« Moé j’viens du Nord s’tie », la vie et les temps d’André Paiement

Chaque samedi, ONFR+ propose une chronique sur l’actualité et la culture franco-ontarienne. Cette semaine, la blogueuse et activiste du Nord de l’Ontario, Isabelle Bougeault-Tassé.

[CHRONIQUE]

Décédé il y a 45 ans, André Paiement, un géant de l’Ontario français né à Sturgeon Falls, est le père du Théâtre du Nouvel Ontario (TNO) à Sudbury et parmi les plus grands dramaturges franco-ontariens. Ce musicien et chanteur de CANO était porteur de rêves. De courage, de poésie, de beat et de revendication. Un « révolutionnaire serein » qui allait « écrire son théâtre, pas celui des autres ».

André Paiement, le père du TNO et rock star de la musique franco-ontarienne, allait laisser ses traces sur l’Ontario français, faisant de notre coin de pays reculé une aurore boréale dans le firmament.

Après un spectacle fulgurant au Grand Théâtre de Sudbury, M. Paiement s’éteint le 23 janvier 1978. Il n’avait pas encore vingt-huit ans. 45 ans plus tard, rappelons le génie, l’esprit et la générosité de ce jeune Franco-Ontarien.

Alors qu’il est étudiant en traduction à l’Université Laurentienne, ce natif de Sturgeon Falls concentre ses forces dans un groupe d’étudiants revendicateur. Dans le manifeste « Molière go home », il joint sa voix à cette jeunesse effrontée qui réclame un cours en littérature canadienne et qui rêve de jouer des textes à leur image et au timbre de leur accent. C’est l’émergence du Grand Cano – et ce n’était que ses premiers balbutiements.

Une première incroyable sur les planches

En 1970, André Paiement monte sur les planches avec La Troupe universitaire à la Laurentienne pour présenter Moé j’viens du Nord s’tie, le récit d’un jeune à la croisée des chemins d’un destin sudburois et qui voit en l’université un endroit « où, selon lui, on secoue toute servitude. »

Après les deux représentations à Sudbury, la Troupe universitaire allait crier son message aux quatre vents du Nouvel-Ontario. Comme l’explique Gaston Tremblay, qui accompagne M. Paiement dans l’expérience Moé j’viens du Nord s’tie, « c’est comme si on avait établi les extrémités de notre territoire. Pour les Franco-Ontariens, le Nouvel-Ontario c’était Sudbury, Hearst, ensuite North Bay. Et c’est juste plus tard qu’on a commencé à tenir compte d’Ottawa et de Toronto. »

André Paiement, père du Théâtre du Nouvel Ontario. Gracieuseté TNO

Après cette première sortie incroyable, Il rédige Et le septième jour…, À mes fils bien-aimés, La vie et les temps de Médéric Boileau et Lavalléville, s’inscrivant dans l’explosion artistique au Canada français et devenant le contemporain de Michel Tremblay, auteur des Belles-Sœurs, et d’Antonine Maillet, auteure des monologues de La Sagouine  

« Avant Paiement, on montait des pièces d’ailleurs, comme Zone de Marcel Dubé », expliquait le dramaturge franco-sudburois Robert Marinier à L’Express. « Avec Moé j’viens du Nord s’tie, il a parlé de nos affaires – l’histoire se passe à Sudbury – il a posé un geste politique. Paiement a montré qu’on pouvait créer notre propre dramaturgie. »

Dimanche après-midi

Si André Paiement est le père du Théâtre du Nouvel-Ontario, il est également figure de proue du groupe CANO musique, un groupe formé par la Coopérative des artistes du Nouvel-Ontario (CANO). À une époque où Harmonium et Beau Dommage enflamment les palmarès de musique franco, CANO arrive sur la scène dans une explosion de roc et de slague.

Avec des albums tels Tous dans l’même bateau, Eclipse, et Rendezvous, le groupe rejoint quelque chose d’intangible chez ses spectateurs avec des tounes comme En plein hiver, Mon Pays et Au nord de notre vie. Invités à performer à l’incontournable émission Les Beaux Dimanches de Radio-Canada, ils seraient courtisés, choyés, adorés par leurs publics francophones et francophiles.

En 2021, son incomparable Dimanche après-midi est intronisé au Panthéon des auteurs-compositeurs avec Baie Sainte Marie, écrite par l’artiste Marcel Aymar et membre de CANO, toutes deux tirées de l’album Tous dans l’même bateau.

« C’était cette prise d’identité », racontera Marcel Aymar à Radio-Canada en 2021. « Autant ça se passait au Québec, ça se passait aussi pour les francos dans le reste du Canada. Nous étions un peu dans la même mouvance ».

« Cette chanson-là me tient à cœur… tellement, mais tellement », poursuivait Aymar. « Je suis complètement convaincu qu’André (Paiement) serait tellement content de savoir que Dimanche après-midi va être intronisée, c’est certain ».

M. Paiement aurait écrit Dimanche après-midi alors qu’il travaillait à l’église de son village natal de Sturgeon Falls :

C’est dimanche après-midi
Et tout s’arrête dans mon village
Si tu étais ici
Je ferais cesser l’orage

« Le « tu », c’est pour sa blonde, je pense que c’était écrit pour son premier amour », rapporte son frère Paul Paiement. Selon lui, plus d’une à Sturgeon Falls réclamerait être celle à qui André Paiement avait voué la chanson (ainsi que la chanson En plein hiver) : « Si vous saviez combien de femmes! »

Une étoile filante

Jeune de ses presque 28 ans, M. Paiement a été pour l’Ontario français une des plus magnifiques étoiles filantes, faisant l’amour et la guerre face aux forces de l’histoire qui tenaient à garder le Franco-Ontarien à sa place.

Et s’il était toujours de ce monde, ce grand prodige et précurseur aurait continué à nous dire, à nous raconter, à faire des Nouvel-Ontariens une communauté fière, féroce et franco.

À dire, « moé j’viens du Nord s’tie ».