La Loi sur les langues officielles fête… ses 30 ans

Le parlement du Canada. Archives ONFR+

OTTAWA – Alors que 2019 marquera le 50e anniversaire de la première Loi sur les langues officielles, le 28 juillet est la date du 30e anniversaire de la Loi qui l’a remplacée, en 1988.

BENJAMIN VACHET
bvachet@tfo.org | @BVachet

« La Loi sur les langues officielles de 1969 a été abrogée, pourquoi devrait-on la célébrer en 2019? On devrait plutôt célébrer 50 ans de langues officielles au Canada! », lance Linda Cardinal, politologue de la Chaire de recherche sur la francophonie et les politiques publiques de l’Université d’Ottawa.

Car la Loi sur les langues officielles actuelle est bien éloignée de celle votée sous le gouvernement libéral de Pierre Elliott Trudeau. En 1988, plusieurs changements majeurs ont été apportés.


« La Loi de 1969 n’avait pas grande force. Elle conférait surtout des droits politiques, là où la Loi de 1988 s’inscrit plus dans le registre des droits humains » – Linda Cadinal, politologue


« On élargit les droits linguistiques pour rejoindre les objectifs de la Charte canadienne des droits et libertés et pour améliorer les services au public, en étendant l’accès aux tribunaux et en répondant aux revendications dans la fonction publique concernant l’utilisation du français comme langue de travail, notamment », explique l’ancien juge à la Cour suprême du Canada, Michel Bastarache.

L’autre changement majeur, c’est l’ajout de la Partie VII de la Loi qui prévoit l’engagement du gouvernement fédéral de favoriser « l’épanouissement des minorités francophones et anglophones du Canada et d’appuyer leur développement, ainsi qu’à promouvoir la pleine reconnaissance et l’usage du français et de l’anglais dans la société canadienne ».

« C’est une partie éminemment politique, car elle prévoit que le gouvernement fédéral peut s’immiscer dans plusieurs champs de compétences des provinces et territoires quand il est question de droits linguistiques. Ça provoque beaucoup de réticences, notamment au Québec, mais aussi en Ontario. L’ajout de cette partie en 1988, c’est le début de la relation fédérale-provinciale en francophonie », souligne Mme Cardinal.

Contexte politique

Ces changements interviennent sous le gouvernement conservateur de Brian Mulroney, dans un contexte politique différent.

« En 1969, Pierre Elliott Trudeau veut construire une « société juste » et considère que les francophones ont des griefs fort acceptables envers la Confédération. En 1988, on est en pleine discussion autour de l’accord du lac Meech. On s’apprête à reconnaître le Québec comme « société distincte », ce qui est mal accueilli par les communautés de langues officielles en situation minoritaire qui se sentent oubliés dans cet accord », raconte le professeur au département d’histoire de l’Université York, Marcel Martel.

La modernisation de la Loi sur les langues officielles vise donc à les rassurer.

« C’est un peu notre accord du lac Meech à nous! », commente Mme Cardinal. « La Loi dit que le gouvernement a des obligations relatives au développement et à l’épanouissement des communautés. »

Mis à part quelques députés et le groupe Alliance for the preservation of English of Canada, l’adoption de la nouvelle Loi sur les langues officielles se fait sans heurt, contrairement à 1969.

« C’est devenu un acquis de l’identité canadienne », analyse M. Martel.

Les faiblesses de la Loi

Le nouveau texte comporte toutefois des faiblesses, note M. Bastarache.

« La Loi de 88 n’est pas pensée en fonction de la personne qui reçoit des services, qui doit attendre, chercher où ils sont disponibles, mais plutôt de comment l’administration peut s’y adapter. »

L’ancien juge à la Cour suprême du Canada rappelle les problèmes qu’engendrent certains aspects de la Loi, notamment la notion de « services bilingues là où le nombre le justifie ».

« La façon de calculer a été mal conçue pour les francophones. Il est illogique de supprimer un service bilingue existant, quand le personnel est déjà en place, juste parce que les francophones ont été mal comptés. »

Fonction publique

Dans la fonction publique, la nouvelle loi offre la possibilité aux fonctionnaires de travailler dans la langue de leur choix, à condition d’être dans une région désignée. Un progrès notable, mais qui n’empêche pas qu’encore aujourd’hui, une très grande partie des plaintes que reçoit le commissaire aux langues officielles du Canada porte sur cet aspect.

« La commission de la fonction publique a fait un gros travail sur le dossier des nominations bilingues et des exigences de bilinguisme dans la fonction publique. Le problème, c’est la mobilité des fonctionnaires. Le temps qu’ils se forment en français, ils changent de poste et il faut tout recommencer », regrette M. Bastarache. « Il ne faudrait plus permettre la formation linguistique une fois en poste, il faudrait exiger le bilinguisme dès le départ! »

Des précisions à apporter

Alors que les pressions s’accentuent pour moderniser la Loi sur les langues officielles, l’ancien juge à la Cour suprême du Canada assure que « le problème aujourd’hui, ce n’est pas la Loi, c’est son application stricte et le manque de volonté politique ».

Mais la récente décision du juge Gascon en Colombie-Britannique montre bel et bien que des modifications doivent être apportées, au moins au niveau des règlements d’application, notamment pour mieux définir le concept de « mesures positives » qu’est sensé prendre le gouvernement fédéral pour appuyer le développement et l’épanouissement les minorités de langues officielles, qui avait fait son apparition dans la Partie VII de la Loi de 1988.


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