La Laurentienne : les francophones trois fois plus coupés que les anglophones

Crédit image: Pascal Vachon

SUDBURY – Après les coupes de l’Université Laurentienne lundi, un portrait se dessine : les francophones sont les plus touchés de tous. Près de 58 % des programmes francophones ont été coupés contre près de 20 % chez les anglophones et près de la moitié des enseignants congédiés sont francophones.

Alors que les francophones représentent près de 18 % de la population étudiante, c’est près de 40 % de la programmation qui leur a été retirée.

Lundi, l’établissement postsecondaire a annoncé supprimer 69 programmes, dont 28 de langue française pour tous cycles confondus. Avant les annonces de lundi, 49 programmes étaient enseignés en français à La Laurentienne, ce chiffre descend aujourd’hui à 21, une réduction de 57 %.

« C’est majeur, monter des programmes comme ça, c’est des années d’efforts, » affirme Normand Labrie qui a déjà écrit un livre intitulé : L’accès des francophones aux études postsecondaires en Ontario.

« En français en Ontario, c’est majeur, il n’y a pas tellement d’institutions qui offrent des programmes en français. Pour les programmes en français, ils restent pas mal juste l’Université d’Ottawa qui offre des programmes similaires. Pour Sudbury, c’est majeur et pour l’écosystème de l’Ontario, c’est très important, car ça élimine des formations offertes en français. »

Au niveau anglophone, les programmes passent de 157 à 121, une réduction presque trois fois plus petite qu’en français avec 23 %. À la lumière des chiffres, le président de l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO) est sans équivoque. Pour lui, la solution d’étudier en français en Ontario ne passe plus par La Laurentienne.

« Ça fait mal, ça l’enlève des options à un paquet d’élèves qui veulent justement étudier dans ces domaines, car c’est leur passion et ils ne pourront pas le faire dans le Moyen-Nord. Ça veut dire, prépare toi à voyager ou bien la solution encore plus facile, va étudier en anglais. C’est dramatique pour les communautés francophones dans le Nord », avance Carol Jolin.

« L’Université bilingue à La Laurentienne est finie, on parle d’une université anglophone qui va donner quelques cours en français » – Carol Jolin

Le recteur Robert Haché disait il y a quelques semaines que La Laurentienne 2.0 soit une université où « la programmation et l’enseignement de langue française sont valorisés et notre caractère bilingue est célébré ». Le président de l’AFO pense que « les chiffres nous envoient un autre message ».

« L’Université bilingue à La Laurentienne est finie, on parle d’une université anglophone qui va donner quelques cours en français », avance Carol Jolin.

« Il faudra voir quelle sera la place du français sur le campus de l’Université Laurentienne. Une fois que tout ça sera terminé. On va se retrouver avec une place de deuxième place. Quand on parle de bilinguisme, on parle de deux langues sous un pied d’égalité, on ne perçoit clairement pas ça aujourd’hui », ajoute-t-il.

Le président de l’AFO Carol Jolin. Archives ONFR+

8 % de baisse du poids des francophones

Avec tous ces programmes supprimés, la programmation de langue française représente aujourd’hui 15 % de l’ensemble des programmes. Auparavant? Elle était de 23,5 % ce qui veut donc dire que les poids des programmes francophones a diminué de près 8 % avec les nouvelles coupes.

Pour Normand Labrie, la contestation des institutions bilingues pourrait être accentuée avec cette crise à Sudbury. Ce dernier croit aussi qu’il pourrait y avoir un exil des francophones dans la région de Sudbury vers des programmes en anglais.

« Ça l’annonce des jours sombre, même des jours noirs », admet le professeur et vice-doyen à l’Institut d’études pédagogiques de l’Université de Toronto (OISE).

Les programmes francophones passent ainsi de 49 sur 209 à 21 sur 140 au total. Même si les anglophones ont perdu 24 programmes, l’écart avec les francophones s’agrandit de 11 %. Avant les coupes, le poids des programmes non francophones représentaient étaient de 76 %. Depuis hier, il est de 85 %.

Les professeurs dans le couperet aussi

Ce ne sont pas juste les programmes qui mangent la claque, mais aussi les professeurs. Le Regroupement des professeurs francophones (RPF) indique que près d’une quarantaine de ces membres ont perdu leur emploi hier. Sur les 83 mises à pied annoncées par le syndicat des professeurs, ça veut donc dire que près de la moitié seraient des francophones, selon le RPF.

Le RPF évalue que près de 100 professeurs enseignent dans des programmes en français à l’Université. Cela veut donc dire que le nombre pourrait être réduit aux alentours de 60 avec la suppression des programmes, ce qui constituerait une réduction de 35 % à 40 % selon le RPF. Pour les professeurs anglophones, les chiffres passeraient autour de 250 à près de 200. Une réduction qui est deux fois moins grande et qui se situerait entre 18 % à 22 %

« On envoie le message que la programmation en français est beaucoup moins importante à La Laurentienne. C’est très très grave ce qui se passe en ce moment… On a l’impression qu’il y a beaucoup d’improvisation en ce moment », avance un des porte-parole du RPF, Denis Hurtubise.

Au premier cycle, les francophones perdent 24 programmes, ce qui constitue une perte de 48 %. Pour le RPF, il est clair que la mission du français à l’Université Laurentienne est en péril.

« Juste les coupes nous l’indiquent. Quand on anticipe les conséquences de ces coupes-là sur la composition du corps étudiant à La Laurentienne, on s’en va vers des jours très sombres », croit le professeur Hurtubise.