La COVID-19, un défi de plus pour les femmes victimes de violence

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Les mesures d’isolement prises par la province pour lutter contre la COVID-19 représentent un défi supplémentaire pour les femmes victimes de violence conjugale, expliquent différents intervenants.

« Rester à la maison, pour une femme victime de violence conjugale, ce n’est pas forcément être en sécurité », rappelle Sylvie Gravel, superviseure de la Maison Interlude House qui, depuis 1983, accueille femmes et enfants victimes de violence conjugale dans l’Est ontarien.

En demandant aux Canadiens de restreindre au maximum leurs sorties, le risque est aussi d’accroître les violences conjugales, craignent les organismes, alors que le système peine déjà à répondre à la demande.

« C’est encore difficile de dire s’il y a un impact, mais on sait qu’il y a déjà une violence qui s’exerce et que dans les circonstances, il y a encore plus de moyens qu’elle soit exercée », explique la directrice générale d’Action ontarienne contre la violence faite aux femmes (AOCVF), Maïra Martin.

Selon Dada Gasirabo, directrice générale d’Oasis Centre des femmes, la fréquentation de la ligne d’écoute Fem’aide a augmenté depuis le début de la pandémie dans la région Centre-Sud-Ouest.

« C’est une très grande préoccupation », dit-elle.

À Timmins, le Centre Passerelle pour femmes du Nord de l’Ontario fait le même constat.

« On reçoit de plus en plus d’appels de femmes. Elles demandent comment faire dans ce temps-là, s’il ne vaut pas mieux, malgré tout, qu’elles restent chez elles en attendant », raconte la directrice générale, Chantal Mailloux.

Les services encore disponibles

Toutes les intervenantes jointes par ONFR+ redoutent également que le confinement rende les victimes moins enclines à demander de l’aide.

« Certaines ne peuvent peut-être pas s’isoler pour appeler. D’autres peuvent craindre de quitter le domicile par peur de la pandémie », illustre Mme Martin.

De plus, souligne Mme Gravel, le placement en télétravail d’un partenaire violent offre une occasion de moins pour les femmes victimes de violence qui voudraient quitter leur domicile pour lui échapper en son absence.

Maïra Martin, directrice générale de l’Action ontarienne contre la violence faite aux femmes. Crédit image : Université d’Ottawa

La directrice générale d’AOCVF insiste pour rappeler que les services sont encore disponibles.

« Les femmes doivent savoir que si elles le veulent, elles peuvent partir, et que la ligne Fem’aide reste disponible 24h sur 24, 7 jours sur 7 », rappelle Mme Martin, qui encourage l’entourage des femmes soupçonnées d’être victimes de violence conjugale à rester en contact avec elles, par courriel ou par téléphone.

En ligne ou par téléphone

Face à la situation, les organismes s’organisent.

« On n’a plus de rencontre en face à face, mais on fait des consultations par téléphone et nos intervenantes contactent une fois par semaine les personnes qu’elles suivent », indique Mme Gravel, à Hawkesbury.

Même chose au Centre Passerelle, qui a maintenu une employée au bureau pour rediriger les appels vers les intervenantes qui travaillent de chez elles, et du côté d’Oasis Centre des femmes, dans la région de Toronto.

« On continue aussi à réfléchir à d’autres moyens virtuels : des ateliers en ligne, des webinaires où les personnes pourraient parler », dit Mme Gasirabo, reconnaissant que le contact humain reste toujours préférable. 

Les organismes tentent de faire connaître ces services via les médias sociaux.

Le problème de l’hébergement

En matière d’hébergement, la COVID-19 accentue le problème systémique du manque de capacité d’accueil, notamment dans les cinq centres francophones de la province.

« La durée de séjour s’est prolongée dans la dernière année, du fait de la crise du logement dans la région de Toronto, mais avec la pandémie, ce problème est exacerbé », constate Jeanne-Françoise Moué, directrice générale de La Maison.

Car avec les restrictions imposées quant au déplacement, difficile d’imaginer chercher un logement.

« Présentement, tout est en stagnation et le cheminement des femmes est à l’arrêt. Elles ne peuvent pas chercher de logement, poursuivre leurs démarches, aller à leur rendez-vous d’avocat… », déplore Mme Gravel.

« On trouvera toujours une solution pour une femme qui craindrait pour sa sécurité » – Jeanne-Françoise Moué, La Maison

Même si la volonté d’aider est intacte, des considérations sanitaires viennent s’ajouter.

« On doit s’assurer de ne pas faire entrer la COVID-19 dans nos centres d’hébergement », rappelle Mme Moué.

Les centres limitent donc au maximum les sorties de leurs résidentes et disent avoir mis en place des mesures très strictes pour le personnel afin d’éviter une situation similaire aux foyers de soins de longue durée.

La Ville d’Ottawa a annoncé, cette semaine, la mise en place d’un édifice pour accueillir les personnes sans-abri ou les femmes victimes de violence qui doivent s’autoconfiner et qui sont symptomatiques ou diagnostiquées de la COVID-19. À Toronto, des discussions sont en cours avec la ville, selon Mme Moué.

Des fonds supplémentaires

Dans le plan fédéral dévoilé par le premier ministre Justin Trudeau, une aide jusqu’à 50 millions de dollars est promise pour aider les refuges pour femmes et les centres d’aide aux victimes d’agression sexuelle.

« C’est une bonne nouvelle, car il y a des besoins, mais il faut que le fédéral soit flexible, que l’utilisation des fonds ne soit pas trop contraignante et que tous les organismes puissent en bénéficier, selon leurs besoins particuliers », juge Mme Martin. 

Ce jeudi, l’Ontario a annoncé plus de 2,7 millions de dollars pour plus de 50 organismes, dont ceux d’aide immédiate aux victimes, les organisations autochtones et celles desservant les régions rurales. Ces fonds doivent notamment permettre d’élargir l’accès à des soutiens immédiats pour les victimes, comme des séjours prolongés dans les hôtels, le transport et des bons de repas offerts dans le cadre du Programme d’intervention rapide+ auprès des victimes.