Le comité sur l’université : un véritable cheval de Troie

Les francophones manifestant pour une université franco-ontarienne, le 18 février 2016, à Toronto. Archives, #ONfr

[LETTRE OUVERTE]

Il n’y a rien de réjouissant dans le dévoilement de la composition du énième comité pour enquêter sur une université à Toronto. Je n’envie pas ce comité qui a la mission impossible de répondre aux exigences de la communauté franco-ontarienne alors que la province refuse de lui donner les moyens. Mais compte tenu du risque associé à la démarche, on n’a aucun choix que d’être alarmiste.

SERGE MIVILLE
@Miville

Premièrement, il faut arrêter de croire à l’absurde fable qu’un petit collège universitaire de langue française à Toronto sera la solution miracle pour l’Ontario français. Bien le contraire. C’est un cheval de Troie. Le vrai champ de bataille, celui que nous ignorons, a lieu dans nos institutions bilingues. La situation dans ces institutions est critique. Le bilinguisme institutionnel de ces campus ne fait qu’asphyxier la vitalité du français et réduit sa présence dans nos corridors.

La composition du comité nous inquiète. D’une part, il est surtout composé de Torontois. Au lieu d’enquêter sur l’université en Ontario français, le comité ne va vraisemblablement pas regarder au-delà de la rue Bloor. C’est une erreur. Il fallait, en dépit de la commande de Queen’s Park, ratisser le mandat plus largement. Ce comité ne donne aucun espoir à cet effet.

Deuxièmement, on risque de nous servir encore une fois le vieux mantra voulant qu’il faille faire « rayonner » cette université au-delà de l’Ontario français. C’est du moins ce qu’a dit Glenn O’Farrell, membre du comité, à propos de TFO. Rappelons que TFO a été critiquée récemment pour la production d’une vidéo en anglais mettant en scène des artistes québécois à Montréal dans le but de faire « rayonner » TFO à l’international. Bref, nous baignons de plain-pied dans la désincarnation et le refus de l’Ontario français.

Troisièmement, le risque est grand que le comité aille promouvoir les valeurs d’une université « McDonald » servant de la diplomation rapide qui ne répond qu’aux intérêts immédiats des entreprises. Pas moins de quatre membres sont liés – de près ou de loin – au milieu des affaires. Pourtant, l’objectif de l’université est justement d’être au-dessus des intérêts immédiats du monde des affaires.

Quatrièmement, comment pouvons-nous nous réjouir de l’absence d’historiens, de sociologues, de politologues et de gens qui sont à l’extérieur de la Ville Reine dans ce comité? Comment pouvons-nous justifier de mettre l’avenir de la question universitaire en Ontario français entre les mains d’une poignée de Torontois? L’impact de ce comité rayonnera – pour reprendre les mots en vogue – bien au-delà de la 401 et aura un impact déterminant à l’extérieur de la ville. Nous avons le droit de nous inquiéter.

Je suis obligé de le répéter : toute solution qui n’inclut pas une réforme majeure des universités Laurentienne, d’Ottawa, Hearst et Glendon nous fait reculer. Ce comité, qui n’est pas représentatif de l’Ontario français, ne peut être plus loin du « par et pour » que la communauté exige depuis des années. À présent, courons le risque de payer les frais d’une recommandation qui fera reculer le dossier universitaire de plusieurs décennies. C’est inacceptable.

 Miser petit, risquer gros

Le risque d’un durcissement de l’opinion des administrateurs des institutions bilingues à la suite de la création de cette « université » est immense et ne doit pas être négligé. En effet, dans les institutions bilingues, on va enfin pouvoir dire aux « maudits tannants », les militants francophones, d’arrêter de « chialer » comme ils le font depuis plus de 50 ans. Si vous n’êtes pas contents de la place du français à la Laurentienne ou à Ottawa, allez donc à Toronto. En effet, cette « université » – c’est-à-dire notre future Liberal Arts College –, telle qu’imaginée à présent, ne ferait qu’envenimer la situation dans les campus bilingues.

La vitalité du français dans ces campus est de plus en plus à risque. Certains programmes fonctionnent qu’avec des chargés de cours plutôt qu’avec des professeurs. De nombreuses institutions à l’intérieur des universités sont périodiquement remises en question en raison des coûts reliés à leur fonctionnement. Malgré la désignation (partielle) des universités sous la Loi sur les services en français, plusieurs services offerts par de tierces parties refusent d’offrir des services en français. La création d’un campus torontois ne va pas régler les problèmes fondamentaux qui pèsent sur le réseau universitaire franco-ontarien. Cela dit, il va saper l’élan et la légitimité des revendications dans les institutions bilingues.

Rappelons à ceux qui veulent donner la chance au coureur que la province piétine depuis des années sur ce dossier. Pourtant, ça ne prend pas un doctorat pour voir que la véritable solution au problème de l’université en Ontario français réside dans la fusion des programmes, institutions et espaces francophones qui existent à la Laurentienne, à Ottawa, à Hearst et à Glendon. Voilà une véritable solution « par et pour » les francophones.

Cadeau empoisonné, cette « université ».

Serge Miville est  professeur adjoint en histoire à Université Laurentienne et titulaire de la Chaire de recherche en histoire de l’Ontario français.

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