La dernière librairie francophone de Toronto sauvée

La librairie Children's French Book Corner a un nouveau toit. Crédit image: Lynda Grimard-Watt

TORONTO – Forcée d’abandonner son local, à quelques jours d’avis, la librairie « Children’s French Book Corner » de Toronto a frôlé la fermeture. Le dernier chapitre d’une année forte en rebondissement dans le monde du livre francophone à Toronto.

« Le 1er septembre, mon propriétaire m’a annoncé qu’il me donnait 30 jours pour quitter mon local. J’ai eu très peur que mon rêve prenne fin. Un rêve qui a débuté en ouvrant une librairie avec une simple étagère de livres en français, puis une autre et une autre. J’ai craint que tout s’effondre », raconte avec émotions Lynda Grimard-Watt.

Retrouver un local pour sa librairie dans une ville où la folie immobilière a fait exploser les prix des espaces commerciaux? Pas une simple affaire. Le décompte amorcé, elle s’est retroussé les manches.

« J’ai lancé un appel à tous sur les réseaux sociaux : qu’on m’aide à trouver un local que je pourrais partager avec une autre organisation pour diminuer les coûts », explique-t-elle.

La réponse a été immédiate : des dizaines de messages de clients inquiets. Et une main tendue. « Un client m’a contacté et m’a mis en contact avec une dame qui gère un espace éducatif dans le quartier Danforth. Elle participe à l’éducation des enfants, comme moi. Nous avons discuté, nous avons négocié, puis nous avons signé », confie Lynda Grimard-Watt, émue.

Lynda Grimard-Watt. Crédit image : Children’s French Book Corner

Elle est plus fière que jamais de sa mission et a pu constater l’attachement de la communauté francophone et francophile pour son commerce.

« Cette mésaventure m’a permis de constater la solidarité des gens à mon endroit. J’ai pu constater la différence que je faisais dans leur vie. Je donne à la communauté depuis trois ans et elle m’a redonné à son tour, en me sauvant », ajoute-t-elle.

La guerre n’est pas gagnée

Le nouveau local situé au 2205 Danforth est plus petit que l’ancien et plus cher.

« Je dois augmenter mes revenus, en pleine pandémie », lance-t-elle. « Mais la pandémie a à la fois un effet négatif et un effet positif. Oui, il y a des clients qui ont peur de fréquenter les librairies. Mais en raison de la fermeture des bibliothèques des écoles, d’autres parents découvrent mon commerce », explique Mme Grimard-Watt.

L’école à distance pour des milliers d’élèves et les difficultés des conseils scolaires à offrir les programmes d’immersion française comme à l’habitude ont motivé certains parents à prendre les choses en main, eux-mêmes.

« Ils viennent en magasin pour chercher des livres en français. Pour bien s’assurer que le livre soit adapté au niveau de leur enfant, il faut venir en personne à la librairie. Les achats en ligne ça ne le fait pas », dit-elle.

Certains francophones s’étonnent du nom de son commerce, en anglais. « J’utilise l’anglais pour amener les gens vers le français. Les parents anglophones cherchent en anglais sur les moteurs de recherche et me découvrent », affirme-t-elle.

L’achat en ligne demeure néanmoins une menace pour son commerce et les autres librairies. Chaque citoyen a le devoir de réfléchir aux conséquences de ses gestes, affirme-t-elle, sans détour.

« Si vous achetez vos livres en ligne, vos vêtements en ligne et commandez des restaurants en ligne, d’ici quelques années, les rues vont être désertes. Les librairies et les commerces de vêtements vont fermer et les restaurants n’auront plus besoin de salles à manger », s’inquiète-t-elle.

Livres à Toronto : dès janvier, la pagaille

En janvier, ONFR+ révélait que les bibliothèques publiques comptaient se débarrasser. Après une levée de boucliers pancanadienne et une poignée d’articles dans des médias étrangers, l’organisme a accepté d’annuler sa décision.

Invitées à corriger le tir, les bibliothèques publiques de Toronto ont même annoncé vouloir doubler le nombre de livres en français sur les tablettes.

Aussi en début d’année, la librairie Mosaïque de Toronto confirmait à ONFR+ ses difficultés financières. Une situation qui forcera la petite entreprise à fermer son local dans l’Ouest de Toronto pour privilégier la vente uniquement en ligne. Une perte brute pour la francophonie torontoise, alors que l’endroit organisait des événements culturels et des activités littéraires dans la langue de Molière.