La francophonie hors Québec quasi absente du deuxième débat des chefs

Crédit image: La Presse canadienne / Sean Kilpatrick

GATINEAU – En dehors du scandale des livres brûlés et de la situation du postsecondaire brièvement évoquée à la toute fin du débat électoral télévisé en français, les chefs de parti n’ont prononcé quasiment aucun mot pour la francophonie ontarienne ou minoritaire ailleurs au pays. Pourtant des enjeux majeurs ont été soulevés comme la santé, l’immigration, les garderies ou la pénurie de main d’œuvre.

Il aura fallu attendre les dix dernières minutes du débat retransmis en direct sur les ondes de Radio-Canada et depuis le Musée canadien de l’histoire à Gatineau, pour voir abordées deux questions directement liées à la francophonie minoritaire.

C’est d’abord la controverse liée à la destruction de milliers de livres en français par le Conseil scolaire catholique Providence, dans le Sud-Ouest ontarien, qui a fait irruption dans le débat. « Est-ce qu’un leader doit avoir une position claire face à ce genre de chose? », a questionné l’animateur et modérateur de la soirée, Patrice Roy.

Yves-François Blanchet a jugé que, dans cette affaire, « tout le monde a reculé adéquatement en référence à la suspension de l’initiative de la part du conseil scolaire. Il faut avoir le courage de se confronter à ce qu’il y a dans notre passé et dans notre littérature mondiale de telle sorte qu’on peut l’expliquer, le présenter, l’enseigner, pur préparer nos jeunes à un meilleur futur, de meilleures valeurs », a fait valoir le leader du Parti québécois.

« Brûler des livres est inacceptable dans notre société »

Justin Trudeau, quant à lui, s’est positionné plus clairement que lors de sa précédente sortie médiatique en affirmant qu’un tel acte était « inacceptable », tout en ménageant les sensibilités autochtones. « Nous n’avons pas à dire aux peuples autochtones ce qu’ils doivent penser et trouver cet équilibre », a réitéré le premier ministre sortant.

« Brûler des livres est inacceptable dans notre société », a renchéri le conservateur Erin O’Toole. « On doit viser la réconciliation sans les attaques ou les gestes comme celui-là. »

Montage ONFR+. Crédit image : Parti libéral, NPD, Parti vert et Bloc Québécois

Annamie Paul a pris tout le monde par surprise en avouant ne pas être au courant de cette polémique « jusqu’à aujourd’hui », avant de se reprendre : « Il y a de meilleures façons de s’exprimer, mais il y a beaucoup de frustration dans les communautés autochtones qui attendent des actes sur la réconciliation depuis des décennies », a-t-elle légitimé.

Une ligne également adoptée par le patron des néo-démocrates : « Brûler les livres n’est pas une solution, mais on doit avoir une conversation sérieuse sur comment respecter la contribution et les connaissances des peuples autochtones », a-t-il estimé, évoquant avoir été exposé lui-même dans son enfance à des ouvrages qui ne respectaient pas cet apport.

Les candidats s’érigent en défenseurs du postsecondaire minoritaire

À la toute fin du débat qui aura duré près de deux heures, une autre question lancée par Patrice Roy est venue clore les échanges télévisés, dans un concert de réponses élogieuses envers la francophonie minoritaire, sans toutefois d’engagement concret.

« Allez-vous aider le campus Saint-Jean en Alberta, l’université de Sudbury en Ontario et l’université de Moncton qui sont vulnérables devant les coupes des provinces? »

« Oui, on a un fonds pour aider les communautés francophones minoritaires qui sont une force pour notre pays », a assuré Erin O’Toole. « Et en plus on va moderniser la Loi sur les langues officielles, après six ans d’inaction du gouvernement Trudeau. »

Le leader libéral n’a pas manqué de rappeler à son rival conservateur que la crise universitaire francophone était d’abord le fruit des coupes conservatrices dans les provinces. « Ce n’est pas Erin O’Toole en face de Doug Ford, en face de Jason Kenney, en face de Blain Higgs qui va être là. Nous, nous le serons toujours », a rétorqué Justin Trudeau.

« Je dis oui, oui, oui pour la langue française », a répondu Mme Paul. « Il faut la protéger et s’assurer que tous ceux qui veulent une éducation bilingue puissent l’avoir. »

M. Singh a illustré son engagement pour le postsecondaire en français par son passage à Sudbury. « On était là. M. Trudeau n’était pas là. On va toujours défendre les institutions francophones car elles enrichissent notre société ».

Son déplacement à Sudbury a au contraire soulevé bien des interrogations en réalité, puisque le leader du NPD s’y est prononcé en faveur d’un maintien des programmes en français à l’Université Laurentienne, laissant planer le doute sur son soutien au projet de rapatriement des programmes dans une Université de Sudbury repensée par et pour les Franco-Ontariens.

Peu de temps après, Justin Trudeau est venu à Sudbury à son tour, comme semblait en douter son adversaire néo-démocrate.

Yves-François Blanchet a conclu la joute politique en s’érigeant comme « la voix et souvent la seule voix » pour les francophones hors Québec et les Acadiens au Parlement. « La Loi sur les langues officielles devrait se consacrer exclusivement aux francophones hors Québec », a-t-il ajouté. « Le Québec peut gérer ses propres enjeux. »

La FCFA déçu de la tournure des échanges

Il faut noter qu’une troisième question éclair est intervenue plus tôt, à propos du programme de contestation judiciaire et de la polémique Attaran. « Le gouvernement l’a confié à une institution qui en a fait une arme politique contre les valeurs québécoises, soutenant ceux qui iront contre la Loi 21 sur la laïcité et l’éventuelle Loi 96 », a dénoncé M. Blanchet, ne se disant pas hostile au programme, à condition qu’il soit régulé en toute indépendance. « Pensez à Montfort et aux francophones hors Québec. »

D’autres enjeux importants aux yeux des francophones ont été évoqués, tels que l’immigration, les services de garde et la pénurie de main d’œuvre mais tous débattus dans une optique québécoise.

À l’issue du débat, plusieurs voix se sont élevées contre l’absence des problématiques francophones hors Québec. « Tokénisme : pratique consistant à faire des efforts (purement) symboliques d’inclusion vis-à-vis de groupes minoritaires. C’est un peu ce que ressentent les francophones par rapport à l’ajout d’une question à la sauvette à la fin du débat des chefs », a déclaré sur Twitter La Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA).