L’ancienne École St-Pierre d’Ottawa, un patrimoine en voie d’être protégé

L’ancienne École Saint-Pierre d’Ottawa.
L’ancienne École Saint-Pierre d’Ottawa. Crédit image: Diego Elizondo

Chaque samedi, ONFR+ propose une chronique sur l’actualité et la culture franco-ontarienne. Cette semaine, l’historien et spécialiste de patrimoine Diego Elizondo.

[CHRONIQUE]

OTTAWA – À la suite de sa réunion du 14 février dernier, le Comité du patrimoine bâti de la Ville a adopté un avis d’intention pour désigner l’ancienne École St-Pierre d’Ottawa, située dans le quartier de la Côte-de-Sable, en vertu de la Loi sur le patrimoine de l’Ontario.

Le conseil municipal de la Ville doit entériner l’avis de son comité pour officialiser la désignation. Cette très bonne nouvelle pour la reconnaissance du patrimoine bâti franco-ontarien arrive à point donné, alors que février est le Mois du patrimoine en Ontario français. Ce gain patrimonial précède une période d’urgence qui commence pour les désignations patrimoniales en province.

L’École St-Pierre d’Ottawa a ouvert ses portes en 1906 pour accueillir les jeunes filles du palier élémentaire de langue française. Il s’agissait de la deuxième école du quartier de la Côte-de-Sable à desservir la communauté franco-ontarienne, après l’École Garneau, ouverte en 1888 (et fermée en 1969).

Son architecture s’inscrit parfaitement dans l’air du temps et son style rappelle deux autres bâtiments scolaires de la communauté construits à la même époque. L’École Brébeuf dans la basse-ville Est d’Ottawa et surtout la seconde École Guigues, dans la basse-ville Ouest. Toutes trois construites au début du 20e siècle, elles sont l’œuvre de l’architecte hullois Félix Maral Hamel.

Ce dernier est alors l’architecte le plus sollicité de la Commission des écoles séparées d’Ottawa pour dessiner les plans des nouvelles écoles. Malheureusement, il décédera peu de temps après l’ouverture de l’École St-Pierre, en 1907.

Haut lieu de la résistance au Règlement 17

Ses bâtiments scolaires ont acquis une certaine notoriété par la force des événements. C’est effectivement devant ses bâtiments qu’ont eu lieu de grandes manifestations et la bataille des épingles à chapeaux à Ottawa contre le Règlement 17, appliqué en Ontario entre 1912 et 1927 pour interdire le français comme langue d’enseignement.

Mythe fondateur de l’Ontario français s’il en est, les photographies des piquetages et débrayages devant les écoles dont les plans ont été dessinés l’architecte Hamel ont souvent été diffusées, notamment dans les livres d’histoire.

Si l’École Brébeuf n’a malheureusement pas survécu au pic des démolisseurs lors de la « révolution urbaine » qui a radicalement altéré le tissu urbain du quartier de la basse-ville Est d’Ottawa, l’École Guigues – dont on célébrait le 25e anniversaire de sa sauvegarde patrimoniale l’an dernier – a quant à elle connu un dénouement heureux, désignée en vertu de la Loi sur le patrimoine de l’Ontario depuis 1980.

L’École Guigues a été la première école liée à l’histoire franco-ontarienne à être désignée dès 1980 (soit cinq ans seulement après l’adoption de la première Loi sur le patrimoine de l’Ontario). L’École St-Pierre pourrait bien devenir la plus récente. Toutes deux ont servi de lieu où les étudiants de l’École normale de l’Université d’Ottawa effectuaient leur stage pratique.

Une valeur architecturale reconnue

Selon l’avis d’intention du Comité du patrimoine bâti de la Ville d’Ottawa, l’ancienne École St-Pierre répond à six des neuf critères établis dans le Règlement de l’Ontario 09/06 pour la désignation en vertu de la Loi. L’architecture, les liens historiques, l’histoire de la communauté, la représentativité de l’ouvrage, le caractère communautaire et les liens avec les environs.

Le même avis d’intention indique que l’ancienne École St-Pierre a une valeur architecturale car elle constitue un bon exemple d’établissement scolaire construit pour cette vocation et un excellent exemple du classicisme édouardien. Ce style d’architecture, qui était populaire avec les édifices institutionnels au début du 20e siècle, a été florissant jusqu’à la Première Guerre mondiale.

L’ancienne école réunit les traits architecturaux caractéristiques de ce style, dont sa composition symétrique, son extérieur de brique sur un solide socle de pierre, ainsi que ses éléments décoratifs de pierre naturelle et de pierre artificielle. Même si elle a fermé ses portes en 1977, elle a remarquablement bien conservé son architecture extérieure d’origine.

Dans les années 1980, l’édifice a été converti pour aménager le Centre communautaire St-Pierre. L’ancienne école a changé de vocation en 1997 pour devenir une résidence pour personnes âgées et une imposante annexe a été construite à l’arrière de l’édifice. Enfin, en 2013, l’intérieur a été rénové de fond en comble pour convertir la résidence en immeuble d’appartements locatifs.

Presser les désignations d’ici la fin 2024

L’ancienne École St-Pierre est inscrite dans le Registre du patrimoine de la Ville d’Ottawa depuis 2015. Ce qui a en partie instigué que le projet avance maintenant, ce sont les changements en profondeur qu’on introduits le projet de loi 23 adopté en novembre dernier par le gouvernement de l’Ontario.

Les municipalités se trouvent dans l’urgence de désigner d’ici au 31 décembre 2024 un maximum de bâtiments qu’ils ont inscrits dans leurs registres patrimoniaux, faute de quoi ils seront automatiquement retirés du registre. De plus, un édifice ne peut plus retourner sur le registre avant un délai d’attente de cinq ans.

La tâche est donc titanesque pour les municipalités qui doivent prioriser les bâtiments qui se trouvent dans leurs registres et les faire désigner en vertu de la Loi.

À Ottawa seulement, on parle de 4 600 bâtiments! Lesley Collins, la responsable du programme de planification du patrimoine de la Ville, a avoué candidement récemment dans une entrevue accordée à la CBC qu’en raison de limites financières et humaines, tout ne pourra pas être sauvé et que la façon dont la ville prioriserait les demandes de désignation reste à être déterminée.

« Cette désignation doit être le début d’une série et non une fin en soi »

Jusqu’en 2019, la Ville avait ajouté des milliers de bâtiments à son registre du patrimoine. Plusieurs édifices franco-ontariens s’y trouvent, dont les églises Saint-Hugues de Sarsfield (1895), Saint-Joseph d’Orléans (1922), Notre-Dame-de-Lourdes de Cyrville (1929), Nativité de Notre-Seigneur-Jésus-Christ (1960), Montfort (1965), Notre-Dame-de-Lourdes de Vanier (1975) de même que l’ancienne École secondaire Charlebois et l’École secondaire Garneau (1972) ou encore l’ancien bâtiment de la caisse populaire d’Orléans (1974).

La communauté franco-ontarienne et ses défenseurs du patrimoine sont donc appelés à encourager, appuyer et revendiquer qu’un maximum de bâtiments sur le registre municipal soient désignés. La très probable désignation de l’ancienne École St-Pierre doit être le début d’une série de désignation pour le patrimoine bâti franco-ontarien et non une fin en soi!

Après l’École Guigues (Ottawa, 1980), l’École Saint-Charles (Ottawa, 1996), l’École du Sacré-Cœur (Ottawa, 2006) et l’École Saint-Louis-de-Gonzague (Sudbury, 2020) et la probable future désignation de l’ancienne École St-Pierre, l’Ontario français ferait augmenter à cinq le nombre d’écoles de langue française datant de l’époque du Règlement 17 à être désignées en vertu de la Loi.

À Ottawa, la désignation de l’École St-Pierre serait le premier bâtiment en dix ans lié à l’histoire franco-ontarienne à être ainsi protégé, depuis l’ancienne église Saint-Charles, dans le quartier Vanier.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position d’ONFR+ et du Groupe Média TFO.