La dualité canadienne en 10 moments historiques

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[COLLOQUE DUALITÉ CANADIENNE]

En 2017, le 150e anniversaire de la Confédération constitue un moment pour réfléchir à l’histoire de notre régime politique. Puisque la dualité nationale constitue un fil conducteur de l’histoire canadienne, en voici une brève histoire, en 10 moments clés.

SERGE DUPUIS
Chroniqueur invité
@SergeDupuis5

L’Acte de Québec : En 1774, la Grande-Bretagne permet aux habitants canadiens de maintenir le droit civil français, de pratiquer librement la religion catholique et d’utiliser le français dans les affaires publiques de la colonie.

La création du Haut-Canada et du Bas-Canada : Devant l’arrivée de milliers de colons « loyalistes » des 13 colonies américaines, la Couronne britannique scinde la Province of Quebec en Haut-Canada et Bas-Canada. La rivière des Outaouais est choisie comme frontière, car elle sépare plus ou moins la zone française et de l’anglaise. Une assemblée régit désormais les affaires locales dans la vallée du fleuve Saint-Laurent.

L’Union des Canadas : Après les rébellions de 1837-1838, la Couronne cherche une solution aux problèmes politiques des colonies canadiennes. Lord Durham propose l’attribution de la responsabilité ministérielle aux députés élus, mais la fusion des colonies dans une seule assemblée, l’abolition du français en chambre et la sous-représentation des Canadiens français par rapport à leur poids démographique fait de l’Union de 1840 un recul pour la reconnaissance de la dualité nationale.

La Loi constitutionnelle de 1867 : La Confédération instaure un Dominion doté d’un gouvernement fédéral et d’assemblées provinciales pouvant gérer des compétences dites locales (l’éducation, le droit civil, les ressources naturelles, etc.). On reconnaît le bilinguisme des tribunaux et des assemblées législatives du Québec et du Canada. Dans le domaine de l’éducation, l’article 93 prévoit le financement d’écoles séparées, c’est-à-dire pour les minorités protestantes au Québec et catholiques en Ontario.

Les crises scolaires : De l’Île-du-Prince-Édouard en 1854 à la Saskatchewan en 1931, toutes les provinces canadiennes hors Québec proclament des règlements restreignant ou abolissant l’enseignement en français. Il faudra des années de désobéissance civile, animée par les Acadiens, les Franco-Manitobains et les Franco-Ontariens, pour menacer l’unité nationale et exiger des compromis reconnaissant l’usage limité du français dans les écoles primaires subventionnées par les taxes scolaires.

Le pacte entre deux peuples : Le politicien et intellectuel Henri Bourassa souhaite que la dualité (religieuse et linguistique), reconnue par les institutions du Québec, le soient dans le Canada en entier. L’État fédéral doit refléter les deux sociétés coexistant sur le territoire canadien et faisant partie d’une même communauté politique. Dans le domaine scolaire, un régime scolaire complet et autonome, accordé aux Canadiens anglais du Québec, devrait exister pour les Canadiens français des autres provinces. Devant le déclin de l’impérialisme britannique dans les années 1920, certains compromis abonderont en ce sens.

La Loi sur les langues officielles : Proposée par le premier ministre Pierre Trudeau, la Loi de 1969 proclame l’égalité du français et de l’anglais au sein de l’État fédéral et lance un important programme de subventions pour soutenir les activités socioculturelles des Acadiens et minorités canadiennes-françaises. La Loi constitue une demi-mesure aux yeux de la Commission, dirigée par André Laurendeau et Davidson Dunton, qui avait proposé la reconnaissance des deux sociétés d’intégration, ainsi que des districts bilingues – au Québec et parmi les concentrations francophones – où les affaires publiques se seraient déroulées dans les deux langues officielles. La politique du multiculturalisme (1971) rassurera les groupes ethniques de l’Ouest qui s’opposent à ce qu’ils perçoivent comme un traitement préférentiel des Canadiens-français; ça choquera les nationalistes québécois, qui y verront une mesure pour anéantir leur différence et leurs revendications.

La Loi reconnaissant l’égalité des deux communautés linguistiques officielles au Nouveau-Brunswick : Puisque 35 % de la population néo-brunswickoise est acadienne ou brayonne, le gouvernement provincial adopte, dès 1960, des mesures pour assurer les « chances égales pour tous » et reconnaître la dualité par des mesures, dont la « bilinguisation » de l’État provincial, la création d’une université de langue française, l’autonomisation du régime scolaire acadien et le développement socioéconomique des régions à majorité acadienne. Puisque le Québec a reconnu le français comme seule langue officielle en 1974, le Nouveau-Brunswick devient la seule province officiellement bilingue.

La Charte canadienne des droits et libertés : Adoptée en 1982, la Charte reconnaît le bilinguisme de l’État fédéral et du Nouveau-Brunswick; son article 23 offre aussi aux francophones hors Québec une éducation primaire et secondaire dans un « établissement de la communauté ». Le Québec et le Nouveau-Brunswick respectent déjà ces critères, mais cette garantie ambiguë mènera à une série de causes devant les tribunaux pour clarifier les obligations des provinces. Après deux décennies de procès, tous les francophones auront des conseils scolaires et des écoles autonomes, même si des écarts persisteront, notamment dans la qualité des installations.

La reconnaissance de la nation québécoise : Après les échecs des gouvernements de Brian Mulroney et de Robert Bourassa à faire reconnaître le Québec comme « société distincte », mais aussi celui du Parti québécois à enclencher le processus d’indépendance, le gouvernement de Stephen Harper résout que « le Québec constitue une nation au sein d’un Canada uni », sans toutefois lui accorder des pouvoirs additionnels. L’asymétrie avec le Québec se limite donc à quelques compétences déléguées, dont l’immigration par exemple.

À l’heure actuelle… Le bilinguisme de l’État fédéral, l’indépendance des écoles de langue française et le sentiment d’autonomie de la société québécoise constituent des éléments qui font transparaître l’existence de deux sociétés d’intégration et zones linguistiques partagées, même si le « pacte entre deux peuples » ou l’indépendance du Québec apparaissent, selon plusieurs, comme des projets appartenant à une époque révolue.

Serge Dupuis est chargé de cours au Département d’histoire de l’Université de Sherbrooke et membre associé de la Chaire pour le développement de la recherche sur la culture d’expression française en Amérique du Nord (CEFAN) à Université Laval.

Cette analyse est une première d’une série de quatre chroniques en marge d’un colloque qui se tiendra au Campus Saint-Jean en Alberta les 27, 28 et 29 avril. Voici le site : https://www.ualberta.ca/campus-saint-jean/recherche/colloque

Note : Les opinions exprimées dans les chroniques publiées sur #ONfr n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position de #ONfr et du Groupe Média TFO.