en dix ans, beaucoup de conscientisation de la part des organismes et de nombreux rapports ont été publiés. J’ai témoigné devant l’Assemblée législative de l’Ontario à ce sujet. Il faut conscientiser le gouvernement de l’importance des services en français et d’avoir les bonnes personnes et les bonnes structures en place. Il faut assurer les droits linguistiques.

Nous devons relater l’information suivante : Vous avez le droit à des services en français dans les domaines fédéraux, en droit criminel, en divorce… on peut divorcer en français n’importe où au Canada. Il reste encore beaucoup de chemin à faire. Il faut plus de juges bilingues, c’est important parce que si nous n’en avons pas assez, cela va créer du retard dans le traitement des dossiers. Dans tous les rapports, on pourra constater qu’il y a un manque terrible de personnels administratifs bilingues.

Quel serait le meilleur moyen de pallier ce manque ?

Il y a plusieurs idées dans les rapports, mais l’enseignement en français est pas mal le bon moyen pour anticiper la relève. Il faut former des policiers, agents libéraux, agents de probations, des parajuristes et sténographes en français.

Quelles sont les compétences du Centre des services communautaires Vanier, dont vous êtes la directrice générale?

Au centre, nous avons, par exemple, la clinique juridique francophone d’Ottawa, qui est d’ailleurs la seule clinique juridique purement francophone de la région. Ici, nous ne servons que les francophones qui sont vulnérables. Il y a quatre secteurs, le secteur emploi, la clinique juridique, le secteur famille et le secteur développement communautaire et counselling.

Et comment ça se passe?

Je découvre le travail communautaire et j’adore. Pour l’emploi, on matche les gens, on aide les nouveaux arrivants. De voir ça sur le terrain, je trouve ça incroyable. Il y a une réelle vulnérabilité et cette communauté est tellement belle et diversifiée. Nous avons aussi un carrefour de pédiatrie sociale, le premier centre à l’extérieur du Québec. C’est exceptionnel comme projet. Notre philosophie, c’est l’enfant d’abord.

C’est une place où les enfants qui viennent sont vulnérables. Ils viennent avec leur famille ou avec la personne responsable. L’idée, c’est une approche holistique. L’enfant est au centre de l’intervention, il rencontre un travail de la santé, tel qu’une infirmière, un travailleur social, un avocat – sans s’identifier comme tel – et ensemble, ils vont travailler pour régler les problèmes de l’enfant. Ça peut être un problème de santé mentale, un problème lié à la salubrité du logement, des problèmes avec un cas de divorce par exemple. On travaille autour de l’enfant et avec lui.

Vous avez déjà une carrière remplie et encore du temps devant vous. Avez-vous des envies futures?

J’aime m’impliquer, apprendre et évoluer. J’ai siégé dans différents conseils d’administration, comme celui de l’Hôpital Monfort, pendant 6 ans. Ça m’a permis d’être exposé au domaine de la santé. Aujourd’hui, ça m’aide beaucoup dans mon travail. Je sais que j’ai commencé très jeune, Mona Fortier était une de mes mentors et m’a recommandé au conseil d’administration. Pour le futur, j’aime voir l’impact de mon travail alors, on verra. Directement ou indirectement, je travaillerais toujours pour la francophonie. »


LES DATE-CLÉS D’ANDRÉE-ANNE MARTEL :

1987 : Née à Cornwall (Ontario)

2012 : Appel au Barreau de l’Ontario

2014 : Devient directrice générale de l’Association des juristes d’expression française de l’Ontario (AJEFO)

2015 : Déménage les locaux de l’AJEFO et ouvre le premier Centre d’information juridique en Ontario

2018 : Nommée finaliste pour le Prix Bernard Grandmaître

2022 : Devient directrice générale du Centre des services communautaires Vanier

Chaque fin de semaine, ONFR+ rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.