Langues officielles : un réinvestissement inférieur aux demandes de la FCFA

La ministre du Patrimoine canadien, Mélanie Joly. Crédit photo: Benjamin Vachet

OTTAWA – Le troisième budget du gouvernement libéral, dévoilé le mardi 27 février, prévoit un réinvestissement de 400 millions de dollars dans les langues officielles. Une somme inférieure aux demandes de la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada.

BENJAMIN VACHET
bvachet@tfo.org | @BVachet

Le budget fédéral 2018, intitulé Égalité+Croissance : une classe moyenne forte, était très attendu par les communautés francophones en contexte minoritaire. La FCFA espérait un investissement additionnel de 575 millions $ et un message fort à l’endroit des communautés francophones.

Après un gel de dix ans de la Feuille de route pour les langues officielles, le gouvernement annonce qu’il réinjectera 400 millions $ sur cinq ans dans son prochain plan d’action 2018-2023 et souligne que « la dualité linguistique fait partie intégrante de l’histoire et de l’identité du Canada ».

Le gouvernement s’engage également à maintenir un investissement supplémentaire de 88,4 millions de dollars par année après l’échéance de 2023.

« Le gouvernement du Canada en fera plus pour appuyer les communautés de langues officielles en situation minoritaire, et pour assurer le dynamisme et la vigueur de la Francophonie canadienne », a assuré le ministre des Finances, Bill Morneau, dans son discours à la Chambre des communes.

Sans surprise, il faudra toutefois encore patienter pour connaître tous les détails du prochain Plan d’action pour les langues officielles.

« Il s’agit tout de même d’une augmentation importante qui permet de compenser le retard pris en l’absence d’indexation depuis 2008 », analyse Simon Tremblay-Pepin, professeur à l’École d’innovation sociale Élisabeth Bruyère de l’Université Saint-Paul. « Cette somme demeure insuffisante pour enregistrer un changement radical en matière de langues officielles, mais elle devrait permettre le financement de certains nouveaux projets. »

Le professeur de l’Université Saint-Paul se montre, en revanche, plus dubitatif sur l’annonce d’un investissement supplémentaire annuel de 88,4 millions $ garanti après 2023.

« Si le gouvernement suit simplement cette voie, l’inflation finira par rattraper l’enveloppe en 2026 et la somme recommencera à diminuer », remarque-t-il.

 

Quelques priorités

L’investissement supplémentaire annoncé doit permettre de « servir les communautés existantes » et « d’améliorer l’intégration et l’établissement des nouveaux immigrants », indique le gouvernement qui, dans le budget, a dévoilé certaines de ses cibles.


400 millions $ de plus pour :

  • des services, l’accueil des nouveaux arrivants et le développement de la petite enfance
  • les activités culturelles, artistiques et patrimoniales
  • les stations de radio et les journaux des communautés de langue officielle en situation minoritaire
  • le recrutement et le maintien en poste d’enseignants de français et d’anglais langue seconde
  • des écoles dans la langue officielle des minorités, des initiatives d’apprentissage et de garde

Promesse de la plateforme libérale de 2015, le gouvernement annonce également le développement d’une application interactive pour apprendre le français ou l’anglais comme langue seconde.

Au-delà du Plan d’action pour les langues officielles, le budget comprend aussi 10 millions $ sur cinq ans pour soutenir l’accès à la justice dans les deux langues officielles.

 

Les francophones prudents

Le président de la FCFA, Jean Johnson, se dit satisfait de la somme annoncée, mais attend de voir.

« Il est difficile pour nous de célébrer sans avoir tous les détails du plan d’action pour les langues officielles. Je fais confiance au gouvernement, mais j’attends aussi de voir où et comment cette somme sera investie. Elle doit l’être sur le terrain dans les organismes et institutions francophones. »

Le président de la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada, Jean Johnson. Crédit image : Étienne Ranger

Même son de cloche du côté de l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO).

« Les plus de 200 organismes et institutions membres de l’AFO restent en attente de réponses concrètes de la part du gouvernement pour en évaluer l’impact. La vitalité et la survie de nos communautés en dépendent », rappelle le président de l’organisme provincial, Carol Jolin.

Le président de la Fédération culturelle canadienne-française (FCCF), Martin Théberge, reconnaît que plusieurs questions demeurent.

« Ce n’est pas tout de mettre plus d’argent. Si le gouvernement veut vraiment que ça ait un impact, il faut que le nouveau plan d’action pour les langues officielles soit par, pour et avec les communautés. Il doit travailler avec nous. »

M. Théberge note toutefois avec une certaine satisfaction l’annonce d’un réinvestissement de 172 millions $ sur cinq ans prévu pour maintenir le niveau de financement du Fonds des médias du Canada au niveau de 2016-2017, ainsi que l’enveloppe de 50 millions $ sur cinq ans pour appuyer le journalisme local.

Seul bémol pour le président de la FCCF, l’absence d’un investissement supplémentaire dans le Fonds du Canada pour la présentation des arts.

 

L’opposition dubitative

Le porte-parole aux langues officielles pour le Parti conservateur du Canada (PCC), Alupa Clarke, insiste lui aussi sur le manque de détails.

« Je pense que c’est une bonne nouvelle que le gouvernement donne 400 millions $ de plus pour les langues officielles. Mais il va falloir avoir les détails, voir comment ça va être dépensé, comment ça va être réparti et comment le gouvernement va s’assurer d’avoir une reddition de compte minutieuse et que l’investissement va bien directement aux communautés. »

Le député conservateur, Alupa Clarke. Crédit photo : gracieuseté

Son homologue néo-démocrate, François Choquette se montre sceptique.

« On ne sait pas si les 400 millions $ supplémentaires annoncés seront vraiment de l’argent frais ou des sommes prises de gauche à droite dans les autres ministères, comme ça avait été fait à l’époque du Plan Dion. On aurait aimé avoir le plan d’action avant pour connaître ces détails et ça m’inquiète que ça tarde à sortir. J’aurais également aimé que le gouvernement se dote, pour l’ensemble de son budget, d’une lentille pour les langues officielles, comme l’avait demandé l’ancien commissaire aux langues officielles du Canada, Graham Fraser. »

 


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