Langues officielles : encore du chemin à faire pour l’égalité

La Cour suprême du Canada. Archives ONFR+

OTTAWA – La Charte canadienne des droits et liberté a beau consacrer l’égalité du français et de l’anglais comme langues officielles du Canada dans son article 16, elle n’est pas encore parvenue à faire respecter ce principe, ni à faire du Canada un pays véritablement bilingue, selon les nombreux intervenants de la 6e rencontre annuelle du Programme d’appui aux droits linguistiques (PADL), à Ottawa.

BENJAMIN VACHET
bvachet@tfo.org | @BVachet

Il y a encore des progrès à faire pour atteindre « l’égalité de statut et d’usage du français et de l’anglais au Canada », telle qu’énoncée dans l’article 16 de la première partie de la Loi constitutionnelle de 1982. Les récentes causes plaidées devant les tribunaux en matière de droits linguistiques rappellent que plusieurs questions demeurent non résolues, selon l’ancien juge de la Cour suprême du Canada, Michel Bastarache.

« Les tribunaux ont dû forcer la main des gouvernements à plusieurs reprises car les droits linguistiques ne sont pas encore reconnus comme nécessaires, mais simplement vus comme un accommodement. Cette situation est inquiétante pour la minorité qui doit, chaque année, avoir recours aux tribunaux pour défendre et obtenir des droits qui lui paraissent fondamentaux et évidents, comme sur la gestion scolaire. »

Pour le commissaire aux langues officielles, Graham Fraser, il s’agit du plus grand défi pour le Canada.

« On a vu des progrès à travers le Canada depuis 1982, comme en matière de gestion scolaire ou de services offerts, mais il y a toujours des défis, notamment celui de la visibilité, pour les communautés de langues officielles en situation minoritaire. Cela entraîne une difficulté pour la majorité de reconnaître et de comprendre la nature de ces communautés. »

Même dans la seule province officiellement bilingue du Canada, le Nouveau-Brunswick, l’incompréhension demeure quant à la mise en œuvre des droits linguistiques.

« Les raisons d’être du bilinguisme officiel semblent être bien comprises, mais beaucoup d’anglophones ne saisissent pas la nécessité de la dualité linguistique, avec des institutions distinctes », explique Katherine d’Entremont, la Commissaire aux langues officielles du Nouveau-Brunswick.

« Ce principe est dur à accepter pour la majorité car il semble contrevenir à un principe de démocratie selon lequel seule la majorité décide. Mais il ne faut pas oublier qu’on juge aussi une démocratie à la manière dont elle traite sa minorité », souligne le commissaire aux services en français de l’Ontario, François Boileau.

Égalité réelle ou formelle

La notion d’égalité réelle ou formelle est à la base de beaucoup d’incompréhension en matière de langues officielles.

« L’égalité formelle considère que nous avons tous les mêmes droits. Mais l’égalité réelle tient compte des particularités. Par exemple, l’égalité formelle serait de dire que tout le monde a le droit de prendre le train comme il le souhaite. Mais l’égalité réelle tiendrait compte, pour sa part, du cas des personnes à mobilité réduite qui, sans rampe d’accès, ne pourraient accéder au train car celui-ci est surélevé », illustre Me Boileau.

Récemment prise à partie par le gouvernement de Brian Gallant et par les partis d’opposition, Mme d’Entremont sait que le pouvoir politique n’est pas toujours un allié pour faire mieux comprendre les droits linguistiques.

« C’est un peu décourageant mais cela est bien la preuve que nous avons encore du travail à faire pour faire comprendre et reconnaître les droits linguistiques au Nouveau-Brunswick. Il faut encore éduquer la population. Nous avons fait des sondages il y a quelques années et avons pu constater que la majorité anglophone ne comprend pas toujours pourquoi c’est nécessaire de protéger la minorité francophone. »

Pour parvenir à des améliorations, les communautés doivent avant tout compter sur elles-mêmes, selon M. Bastarache.

« Toute l’évolution des droits linguistiques au Canada a été fondée sur la volonté des groupes minoritaires eux-mêmes. Ils ont procédé avec beaucoup de courage et de détermination et ont poussé les gouvernements, allant même jusque devant les tribunaux en dernier recours, ce qui n’est pas toujours facile. »

Appel au gouvernement fédéral

Jugeant les décisions de la Cour suprême du Canada dans le dossier des Territoires du Nord-Ouest, ou encore dans la cause Thibodeau, de « troublantes », l’ancien juge plaide pour une nouvelle approche.

« Maintenant, il faut compter davantage sur la négociation, en particulier avec le gouvernement fédéral. Il faut que celui-ci, s’il croit aux langues officielles, soit beaucoup plus proactif. »

Selon le commissaire aux services en français de l’Ontario, la négociation a connu plusieurs succès en Ontario.

« En Ontario, nous avions l’habitude de procéder par petits pas, mais ces dernières années, nous avons fait des pas un peu plus grands sans avoir toujours besoin de crise linguistique. C’est le fruit de la bonne volonté et de l’écoute des trois partis au gouvernement. Récemment encore, nous les avons vus voter ensemble un projet de loi visant à la création d’une université franco-ontarienne. »

Réaliste, Me Boileau n’exclut toutefois pas la nécessité d’aller encore devant les tribunaux pour la communauté franco-ontarienne.

« On ira toujours devant les tribunaux car cela fait partie du dialogue canadien. C’est normal de passer par là. Ce qui ne serait pas normal, c’est que ce soit la seule voie possible. »

Une analyse que partage M. Bastarache.

« Les minorités n’ont pas de poids politique alors c’est très difficile de négocier avec les gouvernements. Si les gouvernements croyaient aux langues officielles, ce serait plus facile, mais parfois ça nécessite de recourir à la justice. Il faut continuer de faire pression et aller devant les tribunaux car les communautés ont obtenu plusieurs avancées ainsi. »

Questionné par #ONfr quant à savoir si le commissaire aux langues officielles du Canada devrait avoir plus de pouvoir pour favoriser le bilinguisme au pays, notamment en pouvant donner des amendes pour manquement à la Loi sur les langues officielles, M. Fraser préfère appeler le gouvernement fédéral à faire de la promotion.

« Il y a un besoin de la part de nos politiciens et de nos leaders de faire une promotion ouverte du bilinguisme et de la dualité linguistique. Depuis 10 ans, on a eu un gouvernement qui n’a pas défait des droits linguistiques mais qui a été discret dans son appui. Je pense qu’il est important que le gouvernement exprime haut et fort que le bilinguisme est une valeur canadienne et j’espère que ça fera partie des plans pour le 150e anniversaire du Canada en 2017. »