Justice en français : le ministère ouvre la porte

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OTTAWA – Dans son dixième et dernier rapport annuel paru le 19 mai, le commissaire aux langues officielles du Canada, Graham Fraser, fait de la mise en œuvre des recommandations de son rapport conjoint de 2013, L’Accès à la justice dans les deux langues officielles : Améliorer la capacité bilingue de la magistrature des cours supérieures, l’une des deux principales priorités pour le gouvernement de Justin Trudeau. Mis de côté par le précédent gouvernement, le rapport fait présentement l’objet d’une analyse approfondie, selon le ministère de la Justice.

BENJAMIN VACHET
bvachet@tfo.org | @BVachet

L’accès à la justice en français reste un défi important pour de nombreux francophones à travers le Canada. En 2013, le commissaire aux langues officielles du Canada et ses homologues provinciaux, la commissaire aux langues officielles du Nouveau-Brunswick, Katherine d’Entremont, et le commissaire aux services en français de l’Ontario, François Boileau, avaient publié un rapport pour en faciliter l’accès.

Des pistes de solution restées sans réponse ce qui a convaincu le commissaire Fraser de revenir à la charge, dans son dernier rapport, en demandant au gouvernement libéral de s’engager, d’ici le 31 octobre 2016, à mettre en œuvre les recommandations de l’étude.

Joint par #ONfr, le ministère de la Justice de Jody Wilson-Raybould assure, par courriel, regarder avec beaucoup d’intérêt l’étude en question.

« Le travail du Commissaire aux langues officielles au cours des dix dernières années a été d’une importance vitale dans la recherche de moyens d’améliorer l’accès à la justice dans les deux langues officielles partout au Canada. Les représentants du Ministère analysent les plus récentes recommandations du Commissaire afin de déterminer la meilleure façon de les appuyer, en particulier la recommandation de s’engager à mettre en œuvre les recommandations du rapport L’accès à la justice dans les deux langues officielles : Améliorer la capacité bilingue de la magistrature des cours supérieures de 2013. »

Le ministère ajoute être bien conscient du besoin d’améliorer la capacité juridique dans les deux langues officielles.

« Comme vous le savez, la lettre de mandat du Ministre la dirigeait de s’assurer que les juges nommées à la Cour suprême sont effectivement bilingues, et le gouvernement va honorer cet engagement. En ce concerne la capacité bilingue des cours supérieures, ceci fera partie de l’examen général du processus de nomination des juges des cours supérieures. Il faut également souligner le rôle des juges en chef de chacune des cours supérieures qui, au cours des consultations qu’entreprend le ministre avant de combler un poste à la cour, fournissent des renseignements inestimables sur le niveau de bilinguisme nécessaire. »

Question de coût

Pour le porte-parole aux langues officielles du Parti conservateur (PC), Bernard Généreux, il faudra que le comité permanent des langues officielles étudie chaque recommandation du rapport de 2013 avec attention pour savoir lesquelles sont essentielles. Pour lui, le gouvernement actuel dispose d’une bonne marge de manœuvre.

« En 2013, le gouvernement conservateur a dû faire des choix difficiles. Nous étions dans une période de restrictions budgétaires. Grâce aux décisions que nous avons prises, le Parti libéral du Canada a hérité d’un budget équilibré qui lui donne plus de latitude aujourd’hui pour étudier les recommandations de M. Fraser. Mais il ne faut pas pour autant oublier d’évaluer le coût des mesures proposées dans le rapport avant d’agir. »

Pour son homologue néo-démocrate, François Choquette, respecter les recommandations du rapport de 2013 devrait être une priorité du gouvernement.

« Il ne faut pas voir ça comme un coût, mais comme un investissement. Favoriser l’accès à la justice et mettre en œuvre les recommandations très claires du commissaire aux langues officielles en matière de justice devraient être une priorité du gouvernement. Pour l’instant, les libéraux montrent beaucoup de bonne volonté devant les caméras, mais ils n’agissent pas! »

Pour M. Choquette, le rapport de 2013 et la question du bilinguisme des juges à la Cour suprême du Canada sont les deux dossiers sur lesquels le gouvernement devrait s’engager rapidement, alors que le porte-parole du Nouveau Parti démocratique (NPD) pour les langues officielles a repris le flambeau d’Yvon Godin en présentant un projet de loi en ce sens.

Bilinguisme des juges

Si le gouvernement fait mine de bonne volonté en matière d’accès à la justice, plusieurs questions demeurent, notamment sur la question des juges bilingues à la Cour suprême du Canada, alors que le juge Thomas Cromwell prendra sa retraite en septembre.

En 2014, le Parti libéral du Canada (PLC) avait appuyé le projet de loi d’Yvon Godin sur le bilinguisme des juges à la Cour suprême du Canada. Dans sa plateforme électorale, le parti de Justin Trudeau s’engageait à « veiller au bilinguisme fonctionnel de tous les juges nommés ».

Le secrétaire parlementaire de la ministre de la Justice, Sean Casey, a confirmé en entrevue avec Radio-Canada, que le gouvernement nommerait des juges bilingues à la Cour suprême du Canada. Il a toutefois jugé qu’il n’était pas urgent de voter une loi. Le PLC justifie sa réticence législative en disant craindre qu’il faille amender la Constitution pour pouvoir apporter cette modification.

« Si le gouvernement a cette crainte, il n’a qu’à demander un avis juridique tout de suite à la Cour suprême du Canada au lieu d’attendre! », lance M. Choquette.

Du côté du PC, M. Généreux se dit ouvert à étudier le projet de loi mais reste dubitatif.

« Personne ne peut être contre la vertu, mais j’ai un problème avec l’idée d’un juge « parfaitement » bilingue. Ça veut dire quoi au juste « parfaitement bilingue »? Je crains que ça ne restreigne l’accès à beaucoup de monde et de bons candidats si on demande un bilinguisme trop élevé. »

Le commissaire aux langues officielles du Canada, Graham Fraser avait insisté sur l’importance de la compréhension des deux langues officielles pour de tels postes. Pour M. Choquette, l’évaluation et les critères du bilinguisme seront à déterminer, mais selon lui, l’important est avant tout de lancer un message aux futurs aspirants.

« Il est important de voter cette loi et d’envoyer le message que pour devenir juge à la Cour suprême du Canada, il faut être bilingue! »