Langues officielles : un bilan de session mitigé

Alexandre Boulerice, Alain Rayes et Yves-François Blanchet. Montage ONFR+. Source: compte Twitter Alexande Boulerice et archives ONFR+

OTTAWA – La session parlementaire qui prend fin a marqué un tournant dans le dossier des langues officielles puisque le gouvernement libéral dirigé par Justin Trudeau a finalement déposé le projet de loi tant attendu devant moderniser la Loi sur les langues officielles (LLO). Toutefois, malgré que plusieurs éléments du projet de loi soient accueillis de façon favorable par les francophones de partout au pays, le projet de loi C-32, qui a été déposé à la Chambre des communes à quelques jours seulement de la fin de la session parlementaire, ne pourra être adopté.

Lorsque la ministre du Développement économique et des Langues officielles, Mélanie Joly, s’est adressée aux médias après le dépôt du projet de loi C-32, elle a souligné que la réalité linguistique nord-américaine fait en sorte que « nos deux langues officielles ne sont pas à armes égales ».

Cette constatation a inspiré plusieurs des dispositions du projet de loi qui reconnait aux Francophones « le droit de travailler en français, le droit d’être servi en français et le droit de ne pas être discriminé parce qu’on est francophone dans les entreprises de compétence fédérale, au Québec et dans les régions à forte présence francophone », tels que la ministre les a énumérées.

De plus, la législation proposée donnerait de nouveaux outils au commissaire aux langues officielles et exigerait que les juges doivent être bilingue pour siéger à la Cour suprême du Canada.

Le ministre fantôme de l’opposition officielle chargé des dossiers de Patrimoine canadien, des langues officielles, Alain Rayes, a exprimé sa déception quant à la gestion du dossier de la modernisation de la LLO par le gouvernement libéral.

« Il y a une grande déception que l’on constate. Les gens sont contents de voir que la ministre a fini par déposer son projet de loi, mais en même temps, c’est assez sarcastique de voir qu’elle l’a déposé à quelques jours de la fin de la session, sachant très bien qu’il ne pourrait jamais même se rendre en comité pour avancer et qu’on puisse l’analyser, l’étudier comme il se doit. En plus, avec la volonté des libéraux de nous envoyer en élection. Donc, malheureusement pour nous, la lecture qu’on en fait c’est que ce sont encore des belles paroles, mais pas d’action concrète pour aider les francophones de partout au pays », déplore M. Rayes.

Pour sa part le chef adjoint et critique du Nouveau Parti démocratique (NPD) en matière de langues officielles, Alexandre Boulerice regrette, lui aussi, que le gouvernement libéral n’ait pas déposé le projet de loi C-32 assez tôt afin qu’il puisse être adopté.

« C’est une session parlementaire qui laisse quand même un goût amer. Parce qu’il y a eu des belles intentions, des beaux discours, des belles paroles, mais peu d’actions concrètes. On voit qu’on a déposé un projet de loi pour la modernisation des langues officielles qui a des principes de base, des directions qui sont intéressantes, mais qui a peu de chance d’être adopté. On sait tous qu’il y a des fortes chances que les libéraux déclenchent des élections à la fin de l’été ou à l’automne. Donc, ça ressemble plus à une plateforme électorale qu’à une modernisation de la loi », soutient M. Boulerice.

Il espère que si les libéraux sont reportés au pouvoir, ils déposeront un nouveau projet de loi semblable au projet de loi C-32.  « Si jamais ils sont réélus, j’espère qu’ils déposeront un projet de loi identique, mais si nous on est élus, on va déposer un meilleur projet de loi », affirme M. Boulerice.

C-32 rejeté par le Bloc québécois

Par ailleurs, le chef du Bloc Québécois, Yves-François Blanchet, croit que le fédéral ne devrait pas intervenir au Québec dans les dossiers linguistiques.

 « Ce qui devrait arriver en matière linguistique, c’est la reconnaissance du fait qu’une nation ne confie pas sa langue à une autre nation, qu’une nation ne confie pas sa culture à une autre nation, qu’une nation ne confie pas son âme à une autre nation. C’est vrai pour le Québec, et puis c’est vrai pour toutes les Premières nations, d’ailleurs. Donc C-32, devrait s’attarder à la promotion et la protection du français partout au Canada. Mais pas besoin de le faire au Québec. Ça va très bien quand on le fait nous autres même, et ça va moins bien quand le fédéral s’en mêle », soutient M. Blanchet.

Pourtant, le livre blanc sur la modernisation de la LLO, publié en février par le gouvernement fédéral, constatait que le français était menacé pas seulement dans les provinces à majorité anglophone, mais également au Québec.

« Et surtout », poursuit-il, « ne dépensez pas votre bagage d’inquiétude pour les Anglais du Québec. Ils sont très bien traités, ce sont nos amis, c’est une minorité historique extrêmement précieuse, contributive à notre culture québécoise, et qui n’est pas du tout menacée », affirme le chef du Bloc.

« Une attaque claire contre l’égalité des langues officielles » selon QCGN

De leur côté, les Anglo-Québécois rejettent eux aussi le projet de loi C-32, mais pour des motifs totalement différents de ceux du Bloc Québécois.

L’approche asymétrique du projet de loi C-32, qui reconnait le français comme la plus menacée des deux langues officielles du pays, est « une attaque claire contre l’égalité des langues officielles du Canada », selon le Quebec Community Groups Network (QCGN)

« Traditionnellement, la Loi sur les langues officielles donnait vie aux droits constitutionnels en matière de langues officielles. Ces droits définissent en grande partie la relation entre les Canadiens et notre gouvernement fédéral. La Loi a été fondée sur le principe que le français et l’anglais sont égaux en droit », déclare le QCGN dans un communiqué publié plus tôt cette semaine.

« Toutefois, le projet de loi C-32 – Loi modifiant la Loi sur les langues officielles et apportant des modifications connexes et corrélatives à d’autres lois – définit le territoire accordé aux droits linguistiques et les étend à la sphère privée uniquement pour les francophones. Un tel changement aura des effets profonds pour les années à venir sur les droits linguistiques des Québécois d’expression anglaise », s’inquiète l’organisme.