La COVID-19 promet des temps difficiles aux collèges et universités

«Au bord d’un dilemme démographique : l’impact du retour en force des jeunes adultes sur l’éducation postsecondaire dans le Nord de l’Ontario», la nouvelle étude de l'Institut des Politiques du Nord remet en question le financement actuel des établissements du Nord. Archives ONFR

Les collèges et universités ontariens s’attendent à subir des pertes importantes du fait de la COVID-19. Si aucune institution ne parle officiellement de licenciements, toutes espèrent un retour rapide « à une certaine normale ».

Le 1er mai, l’Association canadienne des professeures et professeurs d’université (ACPPU) tirait la sonnette d’alarme demandant au gouvernement fédéral du soutien pour le secteur postsecondaire afin de compenser les impacts de la COVID-19. Cette inquiétude, c’est aussi celle des institutions francophones et bilingues en Ontario.

« La nouvelle formule de financement de la province nous avait déjà pénalisés, la pandémie ajoute une difficulté supplémentaire. On pensait avoir un prochain budget équilibré, il sera finalement déficitaire », explique la rectrice de l’Université Saint-Paul, Chantal Beauvais.

La situation financière est aussi délicate à l’Université Laurentienne.

« On projette un déficit de 15 millions de dollars pour 2020-2021. La COVID-19 nous frappe fort, comme toutes les universités », explique son recteur, Robert Haché, qui rappelle que les universités ontariennes ont déjà dû absorber la baisse des frais d’inscription de 10 %, annoncée par le gouvernement Ford à l’hiver 2019.

Des coûts importants

Pour expliquer cette situation, beaucoup évoquent les pertes de recettes engendrées par la pandémie.

« Nous avons dû demander à nos étudiants de quitter les résidences, ce qui constitue un manque à gagner. Nous avons aussi dû interrompre plusieurs de nos services, comme la restauration… », énumère par exemple M. Haché.

Dans le même temps, la mise en place des mesures sanitaires et des cours à distance a entraîné des coûts.

« Il ne faut pas croire que les cours à distance coûtent moins cher », insiste Mme Beauvais. « Il faut équiper le personnel pour qu’il puisse travailler de la maison, payer des heures supplémentaires pour que notre personnel informatique mette tout en place… »

Sans oublier les frais supplémentaires de nettoyage et de matériel de protection rendus obligatoires par la COVID-19.

Ces coûts pourraient perdurer selon la forme que prend le retour progressif des étudiants.

« Si on doit avoir de l’équipement de protection pour tous nos étudiants, qu’on ne peut avoir que quatre personnes par laboratoire, cela engendra un coût », remarque Daniel Giroux, président du Collège Boréal.

Beaucoup d’inconnu

Aujourd’hui, les institutions postsecondaires sont plongées dans l’inconnu.

« On est dans la période où on prépare le budget et la programmation, où on planifie le recrutement… Mais il y a beaucoup de choses que l’on ne peut pas prévoir », souligne Luc Bussières, recteur de l’Université de Hearst.

Parmi ces inconnus, il y a les taux d’inscription. Des projections parlent d’une perte de 30 à 50 % pour l’automne prochain. À l’Université de Hearst, on s’attend à accueillir 75 étudiants en moins, sur un effectif qui en compte quelque 250 habituellement à temps complet.

Le recteur de l’Université de Hearst, Luc Bussières. Crédit image : Université de Hearst

« Est-ce que les étudiants seront prêts à revenir en cours? Quel genre de cours allons-nous leur offrir? Auront-ils les moyens de s’inscrire s’ils n’ont pas pu travailler de l’été ou si leurs parents ont perdu leur emploi? », questionne M. Bussières, inquiet également de l’éventuelle impossibilité de procéder à des tournées de recrutement dans les écoles secondaires.

À l’Université Saint-Paul, pour l’heure, les inscriptions sont stables par rapport à l’année précédente. Du côté de l’Université Laurentienne, le nombre d’étudiants a diminué pour la session du printemps, mais ils se sont inscrits à davantage de cours.

Moins d’étudiants internationaux

L’absence des lucratives inscriptions internationales pourrait aussi peser sur les finances des universités, même si le gouvernement fédéral a assuré que les étudiants internationaux inscrits avant le début de la pandémie pourront venir.

« Mais c’est un petit contingent qui s’inscrit autant à l’avance », remarque M. Bussières qui prévoit se donner plus de flexibilité pour pouvoir accueillir des étudiants internationaux jusqu’à la mi-octobre.

La possibilité pour les étudiants internationaux de suivre des cours à distance ne convainc pas M. Giroux.

« Ça risque d’être difficile à appliquer », dit-il. « Mais pour nous, c’est un peu moins pénalisant, car les étudiants internationaux de représentent que 6 à 10 % de nos effectifs. »

Des coupures à venir?

Dans les institutions postsecondaires, les rumeurs vont bon train.

« Mais il ne faut pas trop exagérer les choses », tempère Jean-Charles Cachon, de l’Association des professeurs de l’Université Laurentienne (APPUL). « Les inscriptions canadiennes ne vont pas forcément diminuer et il pourrait même y avoir des retours aux études des personnes qui perdront leur emploi. »

Un avis que partage M. Giroux.

« On se tient prêt à offrir des formations, y compris plus courtes, pour les personnes qui perdraient leur emploi. Je pense que nous avons un rôle à jouer dans la réouverture de l’économie. On peut être flexible selon les besoins. »

Daniel Giroux, président du Collège Boréal. Crédit image : Étienne Fortin-Gauthier

Le recteur de l’Université Laurentienne reconnaît pour sa part chercher des économies. D’ores et déjà, les nouvelles embauches ont été suspendues et les dépenses non essentielles gelées, dit-il.

La rectrice de l’Université Saint-Paul envisage quant à elle d’accélérer la décision de supprimer les programmes qui fonctionnent moins bien.

« Notre monde, c’est notre ressource principale. Il est important de garder cette expertise et on espère ne pas être contraint de faire des licenciements. »

Comme le souligne M. Bussières, tout dépendra du temps que durera la crise.

Aide gouvernementale demandée

Dans un tel contexte, les institutions postsecondaires se tournent vers les gouvernements. Les 25 millions de dollars annoncés par l’Ontario, le 31 mars, ont fourni une bouffée d’oxygène pour répondre aux besoins les plus pressants, mais ils ne sauraient suffire à long terme, s’entendent-elles.

« L’Ontario pourrait revoir sa formule de financement et adopter une approche différenciée, car la situation n’est pas la même partout », suggère Mme Beauvais.

Une idée que voit d’un bon œil l’APPUL.

« Il y a des défis particuliers dans le Nord, notamment car la démographie y baisse. On doit donner la possibilité de faire plus de recrutement à l’extérieur. Il faudrait aussi une reconnaissance particulière des institutions bilingues », glisse M. Cachon.

Le ministère des Collèges et Universités assure suivre la situation de près.

« Le ministre Romano travaille activement avec les institutions postsecondaires pour s’assurer qu’elles disposent des ressources nécessaires pour répondre à la COVID-19 et pour assurer la continuité de leurs programmes aux étudiants », explique le ministère dans un échange de courriels.