Justin Trudeau justifie l’étiquetage unilingue anglais

Le premier ministre Justin Trudeau. Source: Twitter Justin Trudeau

OTTAWA – Le premier ministre Justin Trudeau a justifié les nouvelles exemptions au bilinguisme, décidées par Santé Canada, par la situation exceptionnelle que traverse le pays depuis le début de la crise de la COVID-19.

« On est dans une situation sans précédent où l’accès à des produits, comme des produits nettoyants, pour les mains, est devenu une partie essentielle pour que les Canadiens se gardent en sécurité. Il a fallu qu’on prenne des décisions absolument inacceptables dans d’autres moments. On comprend que c’est loin d’être idéal, ni pour l’identité de notre pays ni pour la sécurité de nos concitoyens. On espère que ça ne se fera pas beaucoup », a justifié le premier ministre Justin Trudeau, en point presse, ce mardi.

Hier, Santé Canada avait décidé d’accorder une exemption à l’obligation de bilinguisme de l’étiquetage de certains produits afin d’en assurer l’approvisionnement. L’étiquette et la fiche de données de sécurité ne devront plus être obligatoirement disponibles en français et en anglais pour les produits d’entretien utilisés au travail et qui sont régis par la Loi sur les produits dangereux (LPD).

« La mesure provisoire sera appliquée uniquement pendant la pandémie », précisait le ministère, par voie de communiqué.

Les produits concernés sont les produits nettoyants destinés principalement à nettoyer, javelliser ou récurer des surfaces et les produits de lessive et de vaisselle utilisés principalement pour le nettoyage. Les produits seulement utilisés pour polir, protéger ou améliorer l’apparence des surfaces sont exclus de cette exemption, tout comme les assouplisseurs.

« L’argument de la situation extrême semble être un argument facile. Le gouvernement fait des choix arbitraires en ce moment, et c’est extrêmement inquiétant de voir qu’en cette période de crise, le respect des langues officielles et un traitement égal pour les anglophones et les francophones du pays ne semblent pas être sur son radar », analyse la politologue au Collège militaire royal du Canada, Stéphanie Chouinard.

Les francophones, des citoyens de seconde zone?

La décision de Santé Canada a provoqué l’indignation du président de la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada, Jean Johnson, en entrevue avec ONFR+, hier. Ce matin, l’organisme répète ses critiques dénonçant « un manque de respect à couper le souffle ».

« Sommes-nous devenus des citoyens de deuxième classe? Sommes-nous moins méritants de protection en temps de crise que nos concitoyens de langue anglaise? », questionne, par voie de communiqué, M. Johnson.

La FCFA craint que cette mesure crée un précédent.

« On se doit de dire haut et fort que ce genre de mesure ne passera pas. Parce que si on l’accepte, on ouvre la porte à ce qu’une fois la crise passée, les autorités nous disent que finalement, l’étiquetage bilingue n’est pas si nécessaire que ça. La crise du Covid-19 ne doit pas servir d’excuse pour jeter nos valeurs aux oubliettes. »

Une inquiétude que comprend Mme Chouinard.

« C’est une question pertinente : si la sécurité des citoyens francophones et leur accès à de l’information importante ne sont pas essentiels en temps de crise, pourquoi ça le serait le reste du temps? »

« Rien ne justifie le non-respect de nos deux langues officielles. C’est un enjeu de santé et de sécurité publique »- René Cormier, sénateur

Plusieurs francophones à travers le pays se sont émus de cette décision sur les réseaux sociaux, d’autres ne voient rien à redire, soulignant qu’il s’agit d’une mesure « temporaire ». Pour le sénateur acadien, René Cormier, elle demeure inacceptable.

Étiquetage temporaire

Le premier ministre n’a pas nié le risque sur la sécurité publique, tout en expliquant vouloir trouver le bon équilibre.

« On veut absolument que, pour des questions de sécurité du consommateur, les produits soient étiquetés dans les deux langues officielles. Mais dans une situation extrême comme celle dans laquelle on est maintenant, il faut équilibrer différentes vulnérabilités. »

La FCFA milite plutôt pour l’apposition d’étiquettes temporaires, avec l’essentiel des informations de santé et sécurité en français, sur les produits unilingues importés.

Le président de la FCFA, Jean Johnson. Crédit image : Étienne Ranger

« Cela atteindrait l’objectif que ces produits se rendent sur le marché rapidement tout en montrant au minimum une préoccupation de communiquer dans les deux langues officielles. »

Mais le gouvernement fédéral préfère s’en remettre à la bonne volonté des entreprises.

« On s’attend à ce que les compagnies travaillent très fort pour essayer de rectifier ces situations », explique M. Trudeau.

D’autres exemptions

La décision de Santé Canada, hier, est la deuxième du genre depuis le début de la crise. Au début de la crise de la COVID-19, une mesure similaire sur l’étiquetage bilingue avait été prise pour les produits désinfectants et antiseptiques.

« À l’époque déjà, des organismes et le Commissariat aux langues officielles avaient tiré la sonnette d’alarme », note la politologue Stéphanie Chouinard. « Mais le message ne semble pas être entendu et on continue de voir un relâchement des obligations linguistiques. »

Le commissaire aux langues officielles du Canada, Raymond Théberge rappelle avoir reçu plusieurs plaintes à ce sujet.

« Je dois donc limiter mes commentaires sur la question », explique-t-il à ONFR+ dans une déclaration écrite. « Par contre, je vous confirme que nous analysons de façon approfondie toutes les facettes de la situation. (…) Les Canadiens doivent être en mesure de comprendre en tout temps les messages qui leur sont adressés par l’ensemble des institutions fédérales. C’est particulièrement vrai dans le contexte actuel. »

D’autres exemptions sont-elles à prévoir? Le premier ministre ne ferme pas la porte complètement.

« On espère ne pas avoir à faire d’autres exemptions et trouver des moyens d’afficher les étiquettes en français et anglais sur tous les produits. Mais nous sommes dans une situation où la main-d’œuvre et la capacité logistique ne sont pas toujours présentes. C’est pour ça qu’on s’est dit que dans certains cas, c’était mieux de s’assurer que les produits arrivent. »