Langues officielles : les critiques fusent contre la Feuille de route

Stéphane Dion, porte-parole aux Langues officielles pour le Parti libéral du Canada.

OTTAWA – À quelques jours du scrutin du 19 octobre, les contestations s’élèvent contre la Feuille de route pour les langues officielles du Canada. Motif : l’enveloppe de 1,1 milliard$ destinée à financer la dualité linguistique ne répondrait pas aux attentes des francophones en situation minoritaire.

SÉBASTIEN PIERROZ
spierroz@tfo.org | @SebPierroz

Son plus virulent opposant, le porte-parole aux Langues officielles du Parti libéral, Stéphane Dion, ne cesse de dénoncer la « fumisterie » de ce plan censé « offrir » aux minorités linguistiques du Canada une aide importante. Le tout pour financer des secteurs tels l’éducation, l’immigration ou le volet communautaire.

M. Dion avait d’ailleurs donné son nom Plan Dion à la première enveloppe du genre à hauteur de 751 millions$ lancée en 2003 par le gouvernement libéral. Le montant s’échelonnant sur cinq ans a été renouvelé en 2008 par le gouvernement conservateur, puis en 2013. Dans les deux cas, on parlait de 1,1 milliard$.

« Ils (les conservateurs) ont manipulé la population », dénonce M. Dion dans une entrevue à #ONfr. « Ils ont en réalité détourné des fonds existants de certains ministères et déjà alloués aux Langues officielles. »

Est-ce vraiment de l’argent recyclé? L’enseignante à l’Université d’Ottawa, Linda Cardinal, donne en partie raison à M. Dion. « L’enveloppe est toujours nébuleuse, mais on pense qu’il n’y a pas de nouveau financement. La Feuille de route est de fait recadrée pour inclure des programmes déjà existants, par exemple l’intégration linguistique des immigrants ».

Pour la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA), la Feuille de route demeure un « fourre-tout ». Selon sa présidente, Sylviane Lanthier, il est bien difficile de savoir « comment les sommes sont dépensées ». Jean Johnson de l’Association canadienne-française de l’Alberta (ACFA) évoque de son côté un « manque de transparence ».

Au-delà de la somme quasi impossible à évaluer, les organismes francophones pestent sur le terrain contre le manque de ressources. Des manques qui se traduisent bien souvent par des économies drastiques, ou encore une difficulté à organiser des projets ou activités.

« Il faut comprendre que l’argent de la Feuille de route n’a pas augmenté sur dix ans », explique le président de l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO), Denis Vaillancourt. « Avec l’inflation, on parle d’un manque à gagner ».

Une absence de fonds qui pousse bon nombre d’associations francophones à se tourner vers le programme d’appui aux Langues officielles de Patrimoine canadien pour obtenir des subventions.

Interrogé également par #ONfr, le porte-parole aux Langues officielles du Nouveau Parti démocratique (NPD), Claude Gravelle, s’engage à bonifier la Feuille de route si son parti arrive au pouvoir.

 

Un contenu « idéologique »

Les fonds de la Feuille de route ne sont pas les seules sources d’inquiétude. L’identité même de l’enveloppe aurait changé, sous les différents mandats de Stephen Harper.

« Si les conservateurs n’avaient pas trop recadré la Feuille de route en 2008, celle-ci a été modifiée en 2013. On est passé maintenant à une approche de valeur ajoutée. Ce qui devient important pour obtenir des subventions via la Feuille, ce sont les retombées économiques que les organismes peuvent créer ».

Conséquence sur le terrain : les organismes ont dû multiplier les appels d’offres ces dernières années pour obtenir des subventions. Un pari d’ailleurs risqué pour l’enseignant de l’Université de Moncton, Éric Forgues. « Ces demandes prennent bien souvent du temps et des ressources pour les organismes. Sans compter que cela les place en compétition les uns les autres ».

Autre écueil avec cette logique : la possibilité que des services donnés en français se retrouvent sous le joug d’organismes anglophones. « Selon la logique du financement qu’on (le gouvernement) veut mettre en place, si un organisme spécialisé se qualifie mieux pour offrir des services, l’État pourrait lui accorder un contrat pour répondre aux besoins des communautés francophones en situation minoritaire ».

L’universitaire cite l’exemple du RESDAC (Réseau pour le développement de l’alphabétisme et des compétences), dont le « projet majeur » en 2013 englobant une « vingtaine d’organismes de tous les horizons » n’a finalement pas été retenu par Emploi et Développement social Canada (EDSC).

Reste que selon M. Forgues, l’approche des conservateurs diffère du principe initial de la Feuille de route lors de son lancement en 2003. « Avec les libéraux au pouvoir jusqu’en 2006, on parlait d’un droit à l’égalité sous forme d’une intervention de l’État. On encourageait la concertation avec les organismes francophones. Ce n’était certes pas une révolution, mais une gestion publique différente de celle de M. Harper. »

L’approche du premier ministre sortant reste trop subordonnée aux « préoccupations politiques », dixit Mme Cardinal : « Les conservateurs ont beaucoup accordé d’importance à l’immigration francophone dans la Feuille de route, sans comprendre ce qui ne marchait pas, alors qu’ils ont laissé de côté des secteurs comme la jeunesse ou la recherche. »

Le prochain dévoilement de la Feuille de route est prévu en 2018.

À noter que Jacques Gourde, secrétaire parlementaire sortant pour les Langues officielles à Ottawa, n’a pas donné suite à nos demandes d’entrevue.