Langues officielles : des gains, malgré tout

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[CANADA 150]

OTTAWA – Dans les années 1960, la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme donne une nouvelle impulsion aux droits linguistiques. Le tout quelques années après le sentiment de persécution ressenti par les francophones avec les différentes crises scolaires. 

BENJAMIN VACHET
bvachet@tfo.org | @BVachet

Avant la Loi sur les langues officielles (LLO) de 1969, le français au niveau fédéral n’avait que peu de place, rappelle le politologue de l’Université d’Ottawa, Martin Normand.

« On le trouvait sur les timbres et les billets de banque, c’était surtout symbolique. »

La mise en place de la commission présidée par André Laurendeau et Davidson Dunton intervient dans un contexte de crise existentielle.

« Il fallait faire en sorte que la communauté francophone se sente chez elle au Canada », explique le professeur de droit du Nouveau-Brunswick, Michel Doucet.

Les recommandations de la commission ne font pas l’unanimité, surtout à l’Ouest. Elles débouchent sur la création de la LLO qui reconnaît le français et l’anglais comme langues officielles du Canada, donne le droit de recevoir des services du gouvernement fédéral dans les deux langues et crée le Commissariat aux langues officielles (CLO).

 

1967, un tournant pour les droits linguistiques

En observateur attentif, l’ancien journaliste, puis ex-commissaire aux langues officielles du Canada, Graham Fraser, situe 1967 comme une année charnière.

« Je pense que l’exposition universelle de 1967 à Montréal a montré un modèle à suivre pour le bilinguisme institutionnel du Canada, avec l’affichage et les présentations bilingues qui ont nourri la fierté des Canadiens. »

Dans la fonction publique, la mise en œuvre de la LLO s’avère difficile, raconte Yves Breton, qui travaillait au Secrétariat d’État (ex-Patrimoine canadien) au moment où les premiers programmes d’appui aux langues officielles ont vu le jour.

« On l’appelait le programme d’action sociale pour ne pas attirer l’attention des provinces de l’Ouest qui y étaient très opposées. »

La fonction publique commence à s’ouvrir aux francophones, mais là encore, les changements ne se font pas sans heurts à Ottawa.

« Ça remettait en question ce que certaines personnes prenaient pour des acquis. Les places de gestion dans la fonction publique et dans les grandes sociétés de la Couronne devenaient accessibles aux francophones » – Serge Joyal

 

Les francophones hors Québec s’organisent

Parallèlement, vers la fin des années 60, le Québec délaisse son rôle très actif dans la promotion et la protection du français à travers le pays.

« Le Québec adopte une logique provinciale et pragmatique qui, pour défendre sa souveraineté, le pousse à oublier les droits fondamentaux des francophones hors Québec », explique le directeur de l’Institut pour le Patrimoine de la francophonie de l’Ouest canadien de l’Université de l’Alberta, Claude Couture.

Ces derniers sont contraints de s’organiser.

« C’est grâce aux Québécois que tous les francophones ont eu l’occasion de se réunir au départ. On peut leur dire merci! », juge le Franco-Manitobain, Hubert Gauthier, premier président de la Fédération des francophones hors Québec (FFHQ), fondée en 1975 et ancêtre de la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA).

La nouvelle génération de militants, qu’incarne M. Gauthier, souhaite aller au-delà du thème de prédilection de l’époque, l’éducation.

« Au départ de la FFHQ,  nous étions surtout des gens de moins de 30 ans. On faisait peur à nos parents qui, même s’ils voulaient qu’on réussisse, craignaient qu’on perde nos maigres acquis. Il y avait une telle effervescence… On réclamait une politique transversale en matière de langues officielles, qui aurait touché tous les secteurs de la communauté, au lieu d’une loi qui reposait plutôt sur des droits individuels. »

L’ancien juge à la Cour suprême du Canada, Michel Bastarache, était parmi ces militants de la première heure.

« On voulait participer au débat, notamment sur la Charte canadienne des droits et libertés et on a su se faire entendre. Même si ensuite la FFHQ a changé, elle est restée un interlocuteur obligatoire pour le gouvernement fédéral. »

La revendication du groupe n’a toutefois jamais été entendue.

« Un jour, un sous-ministre nous a dit : « Ma gang de p’tits (…), on va vous noyer dans l’argent, mais vous n’aurez pas votre politique! ». C’est ce qui s’est passé d’une certaine manière, et l’argent n’a pas permis de changer les mentalités des gouvernements », Hubert Gauthier, premier président de la FFHQ

 

Les limites de la Charte

L’adoption de la Charte, en 1982, donne une force supplémentaire aux droits linguistiques. Les apports sont majeurs, surtout pour l’éducation en français.

Mais pour Emmanuelle Richez, politologue de l’Université de Windsor, le document possède ses limites.

« La principale, c’est le parallélisme constitutionnel qui fait en sorte que les communautés francophones et anglophones minoritaires sont considérées de la même manière et doivent recevoir la même chose, sans aucune considération pour le fait que le français est minoritaire dans tout le Canada. Cela explique pourquoi le Québec va parfois à l’encontre des droits des francophones du reste du Canada, comme dans la cause du Yukon. »

En 1988, la nouvelle Loi sur les langues officielles marque l’engagement du gouvernement fédéral envers la promotion des deux langues officielles. Le nouveau texte parle aussi d’offre active et de la langue de travail dans la fonction publique fédérale.

« Mais avec la prime au bilinguisme, on continue de considérer les compétences linguistiques comme un extra et non comme une compétence de base », souligne Matthew Hayday, du département d’histoire de l’Université de Guelph. « Aujourd’hui encore, le Canada est très timide pour exiger des Canadiens qu’ils apprennent le français et l’anglais pour travailler dans la fonction publique. »

Et d’ajouter : « Aujourd’hui, il ne viendrait plus à l’idée d’aucun candidat sérieux à la chefferie d’un parti fédéral de ne pas être bilingue. C’est une question de génération. Beaucoup de politiciens ont grandi avec les langues officielles et ne les questionnent plus. »

 

Tout au long de la semaine, #ONfr revient sur le 150e anniversaire de la Confédération canadienne avec une série d’articles traitant des enjeux francophones. Pour en savoir plus : http://onfr.tfo.org/