La parité au gouvernement, est-on vraiment en 2015?

La parité, c’est beau sur la photo, mais c’est une fausse bonne idée pour Aurélie Lacassagne. Benjamin Vachet
La parité, c’est beau sur la photo, mais c’est une fausse bonne idée pour Aurélie Lacassagne. Benjamin Vachet

[CHRONIQUE]

Ces dernières semaines ont été chargées en émotion, situation bien compréhensible après un long règne conservateur décadent, mais finalement peu propice à une réflexion posée. Je devrais peut-être m’excuser de venir briser la belle unanimité autour du gouvernement de Justin Trudeau. Ça me chicote cette histoire de parité. C’est beau sur la photo, mais je ne peux m’empêcher de penser que c’est une fausse bonne idée. Pour en expliquer les raisons, il me faut revenir brièvement à l’histoire des pensées féministes.

AURÉLIE LACASSAGNE
Chroniqueuse invitée

La première vague féministe, que l’on a appelée le féminisme libéral, est typique des années 1960. Ce féminisme prône l’égalité complète entre les hommes et les femmes dans la société et s’inspire de la philosophie du libéralisme. Le système s’adaptera naturellement et la présence des femmes dans le système fera que les discriminations à leur encontre disparaitront. Le gouvernement paritaire de Trudeau s’inscrit dans la droite ligne de cette pensée féministe.

Qu’est-ce qui rend problématique ce féminisme?

Premièrement, et il s’agit là du principal problème à mes yeux, il essentialise les femmes, c’est-à-dire qu’il assigne aux femmes des caractéristiques, dites naturelles, particulières. Les femmes seraient naturellement bonnes, compatissantes, empathiques, bienveillantes, émotionnelles et pacifiques, les caractéristiques inverses étant assignées aux hommes.

En nommant des femmes dans un gouvernement, la marche du pays irait donc mieux car elles apporteraient autour de la table ces « atouts naturels ». À ce titre, le gouvernement Trudeau est un cas d’école : les ministères régaliens « mâles » comme la défense, la sécurité publique, les affaires étrangères, les finances reviennent à des hommes. Les ministères plus sociaux (santé, justice, emploi) reviennent à des femmes. On notera, cependant, que la fonction de ministre de la famille est octroyée à un homme, mais on a manifestement encore du mal à penser qu’un homme puisse occuper le poste de ministre de la Condition féminine. Cette essentialisation des femmes a depuis longtemps été vertement critiquée. Le monde politique nous a montré – rappelez-vous de Margaret Thatcher – que ce n’était pas parce que vous mettiez des femmes en situation de pouvoir que la paix serait assurée, que les problèmes que connaissent les femmes, tels que la violence, seraient réglés. On ne peut pas dire que le sort des femmes canadiennes ait été amélioré après le passage de Rona Ambrose à Condition féminine Canada. Il n’y a rien de naturel, il s’agit de développer une sensibilité, d’être socialisé à ne plus faire de différence selon le genre et le sexe. On peut être un homme et être féministe et se soucier de la cause des femmes.

La deuxième grande critique vient du marxisme (la deuxième vague). En gros, il s’agit de dire que les rapports de classes demeurent plus constitutifs des relations de pouvoir, d’oppression et de discrimination que le genre. Qu’est-ce qu’une femme née dans une famille aisée, faisant partie du 1%, connaît de la réalité des femmes autochtones, des mères monoparentales qui survivent grâce aux banques alimentaires?

La troisième grande critique viendra des féministes postcoloniales : le mouvement féministe a été marqué par la pensée occidentale et n’est pas toujours équipé pour comprendre ni répondre aux problèmes des femmes qui ne sont pas perçues comme « blanches ». Bref, ces critiques ont donc souligné l’importance de l’intersection entre le genre, les classes et la « race ».

Plusieurs ont soulevé ces derniers jours quelques problèmes criants quant à ce gouvernement, je n’y reviens pas.

La parité, un leurre dangereux

Fondamentalement, le principe de la parité en politique, même s’il peut partir d’un bon sentiment, s’avère un leurre dangereux dans la mesure où il essentialise les femmes en réaffirmant les barrières dites naturelles entre les hommes et les femmes. Cette vision naturaliste du genre permet d’évacuer toutes les autres formes de discrimination – raciale, économique, sociale – dont sont victimes certaines femmes.

Par ailleurs, en mettant l’accent sur la différence, il réfute l’idée d’universel. Or l’histoire nous a montré que la reconnaissance des différences sert souvent à exclure car elles cantonnent les personnes dans des boîtes hermétiques dont le pouvoir – blanc et masculin – définit les critères d’appartenance.

Alors, bien sûr cette reconnaissance des différences est consistante avec l’idéologie du multiculturalisme.

Finalement, Justin Trudeau est le digne héritier de son père. Mais on ne peut pas nier qu’il y ait quelque chose d’humiliant à être nommé ministre parce qu’on est une femme avant tout autre chose.

Toutes les ministres nommées sont peut-être, l’avenir nous le dira, extrêmement compétentes, peu importe car elles ont été choisies avant tout à cause de leur genre. Et ça, ça ne fait pas très 2015.

C’est aussi un jeu à double tranchant. On a lâché la meute constituée de tous ceux qui n’aiment pas les femmes, qui vont les attendre au tournant, qui vont scruter leurs moindres faits et gestes et espérer qu’elles se plantent.

Il est à espérer que Trudeau n’ait pas à faire ce que le premier ministre français Alain Juppé avait dû faire en 1995, soit se débarrasser, pour cause d’incompétence chronique, d’une bonne partie des ministres femmes qu’il avait nommées, après seulement six mois. Cela avait constitué un grand bond en arrière pour les femmes françaises, qui n’étaient déjà pas très avancées.

Ce symbole voulu par notre premier ministre a créé un enjeu politique et social de taille. Tout raté ferait irrémédiablement reculer la marche des femmes vers leur pleine émancipation.

Si nous étions vraiment en 2015, nous vivrions dans une méritocratie où nous pourrions avoir un gouvernement composé de 25 ministres, se trouvant toutes être des femmes, sans avoir même besoin d’en parler!

Aurélie Lacassagne est professeure agrégée en sciences politiques à l’Université Laurentienne.

Note : Les opinions exprimées dans les chroniques publiées sur #ONfr n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position de #ONfr et du Groupe Média TFO.