La cour, recours ultime mais pas toujours efficace pour les francophones

La Cour suprême du Canada.
La Cour suprême du Canada. Crédit image: Stéphane Bédard

OTTAWA – La victoire « historique » des francophones de Colombie-Britannique ne doit pas faire oublier que c’est sur le terrain politique que les choses se concrétisent. Le recours aux tribunaux demeure un outil important pour les francophones, mais il doit rester la dernière option, rappellent des politologues.

« C’est une victoire juridique importante, mais qui a pris dix ans et on ne sait pas encore quand se construiront les écoles. On le voit avec l’école Rose-des-Vents : la bataille juridique a duré cinq ans, il y a eu une victoire en 2015, et cinq ans plus tard, on a toujours des portatives et la même école. »

Face à l’enthousiasme de la victoire du 12 juin devant la Cour suprême du Canada, le politologue de l’Université Simon Fraser, à Vancouver, Rémi Léger apporte une certaine nuance, que confirme l’avocat spécialiste des droits linguistiques, Michel Doucet.

« L’expérience montre que cela peut prendre beaucoup de temps avant qu’un jugement soit mis en œuvre. Cette victoire donne un outil supplémentaire pour négocier, mais il n’y a aucun échéancier et beaucoup de marge de manœuvre pour le gouvernement dans ce jugement. »

Si bien, ajoute-t-il, que malgré leur victoire, les Franco-Colombiens devront peut-être retourner devant les tribunaux pour le faire appliquer, comme en Nouvelle-Écosse par le passé.

L’exemple récent de la Saskatchewan

Le recours judiciaire? Après avoir longtemps hésité à suivre les pas du Collectif des parents inquiets et préoccupés (CPIP), le Conseil des écoles fransaskoises (CÉF) s’y était résolu, en 2017, pour obtenir la construction de nouvelles écoles à Regina, Prince Albert et Saskatoon.

Mais l’arrivée de Gordon Wyant, comme vice-premier ministre et ministre de l’Éducation, a changé la donne, explique le président du CÉF, Alpha Barry.

« Comme ancien ministre de la Justice, il connaissait très bien les nombreuses batailles judiciaires que nous avions menées et gagnées ces dernières années. Il voulait trouver une solution durable. Dans le même temps, il y a eu une volonté au sein du conseil scolaire de mettre plus d’emphase sur l’approche politique. Car ce ne sont pas les tribunaux qui décident comment les fonds publics sont utilisés. »

Le président du Conseil des écoles fransaskoises, Alpha Barry. Source : Facebook

Ce choix semble gagnant. En 2019, le conseil scolaire a signé une entente avec la province garantissant la construction des écoles demandées au cours des six prochaines années en échange de la suspension des démarches judiciaires. Hier, le gouvernement du Parti saskatchewanais (PS) a annoncé la construction d’une école élémentaire à Regina et des annonces sont espérées rapidement pour Saskatoon et Prince Albert.

« Il a fallu faire du démarchage politique avec l’aide de l’Assemblée communautaire fransaskoise et convaincre les élus. Mais quand on leur parle de nos succès, on peut les sensibiliser. »  

La politologue au Collège royal militaire du Canada, Stéphanie Chouinard, valide la pertinence de cette approche.

« Comme minorité, le politique ne joue pas toujours en notre faveur, mais pour démontrer sa bonne foi, il vaut toujours mieux commencer par là, en impliquant ses alliés qui peuvent relayer l’information auprès des autres élus. Car au final, c’est le législateur qui décide. »

L’Ontario se détourne des tribunaux

En Ontario, la crise de 2018 laissait présager un recours judiciaire inévitable pour obtenir la construction de l’Université de l’Ontario français (UOF) et le rétablissement du Commissariat aux services en français. Pourtant, l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO) a progressivement mis cette option en veilleuse.

« Quand tu choisis la voie des tribunaux, plus rien n’avance pendant toute la durée de la procédure, dans tous tes dossiers. Il faut donc bien y réfléchir », justifie le président, Carol Jolin. « Pour l’UOF, on a eu des conversations continues avec le gouvernement, les partis d’opposition et les fonctionnaires et on a senti qu’il y avait une ouverture. On a martelé nos messages, sensibilisé sur une solution gagnant-gagnant et ça a débloqué, d’autant que le contexte des élections fédérales nous a aidés. »

« Il est certain que si on était allé devant les tribunaux, l’UOF ne serait pas prête à ouvrir en septembre 2021 » – Carol Jolin, président de l’AFO

M. Jolin souligne le choix de l’AFO, en 2016, d’embaucher un analyste politique pour développer cette approche. Aujourd’hui, même si l’Ontario français n’a pas récupéré un commissariat indépendant, la stratégie reste la même.

« Nous avons bâti de bons rapports avec tous les partis et un bon niveau de communication avec le gouvernement. On continue le travail politique et nous présenterons bientôt un projet de refonte de la Loi sur les services en français qui prévoit un commissariat indépendant. »

Politique et juridique se complètent

Les deux organismes ne sont toutefois pas prêts à renoncer à l’appareil judiciaire si les choses n’avancent pas. Car ces deux exemples ne doivent pas faire oublier les avancées qu’ont permises les tribunaux, estime M. Doucet.

« Les tribunaux ne doivent pas être le premier outil, mais sans ça, le développement de l’éducation en français en contexte minoritaire ne serait certainement pas le même. »

M. Léger plaide pour trouver un juste équilibre.

« Dans les années 90, il y avait un débat dans le milieu intellectuel francophone, certains conseillant de délaisser le politique pour le juridique. Mais depuis 10-15 ans, on se rend compte qu’il faut peut-être faire les deux. Cela dit, quand la province fait la sourde oreille, comme en Colombie-Britannique, tu n’as pas vraiment d’autre choix. »

Un avis que partage Mme Chouinard.

« Parfois, il faut tordre le bras des gouvernements avec lesquels aucun dialogue n’est possible et qui préfèrent que les juges leur disent quoi faire plutôt que de dépenser des fonds substantiels pour une minorité très peu visible, ce qui n’est pas payant politiquement. »  

Le passé a toutefois démontré que cette situation n’est pas irrémédiable, souligne M. Léger, peu importe le poids des francophones.

« Il y a trois décennies, des éditoriaux anglophones se positionnaient en faveur de l’éducation en français en Colombie-Britannique. Aujourd’hui, la cause en Cour suprême est peu connue de la majorité qui serait peut-être ouverte à appuyer les francophones si elle connaissait leurs enjeux. »