Le budget de tous les records en Ontario

Le ministre des Finances, Rod Phillips. Archives ONFR+

[ANALYSE]

TORONTO – Le premier budget de l’ère Ford, déposé en avril 2019, était sous le sceau de l’austérité économique. Changement de ton pour le second, présenté ce jeudi et placé sous le signe de la relance économique. Le document de 260 pages reflète le tournant imposé par cette crise sanitaire hors-norme.

Durant sa campagne électorale du printemps 2018, Doug Ford avait tiré à boulets rouges sur les déficits budgétaires. Rattrapés par la réalité, le premier ministre ontarien et son ministre des Finances, Rod Phillips, n’ont pas le choix que de creuser les comptes provinciaux pour répondre à l’urgence pandémique.

Confronté à une impopularité record l’année dernière, Doug Ford avait déjà veillé à offrir un message politique plus au centre. Avec la crise du coronavirus, le premier ministre a mis de côté son mantra sur la rigueur budgétaire, tout en donnant une image de lui plus consensuelle et empathique.

Mais les chiffres du budget sont faramineux. Les dépenses du gouvernement atteignent 187 milliards dollars (contre 166 pour 2019), dont le tiers pour la santé. Dans cette somme record, 45 milliards de dollars sont investis sur trois ans directement pour la santé et l’aide à la population. Le déficit budgétaire pointe maintenant à 38,5 milliards de dollars. À titre de comparaison, ce même déficit avait plongé à 24,7 milliards au lendemain de la crise économique de 2008.

Deux lectures

Après le dépôt ce budget, deux grilles de lecture s’imposent.

La première affirme que la marge de manœuvre du gouvernement est extrêmement limitée, eu égard aux réserves financières lesquelles diminuent, et l’incertitude planant sur la durée de l’épidémie. L’équipe Ford aurait donc eu raison de recourir à des coups de pouce intéressants, mais parcimonieux.

La seconde optique est celle défendue par l’opposition à Queen’s Park : Doug Ford n’est pas allé assez loin. L’urgence de la pandémie aurait dû justifier l’investissement de sommes exceptionnelles, mais aussi de bâtir un système de santé et éducatif plus juste pour éviter les affres d’une troisième vague, ou bien d’une nouvelle épidémie. Enfin, en ne précisant pas le montant alloué aux infirmières et préposés aux soins promis cette semaine dans les foyers de soins de longue durée, le gouvernement entretiendrait un flou inquiétant.

Les francophones mitigés

Toujours est-il que les francophones avaient l’œil ouvert. Peu importe la couleur du parti au pouvoir, il y eut dans le passé beaucoup de budgets nettement moins bons pour les Franco-Ontariens.

Le bonbon principal : le gouvernement s’engage à un « Fonds de secours pour les organismes francophones sans but lucratif suite à la COVID-19 » d’une valeur d’un million de dollars. Un pas en avant, dit l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO), qui réclamait toutefois 12,5 millions de dollars de la part des deux paliers gouvernementaux pour permettre aux organismes de respirer.

Les 12 conseils scolaires de langue française ont en revanche beaucoup plus d’inquiétude. En moyenne plus petits que les institutions anglophones, les conseils voient leurs réserves financières beaucoup plus vulnérables face aux dépenses induites par l’épidémie.

En l’absence d’un vaccin, l’épidémie de coronavirus continuera de circuler. L’année 2021 partira sans doute sous les mêmes auspices sombres que 2020. Après avoir bousculé les idéologies et modifié les priorités des différents gouvernements, l’épidémie pourrait obliger MM. Ford et Phillips à un interventionnisme encore plus soutenu. La réélection du gouvernement passera par là, la santé des 14,5 millions d’Ontariens aussi.

Cette analyse est aussi publiée dans le quotidien Le Droit du 7 novembre.