Le contrôle des garderies privées est « dysfonctionnel », dit l’Ombudsman

TORONTO – L’« incompétence systémique » du gouvernement expose les enfants dans les services de garde non agréés de l’Ontario à d’importants risques, et ce, depuis plusieurs années, conclut l’Ombudsman de la province dans son plus récent rapport d’enquête.

FRANÇOIS PIERRE DUFAULT
fpdufault@tfo.org | @fpdufault

André Marin juge que le contrôle des services privés de garde d’enfants dans la province est « dysfonctionnel » depuis « de nombreuses années » et que la situation s’est aggravée depuis que cette responsabilité est passée du ministère des Services à l’enfance au ministère de l’Éducation, en 2012.

« Mon enquête a permis de découvrir que le système de réponse aux plaintes sur les services (de garde) non agréés souffrait notamment de la négligence et de l’incohérence des méthodes de réception des plaintes », a écrit M. Marin dans son rapport intitulé Garderies mal gardées, déposé à l’Assemblée législative, le mercredi 22 octobre.

L’Ombudsman a annulé le point de presse qui devait accompagner le dépôt de son rapport, en raison des fusillades mortelles qui ont ébranlé la Colline parlementaire, à Ottawa.

« Nous avons examiné des dizaines de cas où les propres directives et orientations ministérielles de traitement des plaintes n’étaient pas suivies, et où les inspections des services non agréés avaient été retardées ou tout simplement omises », a fustigé M. Marin dans son document.

Il y a environ 823 000 enfants dans les services de garde non agréés de l’Ontario, soit un peu plus du double du nombre d’enfants dans des garderies agréées.

« Effrontément illégal »

L’enquête de l’Ombudsman a été motivée par le décès de la petite Eva Ravikovich, à l’âge de deux ans, dans une garderie privée de Vaughan, au nord de Toronto, en 2013. Dans son rapport, M. Marin a d’ailleurs qualifié ce service de garde d’« effrontément illégal », rappelant qu’on y avait semble-t-il retrouvé quelque 29 enfants et 14 chiens dans des conditions insalubres et dangereuses.

Le Ministère aurait reçu cinq plaintes à propos de ce service de garde, mais aurait omis d’y donner suite.

Trois autres enfants sont décédés dans des garderies non agréées de la région de Toronto durant une période de sept mois, en 2013 et 2014.

Et pour cause, le contrôle des garderies s’appuierait sur une loi « archaïque » vieille de près de 70 ans que l’Ontario appliquerait « rarement, et sans uniformité », selon M. Marin.

Le bureau de l’Ombudsman a formulé une centaine de recommandations au ministère de l’Éducation pour resserrer le contrôle des garderies privées. L’une des plus importantes est la création d’une unité spécialisée d’application de la loi, chargée d’enquêter sur les plaintes à propos de ces garderies.

Le Ministère aurait déjà fait des « efforts réels et ciblés » pour corriger le tir, selon M. Marin.

« Donner des dents »

« Ce que nous faisons s’aligne sur ce que (l’Ombudsman) recommande », a réagi Liz Sandals, ministre de l’Éducation, le jeudi 23 octobre. « Nous avons donné suite à 95 de ses (113) recommandations. Il a aussi fait quelques autres recommandations que nous allons étudier ».

Les réponses à une trentaine des recommandations de M. Marin se trouvent dans un nouveau projet de loi qui, selon Mme Sandals, vise à « donner des dents » au Ministère quand vient le temps de mettre à l’amende les garderies privées.

Ce projet de loi a passé l’étape de la deuxième lecture à Queen’s Park.

« À l’heure actuelle, au Ministère, notre seul moyen d’amener (des garderies) à se conformer, autre que de leur envoyer des lettres, est d’aller devant les tribunaux. C’est un très long processus », a indiqué Mme Sandals. « La nouvelle loi nous permettrait d’imposer des amendes jusqu’à 100 000 $ sans passer par les tribunaux. Nous pourrions aussi fermer des garderies illégales sans passer les tribunaux ».

En vertu de la loi actuelle, adoptée en 1946 et révisée pour la dernière fois en 1983, le ministère de l’Éducation n’a absolument aucun recours contre les garderies non agréées en dehors des tribunaux, et l’amende maximale qu’un juge peut imposer à un propriétaire de garderie est 2000$.

« Les gens qui veulent enfreindre la loi voient (ces amendes) comme une simple taxe sur leur entreprise », a déploré Mme Sandals.

« Mauvaise approche »

L’opposition à Queen’s Park a dit souhaiter davantage de consultations avec les propriétaires des garderies non agréées.

« Nous ne sommes pas du tout satisfaits de la réponse du gouvernement », a dénoncé Garfield Dunlop, critique progressiste-conservateur en matière d’Éducation, à #ONfr. « Nous voulons que ce projet de loi fasse l’objet d’audiences publiques aux quatre coins de la province. Cette loi pourrait avoir de graves conséquences sur des centaines de propriétaires de garderies privées. Ces derniers doivent avoir une voix au chapitre ».

L’élu de Simcoe-Nord s’est dit inquiet pour les quelque 823 000 places dans les garderies non agréées de la province. Des places essentielles, selon lui, étant donné les coûts élevés et les longues listes d’attente dans les garderies agréées.

« À l’heure actuelle, il y a des propriétaires de garderies privées qui ferment boutique parce qu’ils sont convaincus que le gouvernement a déjà pris sa décision et qu’il ne veut pas avoir une discussion ouverte avec eux », a dit regretter M. Dunlop. « Nous croyons que c’est la mauvaise approche ».