Justin Johnson ou le destin marqué par Louis Riel

Le leader franco-manitobain, Justin Johnson. Gracieuseté

[LA RENCONTRE D’ONFR] 

WINNIPEG – Justin Johnson est un jeune homme occupé. Entre son nouveau poste de directeur général de l’Association des municipalités bilingues du Manitoba (AMBM), ses fonctions de vice-président de la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada ou encore, sa maîtrise en gouvernance autochtone à l’Université de Winnipeg, ce Franco-Manitobain a un emploi du temps chargé. L’entrevue convenue, quelques minutes avant le coup d’envoi de l’AGA de la Société de la francophonie manitobaine (SFM), est finalement plus longue que prévue. Et un nom reviendra souvent au cours de la discussion. Celui de Louis Riel.

SÉBASTIEN PIERROZ
spierroz@tfo.org | @sebpierroz

« Vous avez 26 ans et êtes vice-président de la FCFA depuis le mois de juin. Lorsque vous avez été élu, vous aviez fait allusion à Louis Riel qui était devenu chef du gouvernement provisoire au Manitoba à 26 ans justement… Vous vous en rappelez?

(Rires). Ça a été ma réponse, oui! Louis Riel a osé pour sa province et la francophonie une vision qui repose sur les droits linguistiques. Ce rôle de vice-président de la FCFA que je poursuis, je le prends très au sérieux.

Deux Johnson à la tête de la FCFA, comment va la relation entre vous et le président Jean Johnson?

On s’entend très bien, on se complémente beaucoup, mais surtout on se comprend sur les dossiers de l’heure qui affectent la francophonie canadienne. La modernisation de la Loi sur les langues officielles reste la priorité numéro 1. On veut que cette loi-là s’adapte aux réalités de la francophonie canadienne aujourd’hui. Moderniser la loi, c’est un peu une affaire de famille. Quand il y a une dispute dans une famille, il faut un père et une mère pour dire quoi faire. La même chose doit s’appliquer pour cette loi. Il faut une agence centrale qui rappelle aux agences du gouvernement ce qu’il faut faire avec la loi.

En août dernier, vous entriez en fonction comme DG de l’Association des municipalités bilingues du Manitoba. À quoi ressemble donc votre journée de travail?

Nous avons comme mission de voir la pérennité des municipalités bilingues au Manitoba. C’est beaucoup un travail de représentation politique et stratégique, en étroite collaboration avec les élus et administrateurs des municipalités. On outille les municipalités à développer des plans d’action pour offrir des services en français.

On sait qu’il y a plus de 40 000 Franco-Manitobains. Comment êtes-vous devenu l’un des leaders de la communauté franco-manitobaine?

Je me suis beaucoup engagé depuis le temps où j’étais président du Conseil jeunesse provincial du Manitoba, et ce jusqu’à la présidence de la Fédération de la jeunesse canadienne-française (FJCF). J’ai découvert aussi mes racines Métis, et je m’identifie comme Métis franco-manitobain ou Métis canadien-français, plus généralement de la Rivière Rouge. Cette histoire-là est rattachée à Louis Riel, avec la fondation du Manitoba, son entrée dans la Confédération canadienne comme province institutionnellement bilingue. Ce sont des faits qui résonnent pour moi, et aujourd’hui, je veux voir à ce que l’on puisse vivre davantage cette histoire-là, et l’actualiser pour l’avenir.

Plusieurs identités donc?

(Réflexion). C’est la beauté de la chose! On dit souvent dans les cercles Métis canadiens-français que l’union fait la force. Les Métis ont contribué à la fondation de ce pays, et font partie de l’identité canadienne.

Voulez-vous revenir aux racines du Manitoba?

La province avait été fondée comme institutionnellement bilingue en 1869-1870, mais en 1890, le français a été banni comme langue officielle et on promulguait l’anglais comme seule langue officielle de la province. En fait, ce ne serait pas autant revenir aux racines et une période statique dans le temps. Je veux plutôt dire que si on veut vivre dans un pays bilingue, et renforcer la dualité linguistique, il faut premièrement bien comprendre notre histoire, et voir à ce qu’on applique cette histoire contenu des réalités francophones, et de les vivre.

Venez-vous d’une famille très engagée dans la francophonie?

(Rires). On peut dire qu’historiquement, oui! Mon grand-père Johnson a beaucoup œuvré en politique municipale. Du bord de ma mère, plutôt du bord Beauchemin qui est mon bord Métis, j’ai découvert lors de mon baccalauréat en philosophie que mon arrière-arrière-arrière grand-père, André Beauchemin, a siégé en tant que conseiller du gouvernement provisoire de Louis Riel. C’est quelque chose dont je suis très fier!

Louis Riel reste une figure encore aujourd’hui controversée. Parvenez-vous à comprendre les positions de ses détracteurs?

J’étudie en ce moment dans un programme de maîtrise à l’Université de Winnipeg, dans le programme de gouvernance autochtone. Je me suis donné comme objectif de développer la structure logique de la philosophie politique de Louis Riel. Depuis un bon nombre d’années, j’étudie tous ses écrits, dans le but de comprendre comment Riel voulait se faire comprendre. C’est difficile, car il y a des récits historiques qui dépeignent Riel comme traître à la Couronne et à la Confédération canadienne. C’est un méchant travail, mais je m’y suis engagé!

Qu-est-ce qui manque aujourd’hui à la francophonie manitobaine?

(Longue réflexion). La francophonie manitobaine vient de mener un processus de consultation provinciale dans le cadre des États généraux de la francophonie manitobaine. Je faisais partie du comité directeur des États généraux. Ce processus a beaucoup incité un renouveau, et un changement authentique de la francophonie manitobaine. Il faut que les organismes puissent mieux coordonner leurs activités pour maximiser l’impact. Le but, c’est que la francophonie ait une vision commune pour son avenir d’ici 2035…

… c’est pas loin 2035?

En consultant les axes stratégiques, on voit que la communauté s’est dotée d’un plan qui a du vif et de la viande. C’est très ambitieux. C’est ce que monsieur et madame tout le monde franco-manitobain se disent. Il ne faut pas dire que c’est chose abstraite. [Le document dévoilé en 2016 mise sur « la relève par l’éducation en français », la « transition des jeunes » vers le milieu de travail bilingue ou encore, une « meilleure synergie et communication » entre organismes.]

Il y a aussi la Loi sur l’appui à l’épanouissement de la francophonie manitobaine, avec des plans de services en français. C’est un travail de fond qui se poursuit. Depuis le début des États généraux, la participation citoyenne est évidente, et se voit davantage, comme aux assemblées générales de la SFM.

On parle beaucoup du sommet de la Francophonie à Erevan en ce moment. Est-ce qu’un jour vous aimeriez voir le Manitoba rejoindre l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF)?

Ça, c’est une discussion qu’aura notre premier ministre du Manitoba si la volonté politique existe. Ayant fait partie de la délégation canadienne au sommet de Madagascar en 2016 [à titre de président de la FJCF], je me suis rendu compte que la société civile a sa place à jouer sur la scène internationale pour faire valoir la diversité canadienne.

Gardez-vous un souvenir particulier de ce sommet à Madagascar, il y a deux ans?

Il faisait chaud! (Rires). Je me suis surtout aperçu qu’il y a une jeunesse engagée, outillée dans le monde, qui veut davantage jouer un rôle autour des tables des décisions.

Est-ce qu’un jour vous voudriez faire de la politique?

(Rires). Depuis jeune, je me dis que ce sont les enjeux qui définissent les acteurs politiques. En agissant sur un enjeu ou un dossier pour la francophonie, il faut vouloir rendre la situation meilleure. S’il y a un enjeu qui me passionne, je vais me lancer, mais il faut la passion avant tout. J’ai besoin de comprendre l’objectif et l’envergure de la vision avant de m’engager.

Vous privilégiez donc la raison, et l’énergie après?

Oui, c’est cela, mais l’action est parfois importante, voire plus importante. On se doit de s’engager, jeune ou moins jeune, pour préparer le terrain à des changements dans la société. Mon poste de vice-président de la FCFA, je le vois comme une responsabilité de citoyen et de Canadien.

Vous êtes passionné de philosophie. Ça été aussi votre domaine d’études au baccalauréat. Qu’est-ce que cela vous apporte au quotidien dans votre vie?

Pour moi, la philosophie ne doit pas être tout simplement utile pour une fin autre que la philosophie même. Je m’explique, la philosophie se veut libre de pensée, une pratique, une façon de vivre, qui souhaite comprendre pourquoi les choses sont comme elles sont. On comprend ainsi mieux les réalités, comme pour les francophones ou les Métis.

Vous avez choisi d’étudier à l’Université de Winnipeg qui est anglophone plutôt que celle de Saint-Bonfiace qui est francophone. Est-ce qu’il y a une raison?

Je me suis dit que je devais mieux parler en anglais, et je voulais maîtriser les deux langues officielles. Je devais faire un travail de plus en anglais. Cela étant dit, j’étudie dans les deux langues dans mon programme de la maîtrise, car les écrits de Louis Riel sont majoritairement en français. C’est une occasion pour moi de faire vivre les valeurs revendiquées par Riel dans le cadre mes études. »


LES DATES-CLÉS DE JUSTIN JOHNSON :

1991 : Naissance à Saint-Boniface

2013 : Baccalauréat en philosophie à l’Université de Winnipeg

2016 : Élu président de la Fédération de la jeunesse canadienne-française (mandat terminé en 2018)

2018 : Élu vice-président de la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) et devient directeur général de l’Association des municipalités bilingues du Manitoba (AMBM)

Chaque fin de semaine, #ONfr rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.