La pandémie expose au grand jour des lacunes du fédéral pour les langues officielles

Le commissaire aux langues officielles du Canada, Raymond Théberge. Archives ONFR+

OTTAWA – Dans son rapport annuel 2020-2021, le commissaire aux langues officielles, Raymond Théberge, souligne que la gestion des communications par le gouvernement fédéral depuis le début de la crise sanitaire, a fait l’objet de plaintes au sujet de l’usage des langues officielles.

« Cette année, la pandémie de COVID‑19 a fait ressortir plusieurs lacunes en matière de langues officielles au sein des institutions fédérales. Mais, ce qui m’a davantage troublé, c’est la leçon tirée de notre étude sur l’insécurité linguistique chez les fonctionnaires du gouvernement fédéral. Malgré le temps écoulé depuis l’ajout des dispositions sur la langue de travail à la loi en 1988, il est encore gênant, voire risqué, pour les fonctionnaires d’utiliser la langue officielle qui n’est pas prédominante dans un milieu de travail désigné bilingue en 2021, que ce soit leur première ou leur seconde langue officielles. »

Et de poursuivre : « Voilà un nœud au cœur de la culture de la fonction publique, qui entrave aussi le service au public et la réalisation de la dualité linguistique au pays. Ce nœud exige des actions concrètes. C’est avec un souci de collaboration que j’appelle les institutions fédérales à y voir sans délai », écrit Raymond Théberge dans l’introduction de son rapport.

« Le principal constat est qu’une des deux langues officielles, habituellement le français, passe souvent en arrière-plan lorsque des situations d’urgence surviennent » – Raymond Théberge, commissaire aux langues officielles

Le ministère de la Défense nationale, Services publics et Approvisionnements Canada, Emploi et Développement social Canada, Santé Canada et Administration des Aéroports du Grand Toronto sont les entités qui ont généré le plus de plaintes auprès du Commissariat aux langues officielles au cours de l’année qui vient de s’écouler.

« Le Commissariat a reçu 138 plaintes liées à la pandémie de COVID‑19, soit juste un peu plus de 7 % de toutes les plaintes reçues en 2020-2021. Les deux tiers de ces plaintes sont attribuables aux communications avec le public ou à la prestation des services gouvernementaux. Plusieurs plaintes portent sur la décision de Santé Canada, en mars et en avril 2020, d’autoriser de façon temporaire l’étiquetage en anglais seulement de produits désinfectants ou d’autres produits », écrit-il dans le document.

Obligations linguistiques : des efforts mais aussi des raccourcis

Et, pendant la crise sanitaire, des obligations linguistiques fondamentales ont été sacrifiées.

« Je reconnais que les institutions fédérales ont déployé des efforts colossaux afin d’assurer, dans le feu de l’action, la santé et la sécurité de la population canadienne. Malheureusement, des raccourcis ont aussi été empruntés en ce qui concerne les obligations linguistiques, notamment en ce qui a trait à l’usage ou au statut du français », peut-on aussi lire dans le rapport.

« Ce qui devrait être une évidence, à savoir qu’une mesure visant la santé ou la sécurité du public n’est efficace que si elle est communiquée à ce public dans les deux langues officielles du pays. Quand on utilise les deux langues officielles, on rejoint 98 % de la population canadienne. Voilà une mesure de base de la sécurité publique », dit Raymond Théberge, commissaire aux langues officielles.

Risque de situation désastreuse

ONFR+ a demandé au commissaire si le non-respect de la Loi sur les langues officielles pourrait s’avérer dangereux, lors d’une situation d’urgence et mettre des gens en péril.

« Je dirais que oui, que dans certaines situations, là où on est incapable de comprendre les communications qui sont faites et que la personne ne peut pas bien capter les informations, ça pourrait mener à une situation désastreuse, que ce soit au niveau d’une alerte en mer, que ce soit au niveau d’un évènement climatique, peu importe, c’est extrêmement important que les gens soient en mesure de comprendre les communications, les directives dans la langue officielle de leur choix. Très souvent en situation de stress, même si on se dit bilingue, on est toujours plus à l’aise dans une langue ou dans l’autre. C’est une question de respect, mais c’est aussi une question de sécurité », a estimé M. Théberge.

Si la pandémie a révélé des failles dans la capacité du gouvernement fédéral à respecter ses obligations linguistiques pendant une crise sanitaire, elle a aussi exposé au grand jour des lacunes qui existaient avant même que la COVID-19 ne vienne bouleverser la vie de tous les Canadiens.

« En temps de crise, la capacité déficiente des institutions fédérales à fournir des services au public dans les deux langues officielles se livre au grand jour. Si une institution fédérale a sous-estimé les niveaux des compétences linguistiques requis pour son personnel malgré les tâches et les fonctions liées au poste, en situation d’urgence, il est probable que son personnel ne saura pas répondre au public avec la même diligence et en offrant un service de la même qualité dans les deux langues officielles », explique Raymond Théberge dans son rapport.

Mettre les langues officielles au cœur des décisions

Et, dans sa conclusion, il avance qu’au bout du compte « c’est la dualité linguistique de notre pays qui ne peut s’exprimer ou s’épanouir dans la fonction publique, ce qui a indéniablement un effet sur la qualité du service offert au public. La source du problème vient, selon moi, du manque de leadership en langues officielles au sein de nos institutions fédérales. Nous avons des leaders en langues officielles, mais ils sont trop peu nombreux. Les langues officielles doivent être au cœur des décisions prises dans chacune de nos institutions fédérales », soutient le commissaire.

Il recommande au greffier du Conseil privé, notamment « d’exercer, dès maintenant, son pouvoir d’influence afin de placer les langues officielles au cœur de la réforme de la fonction publique en favorisant notamment l’épanouissement de la dualité linguistique au sein de l’administration fédérale; et de mettre en place, d’ici juin 2022, des stratégies pour combattre le sentiment d’insécurité linguistique décrit dans mon étude intitulée (In)sécurité linguistique au travail – Sondage exploratoire sur les langues officielles auprès des fonctionnaires du gouvernement fédéral du Canada. »