La Cour suprême du Canada rejette les arguments de Caron et Boutet

(La Cour suprême du Canada. Archives, #ONfr)
La Cour suprême du Canada. Archives, #ONfr

OTTAWA – La Cour suprême du Canada a rendu son verdict tant attendu dans la cause Caron-Boutet, le vendredi 20 novembre. Le plus haut tribunal du pays statue que l’Alberta n’a pas à légiférer dans les deux langues officielles, ce qui valide par conséquent son droit de se déclarer unilingue anglophone en 1988.

SÉBASTIEN PIERROZ
spierroz@tfo.org | @SebPierroz

BENJAMIN VACHET
bvachet@tfo.org | @BVachet

Moins d’un mois après avoir refusé d’entendre les causes de la Commission scolaire francophone des Territoires du Nord-Ouest (CSFTN-O) et de l’Association des parents ayants droit de Yellowknife (APADY), la Cour suprême du Canada a pris une nouvelle décision décevante pour les francophones en milieu minoritaire.

Le verdict tant attendu dans la cause Caron-Boutet est finalement tombé à 9h45, vendredi 20 novembre. Après douze ans de saga linguistique et judiciaire, six des neuf juges de la Cour suprême ont validé le droit du gouvernement de l’Alberta de ne légiférer qu’en anglais.

Un verdict favorable de la Cour suprême aurait pu avoir des conséquences majeures pour les francophones de l’Alberta, mais aussi de la Saskatchewan, en remettant en cause le caractère unilingue anglophone des deux provinces, gravé dans le marbre depuis 1988.

« C’est un jugement décevant », a immédiatement réagi à #ONfr, Mark Power, l’avocat de Pierre Boutet. « On se souvient que d’après, entre autres, la Proclamation royale de 1869, le français et l’anglais étaient pourtant les deux langues de l’Ouest canadien. Les paroles s’envolent, mais les écrits restent. »

Me Power se déclare encouragé tout de même que trois juges du plus haut tribunal du pays aient reconnu le « fait francophone » de l’Alberta. « Avec l’arrivée des Québécois dans cette province, l’avenir du français de l’Ouest canadien passe par l’Alberta. »

« C’est malheureux. Trois juges ont pourtant reconnu la promesse solennelle (au 19e siècle) du gouvernement sur le bilinguisme », analyse l’avocat de Gilles Caron, Roger Lepage, peu après le jugement. Pour lui, le combat judiciaire doit être mis au second plan. « Ce n’est que partie remise. Il faut que la communauté francophone passe au dossier politique. »

Déception, le mot était également dans la bouche de la présidente de la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada, Sylviane Lanthier : « La cause est rejetée car les juges estiment qu’il n’y a pas assez de clarté (…) On n’a pas encore les mots pour convaincre les juges (du bilinguisme), mais comme citoyens, c’est peut-être à nous de le faire (…) Nous allons continuer à interpeller le gouvernement fédéral pour qu’il puisse appuyer les provinces dans un cheminement pour que la majorité des citoyens canadiens soit sous des régimes législatifs et juridiques qui se ressemblent. »

Pour Jean Johnson, président de l’Association canadienne-française de l’Alberta (ACFA), le coup est dur à encaisser : « Je suis estomaqué », a-t-il fait savoir à #ONfr. « Il va falloir réitérer notre déception par rapport à ce jugement (…) On va devoir maintenir une certaine pression sur le gouvernement pour obtenir des services en français, bien que nous sommes dans une position de faiblesse. »

Du côté de son homologue de l’Assemblée communautaire fransaskoise (ACF), Françoise Sigur-Cloutier, l’heure n’était aussi pas aux sourires : « Notre espoir était très grand. On vient de rentrer dans la vallée des larmes. C’est difficile, c’est un choc, mais on va s’en remettre. Nous avons un combat politique qui s’annonce pour faire valoir ce bilinguisme. »

Un manque d’arguments écrits pour justifier ce bilinguisme, c’est aussi l’avis de Sébastien Grammond, professeur de droit à l’Université d’Ottawa et un des avocats de M. Boutet : « La majorité des juges nous dit que les politiciens de l’époque ne nous ont pas laissé de traces suffisantes de cette promesse du bilinguisme. (…) L’espoir de la communauté doit se réaliser par des discussions politiques. C’est l’occasion de reprendre cette discussion. »

Rappel des faits

Accusés d’infractions routières dans deux affaires distinctes, le camionneur, Gilles Caron, et l’homme d’affaires d’Edmonton, Pierre Boutet, ont fait cause commune. Ils contestaient la validité de leurs contraventions rédigées uniquement en anglais, au motif qu’elles s’appuyaient sur une loi, la Traffic Safety Act, et un règlement, le Use of Highway and Rules of the Road Regulation, qui n’ont été adoptés qu’en anglais et seraient donc inconstitutionnels.

Se basant sur la Proclamation royale de 1869, les listes des droits et le Décret en conseil sur la Terre de Rupert et du Territoire du Nord-Ouest du 23 juin 1870, les avocats des deux Franco-Albertains souhaitaient que soit reconnue l’obligation pour l’Alberta d’édicter, d’imprimer et de publier ses lois et ses règlements en français et en anglais. Cette obligation aurait été spécifiée, selon eux, lors du rattachement de la Terre de Rupert et du Territoire du Nord-Ouest à la Confédération canadienne, en 1870.